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Deux films qui n’ont rien à voir

Par Borokoff

A propos de A Touch of Sin de Jia Zhang-Ke et All is lost de J.C. Chandor avec Robert Redford ★★★☆☆

Wu Jiang - A Touch of Sin de Jia Zhang-Ke - Borokoff / Blog de critique cinéma

Wu Jiang

Glaçante immersion dans les campagnes, A Touch of Sin présente un envers du décor peu reluisant pour la Chine. Miroir sombre et grinçant dans lequel se reflète le spectre des grands oubliés de la prospérité. A la modernisation galopante de la Chine (ou plutôt de ses principales villes) s’oppose le spectacle de provinces grises et désolées, délaissées par le progrès. Mornes paysages de friche industrielle, villages abandonnés, désaffectés que ce soit au Nord, au Sud, à l’Est ou à l’Ouest. La modernisation à deux vitesses de la Chine actuelle n’explique pourtant pas à elle seule le déraillement psychologique, la névrose dans lesquels tombent les personnages « au bout du rouleau » de ces quatre histoires. Si Dahai (un mineur exaspéré par la corruption de ses dirigeants et le silence complice de tout un village), Zhou San (un travailleur immigrant), Xiao Yu (une réceptionniste dans un sauna) sombrent dans la psychopathie ou s’inscrivent en candidats inattendus au suicide (Xiao Hui, un jeune homme sympathique qui passe de petit boulot en petit boulot), il faut y voir les effets pervers désastreux et dramatiques d’un conditionnement culturel, social et psychologique orchestré par un régime communiste soucieux d’avoir le contrôle absolu des consciences. Sans y parvenir, à en juger par les « dommages collatéraux » dont sont victimes les personnages de ces quatre histoires.

Zhao Tao - A Touch of Sin de Jia Zhang-Ke - Borokoff / Blog de critique cinéma

Zhao Tao

Peu étonnant que le film ne soit sans doute jamais distribué dans ce pays de 1 339 713 000 habitants, tant l’image de la Chine véhiculée dans A Touch of Sin est peu flatteuse et celle d’une nation à la fois en déliquescence et qui se donne en spectacle. Un spectacle opulent et vulgaire, à l’image de ces défilés de majorettes en mini-jupes, déguisées en militaires pour le plus grand plaisir des businessmen venus les voir. Prétexte parfait pour Jia Zhang-Ke (Still Life) à un portrait au vitriol de son pays. Si les anti-héros de A Touch of Sin se transforment peu à peu en psychopathes, c’est parce qu’ils se sentent d’abord mal en eux, barrés certes par un tas d’interdits infranchissables, de conventions sociales aliénantes mais le raccourci est un peu facile et simpliste pour expliquer une telle folie (auto)destructrice. On s’en contentera pourtant. « Hors de contrôle », ces quatre là « pèteront les plombs » chacun à leur manière. La Chine, première productrice au monde de tueurs en série ? C’est à se demander, tant le constat et le pourcentage de réponses positives sont inquiétants dans A Touch of Sin

Luo Lanshan - A Touch of Sin de Jia Zhang-Ke - Borokoff / Blog de critique cinéma

Luo Lanshan

Seul hic, ce sont les raccourcis un peu trop rapides dans ces quatre histoires dont le contexte socio-géographique et la mise en scène assez lente, qui fonctionne sur un principe simple : préparer le spectateur au couperet d’un acte aussi violent qu’inattendu (ça marche et ça surprend la première fois mais le principe est répété ensuite) perpétré par le personnage principal, font penser à People Mountain People Sea de Shangjun Cai, la réussite en moins. Car ici, c’est comme si les évènements arrivaient trop vite, trop précipitamment Il aurait fallu plus d’étapes pour décrire en profondeur le processus, les motifs psychologiques qui poussent par exemple Xiao Hui, jeune homme souriant et bien dans sa peau en apparence, à se suicider. Quelles sont les raisons qui le conduisent à commettre ce geste ? Est-ce par désespoir ou par « aboutisme » ? Certains maillons logiques sont absents. La mise en scène manque peut-être d’immersion dans la conscience, la psyché de ces personnages détraqués, d’où la difficulté du spectateur à saisir précisément pourquoi et comment exactement ces quatre-là basculent dans l’ « ultra-violence » et la psychose. La chute (au sens propre) arrive trop brutalement souvent, ce qui n’enlève rien à la fascination exercée par certains plans – la scène où un paysan fouette son cheval à mort jusqu’à ce qu’il se cabre et s’écroule, vaincu, sur le sol, est magnifique de cruauté et de violence - ni au courage d’un réalisateur dont le film fera longtemps froid dans le dos après la sortie…

Robert Redford - All is lost de J.C.Chandor - Borokoff / Blog de critique cinéma

Robert Redford

Autre son de carillon et changement de cap radical pour J.C. Chandor, après le très remarqué Margin Call (2011). Pour son second long-métrage, le réalisateur américain s’est inspiré d’Hemingway et de Le vieil homme et la mer pour écrire le scénario d’All is Lost, interprété par le seul Robert Redford, à 77 ans s’il vous plaît…

All is Lost est l’histoire d’un marin qui se retrouve seul au milieu de l’Océan Indien (sans que l’on sache pourquoi ni comment) et dont le voilier va connaitre une série déboires catastrophiques. Des péripéties de plus en plus dramatiques, au point que le vieil homme n’espère plus qu’une chose : s’en sortir vivant.

Robert Redford - All is lost de J.C.Chandor - Borokoff / Blog de critique cinéma

Son bateau prend l’eau de toutes parts, victime d’une série d’avaries et d’un concours de circonstances climatiques pour le moins malchanceux, et le vieil homme se retrouve bientôt seul à errer sur un canot de survie, perdu au milieu de l’Océan Indien, priant qu’un bateau ou qu’un Dieu lui viennent en aide mais en vain…

Malgré quelques longeurs (forcément dans ce type d’exercice de style qui fait penser de très loin au célèbre Duel de Spielberg, 1971) All is lost est un beau film initiatique sur l’endurance, le courage, la survie mais aussi sur l’individualisme et sur l’indifférence des gros bateaux qui passent à côté de notre marin échoué sans l’aider. C’est un film sans dialogues, sans paroles pratiquement, avec très peu de musiques et qui s’appuie sur trois choses essentiellement : l’acuité de la mise en scène, la qualité des effets spéciaux et le jeu de son acteur principal, que l’on ne présente plus.

Robert Redford - All is lost de J.C.Chandor - Borokoff / Blog de critique cinéma

Redford campe un héros fascinant de stoïcisme et qui ne panique jamais même quand tout semble perdu.

Quels sont les enjeux de All is lost, outre qu’il parvient à nous immerger (sans mauvais jeu de mots) avec brio dans la peau d’un vieux de loup de mer luttant pour survivre au milieu d’une nature des plus hostiles ?

Un peu comme Gravity, All is lost est un film sensoriel, qui nous fait vivre de l’intérieur les sensations du héros, son conditionnement psychologique et physique comme l’angoisse de la mort qui se rapproche à grands pas chaque jour, entre la faim, la soif, les requins qui rôdent tout autour, les tempêtes qui l’épuisent et fragilisent encore un peu plus sa condition et sa santé précaires…

Bref, un film de « bonshommes » qui repose essentiellement sur l’empathie du spectateur. Et sa capacité à éprouver les sensations de son héros…

http://www.youtube.com/watch?v=oGvq0qGahS0

A Touch of Sin de Jia Zhang-Ke, film chinois de Jia Zhang Ke avec Tao Zhao, Wang Baoqiang, Wu Jiang (02 h 10)

All is lost, film américain de J.C. Chandor avec Robert Redford (01 h 46)


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