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La douleur des femmes et la folie des hommes : Les Troyennes à Amman

Publié le 23 décembre 2013 par Gonzo

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Deux représentations seulement à Amman, il y a quelques jours, pour un travail théâtral exceptionnel : la « réinterpétation », par des réfugiées syriennes, des Troyennes, une pièce écrite par Euripide il y a presque deux mille cinq cents ans.

A l’origine du projet, une Britannique, Charlotte Eargar, qui a découvert cette oeuvre lorsqu’elle couvrait la guerre de Bosnie, au début des années 1990. Le texte ne l’a jamais quittée. Tandis que la guerre faisait rage en Syrie, elle a réussi, avec ses proches, à mobiliser sur ce projet des organisations et à réunir des fonds. Prévue pour se tenir à l’origine dans la Békaa au Liban, l’initiative a finalement vu le jour dans la capitale jordanienne. Six semaines de préparation pour aider une cinquantaine de femmes, réfugiées de Syrie, à découvrir l’univers du théâtre en interprétant ce spectacle.

Venu de Damas, le metteur en scène Omar Abu Saada, ainsi qu’une comédienne et une scénographe, syriennes également, ont aidées les femmes qui ont souhaité participer à cette expérience à mettre leurs propres mots sur cette pièce venue de l’Antiquité. Utilisant des projections, la mise en scène associe le texte d’Euripide, sur la douleur des Troyennes confrontées à la perte de leur ville, de leurs maris et de leurs familles aux témoignages de réfugiées qui racontent ce qu’elles ont elles-mêmes vécu en Syrie. Alors que la plupart d’entre elles n’avait jamais connu la moindre expérience théâtrale, il ne leur a pas été difficile d’apporter sur la scène leurs propres souffrances, elles qui menaient une « vie honorable » (hayât muhtarama) chez elles et qui se sont retrouvées à survivre avec les « coupons » des aides internationales. A propos de la scène où Hécube jette un dernier regard sur Troie qu’elle va quitter pour toujours, une des interprètes explique ainsi : « Quand j’ai franchi la frontière jordanienne, mon mari m’a dit : Regarde bien la Syrie, cela pourrait bien être la dernière fois… »

Les deux représentations ont permis de réunir quelque 100 000 dollars, qui iront aux réfugié(e)s syrien(ne)s en Jordanie. Mais au-delà de l’aspect matériel, cette « réinterprétation » des Troyennes avait bien entendu d’autres buts : continuer à documenter les souffrances de ce pays, et surtout permettre à ces femmes, en les aidant à survivre aux traumatismes qu’elles ont vécus, d’avoir la force de penser à l’avenir.

Parmi tous les informations sur cette expérience, une voix discordante, celle d’un article (en arabe) qui considère que la représentation aurait dû être donnée à Damas tant le récit des événements reprenait la version officielle du régime selon lequel « la chute de Troie » est la conséquence d’une conspiration internationale. A en croire ce spectateur, qui cherche sans grand succès à soutenir ses propos par des citations d’artistes syriens, les témoignages de  ces réfugiées n’ont pour seul but que de dénigrer l’islam ! Après trois années de destructions, il se trouve encore de bons esprits pour faire dans la surenchère…

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Quelques liens sur cette expérience : le site du projet avec, notamment, cette vidéo (sous-titrée en anglais, voir ci-dessous). Dans la même langue, un article du Jordan Times et un autre dans le Guardian. En arabe, une vidéo, cet article du Hayat , cet autre sur le site Middle East Online, et enfin celui-ci sur un site yéménite.


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