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Le rôle des agrégats monétaires.

Publié le 10 mai 2008 par Loïc Abadie

En réponse à de nombreux commentaires sur le blog à ce sujet qui est plus que jamais d'actualité, voici un petit point sur les agrégats monétaires, l'inflation et la déflation.

Le but de cet article n'est pas de rentrer dans le détail de la composition des agrégats monétaires, mais plutôt de voir leurs liens avec le crédit, la déflation ou l'inflation et la politique économique.

La création monétaire.

Schématiquement, la monnaie peut être créée de deux façons :

  • Sous forme classique, qui est celle qui est connue dans «l'imaginaire collectif»: la banque centrale (BCE ou FED) imprime des billets ou des pièces, c'est ce que la presse économique appelle la «planche à billets».
  • Par le crédit, aujourd'hui sous forme essentiellement numérique aujourd'hui: A chaque fois qu'un ménage vient emprunter à sa banque de l'argent, il pourra ensuite dépenser l'argent ainsi obtenu, ou le placer sur des comptes divers: il y a création de monnaie. Cette monnaie est temporaire (elle disparaît dès que le prêt est remboursé), mais dans un environnement où la dette globale augmente, on a ainsi une création continue de monnaie.

Un point essentiel à signaler : la « planche à billets » est sous la responsabilité des banques centrales type FED, mais la création de monnaie associée au crédit n'est pas directement contrôlée par les banques centrales.
Ce sont les banques privées et la demande de crédit des ménages qui la contrôlent, et c'est aujourd'hui la forme largement dominante de création monétaire.

Pour mesurer la quantité de monnaie en circulation, on peut utiliser différentes définitions :

- Au sens le plus strict, la masse des pièces et billets en circulation.

Cet agrégat pèse 759 milliards de $ aujourd'hui, et il est par définition directement contrôlé par la FED. Sa vitesse de croissance chute régulièrement depuis 2003 : contrairement à ce que certains affirment, la FED fait tourner la planche à billets au ralenti !

Voir ce graphique

- Très proche de cela, nous avons l'agrégat M1 (1372 milliards), lui aussi très lié à la « planche à billets » de la FED. M1 n'augmente pratiquement pas depuis 2 ans.

- A l'autre bout de la chaîne, nous avons l'agrégat M3, qui prend en compte une définition de la monnaie beaucoup plus large. La Fed a cessé de publier ses données sur M3 en 2006, on en était alors à un niveau de 10200 milliards de $. En extrapolant les tendances de 2006 et l'évolution d'un autre agrégat (M2), on peut estimer que nous sommes aujourd'hui à environ 13000 milliards de $ pour M3 (presque 10 fois plus que M1).

Contrairement à M1, M3 est actuellement en croissance rapide (13 à 15%/an), et on observe la même tendance en Europe.

Un point essentiel à signaler : M3 est lié essentiellement à la partie « crédit » de la création monétaire (justement celle que les banques centrales ne contrôlent pas directement). 
Ceux qui affirment que la FED fait « fonctionner la planche à billets » ou "fabrique de la monnaie anarchiquement" parce que M3 augmente n'ont pas compris ce qu'est l'agrégat M3, et ce qui contrôle son évolution.

Les liens entre M3 (monnaie au sens large) et inflation.

Beaucoup de partisans des thèses inflationnistes avancent en argument que la forte hausse actuelle de M3 serait un signe d'inflation. En réalité, dans une situation comme la situation actuelle ou la situation du Japon dans les années 80-90, il n'y a aucun rapport entre M3 et niveau d'inflation : la monnaie « M3 » est créée par les ménages et acteurs économiques qui accumulent les emprunts, pas par la banque centrale.

Voici un graphique extrait d'un article très intéressant  publié sur gold eagle par Heinrich Léopold.

Le rôle des agrégats monétaires.


Il montre l'évolution d'un agrégat analogue à M3 et de l'inflation au Japon entre 1980 et 2000. J
'ai vérifié les informations publiées sur d'autres sources, ce graphique est exact.

La forte croissance de la masse monétaire large (type M3) au Japon n'a non seulement pas provoqué d'inflation, mais a été suivi d'une décennie de stagnation des prix à la consommation associée à l'implosion de la bulle de crédit japonaise. Dès que la crise du crédit s'est accentuée au Japon à partir 1991, M3 a brutalement stoppé son expansion.

L'inflation d'aujourd'hui est provoquée par la forte demande des pays émergents, principalement en matières premières, certainement pas par la politique monétaire des USA. Si cette demande continue de croître rapidement, les pressions inflationnistes persisteront, sinon (cad si les émergents sont touchés par la crise en cours), elles disparaîtront pour laisser la place à une récession déflationniste.

La FED peut-elle conduire délibérément une politique inflationniste ?

Nous avons vu que la FED ne crée que très peu de monnaie aujourd'hui, contrairement aux idées reçues. On peut se demander si elle va changer de politique à l'avenir.

En théorie, la FED a le pouvoir de relancer l'inflation : elle pourrait par exemple tripler la masse de $ existants en billets et pièces (ce qui est sous son contrôle) et faire « exploser » à la hausse la quantité de monnaie au sens strict (M1) : la valeur théorique du $ serait divisée par 3, et on multiplierait ensuite les salaires par 3...les épargnants seraient globalement ruinés, mais la dette en excès aurait été gommée par l'inflation.

En pratique, cette solution "sympathique" est impossible à appliquer pour deux raisons :

- Si la FED se lançait dans cette «aventure», les marchés et les pays étrangers perdraient toute confiance dans le $ : la chute de sa valeur dépasseraient largement ce qui aurait été prévu, et les américains ne pourraient plus acheter à l'étranger les produits dont ils ont besoin (et perdraient toute crédibilité économique sur le plan international).

- L'inflation ferait flamber les taux d'intérêt, ce qui reviendrait à assommer définitivement les emprunteurs et à détruire d'un coup tous les efforts de la FED en matière de baisse des taux. A titre d'exemple, prenons un prêt de 200 000$ sur 30 ans, à annuités constantes :

A 6% d'intérêt, l'annuité de ce prêt est de 14 579$...mais à 15% d'intérêt (taux habituels sur les emprunts observés en situation de forte inflation) elle double à plus de 30 000$.

Donc à l'avenir, la FED ne pourra pas vraiment utiliser sa planche à billets, même si elle aimerait pouvoir le faire !

Et l'état ?

Il a une marge de manœuvre plus grande que la FED : la dette publique US est d'environ 10 000 milliards de $ soit environ 11 fois ce qui est au bilan de la FED. En situation de forte récession, il est très probable que les dirigeants laisseront filer les déficits, sur le modèle japonais (il y a une « marge » entre le ratio dette publique / PIB à 65% des USA et celui du Japon qui dépasse 130%).

Il y aura à la fois moins de rentrées fiscales à cause du PIB qui chute, et plus de dépenses pour : 
- venir en aide aux institutions bancaires en difficulté, si nécessaire en nationalisant une partie des mauvais crédits.
- venir en aide aux personnes les plus durement touchées par la crise
- tenter de relancer l'économie par divers "plans".

Mais là aussi, la marge de manœuvre sera réduite  : tout déficit excessif se soldera aussi par une perte de confiance dans la solidité financière de l'état, donc du $ (le $ étant une monnaie papier garantie au final par des bons du trésor, donc par la capacité de remboursement de l'état émetteur).
On revient à la menace de hausse des taux d'intérêt et de perte de pouvoir d'achat qui ne ferait qu'aggraver la crise initiale.

Au final, ce ne seront pas les politiques, mais le marché et les détenteurs (américains ou étrangers) de bons du trésor US qui décideront de cette marge de manœuvre, par leur appétit d'achat envers les bons du trésor US. Elle sera au maximum de quelques points de PIB de déficit public en plus, soit quelques centaines de milliards de $ annuels (et encore, à condition que les recettes fiscales ne chutent pas trop).
Une chose est sûre : Si cela peut "adoucir" un peu le choc en étalant la crise, rien ne pourra compenser l'absence des 4000 milliards de $ annuels de dettes supplémentaires qui ont "nourri le système" jusqu'ici.


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