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Exposition : Pixar, 25 ans d’animation

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

« Les cartes postales venant du futur » 

Réalisée par le studio Pixar lui-même, l’exposition du musée de l’Art Ludique qui se tient depuis le 16 novembre arrive à condenser et matérialiser l’oeuvre subtile de ces maîtres de l’image de synthèse avec une précision et un panache dont ils détiennent seuls le secret. Critique guidée.

© Walt Disney Studios Motion Pictures France

© Walt Disney Studios Motion Pictures France

Tout commence avec un dessin de Luxo Jr, cette petite lampe de bureau blanche timide et maladroite. Elle est le premier aperçu d’un studio expérimental créé en 1986 sous la direction d’un dessinateur licencié de Disney, John Lasseter, et soutenu financièrement par le dirigeant (un peu visionnaire il faut le dire) d’Apple, Steve Jobs. Dix ans durant, le studio innova, pixel après pixel, une nouvelle forme d’animation en trois dimensions sans aucun résultat lucratif jusqu’en 1995 et la sortie du tout premier film du genre, Toy Story. La machine était dorénavant lancée, additionnant les succès publics et surtout provoquant l’admiration de la presse. La magie opérait mais était bien différente des productions Disney. Il s’agissait de mélanger poésie, humour et pop culture. Une mixture explosive qui leur permit de dominer le marché de l’animation jusqu’à aujourd’hui.

En entrant dans la première salle de l’exposition, on comprend immédiatement que l’enjeu est bien plus complexe. Sur l’un des murs gris, on peut lire une citation de J. Lasseter, ou plutôt une devise où il énumère les critères primordiaux du studio : histoire, personnages, univers. Et bien qu’elle puisse sembler simple et éculée, cette formule n’est pas si facile à acquérir sur le terrain glissant de l’animation. Au fil de l’exposition, il est évident que l’idée n’est pas de nous faire re-découvrir des films que l’on connait déjà bien (voire trop), ni de nous vanter l’ambiance du studio dont les anecdotes sont aussi croustillantes et drôles que leurs oeuvres (un seul espace réservé aux toilettes pour que les animateurs conversent et échangent leurs idées, salles de ping-pong, personnes traversant les bureaux en skate ou en trottinette, etc.) ou de parler de l’histoire du studio (auquel personne ne croyait et fut à de multiples reprises menacé de fermer). Non, ici, il ne s’agit que de travail, d’ébauches, de croquis, d’essais, de ratés et de réussites, de prémices d’oeuvres, d’oeuvres et d’art, surtout d’art.

On nous montre tout d’abord les personnages : de leurs ébauches graphiques (dessins au crayon de Wall-E, premières morphologies de Sully, de Monstres et Cie, avec tentacules, en Minotaure et même en créature cartoonesque semi-démoniaque rouge et noire…) aux sculptures détaillées en résine (le nounours méchant Lotso et la cow-girl Jessie de Toy Story, le cafard de Wall-E dont le nom, Hal, fait écho à 2001, l’Odyssée de l’espace…) en passant par des études de couleurs (Bob, de Monstres et Cie, était mauve avant d’être vert pomme). Pour expliciter la démarche de création des personnages, un projecteur diffuse une vidéo captivante dévoilant les étapes de l’infographie pour montrer l’évolution du travail en trois dimensions, chaque étape étant reliée à une section précise du studio. C’est ainsi que de simples et minuscules chiffres blancs deviennent lignes, forment les tissus internes des personnages, se poursuivent avec une enveloppe fine et transparente qui devient épaisse et colorisée. On apprend donc qu’il était plus facile de créer le Borgne (1001 Pattes) que les voitures de Cars. La transformation est impressionnante et tient autant du dessin que de l’architecture.

Plus tard, on peut s’attarder sur les mêmes et récurrentes sculptures en résine de certains poissons du Monde de Nemo, admirer les multiples variations corporelles de Bouh, la petite fille de Monstres et Cie qui passe de l’âge de six ou sept ans à celui d’un ou deux, contempler les dessins préliminaires de Bruce, le requin aux longues dents qui tient son nom du mammifère mécanique des Dents de la Mer. Plusieurs matériaux se relaient : les crayons noirs, de couleurs, les marqueurs, les peintures à la gouache, à l’acrylique, certaines oeuvres faisant même penser au style d’un autre dessinateur viré de l’écurie Disney, Tim Burton. On s’aperçoit petit à petit que ces artistes sont pétris d’influences très sixties où les collages pour de potentiels super-héros des Indestructibles et les corps angulaires de cette famille extraordinaire reflètent une enfance imprégnée de comics autant que d’Andy Warhol.

© Buena Vista International

© Buena Vista International

Le plus beau reste pourtant les peintures numériques et les colorscripts, ces « cartes postales du futur » comme s’amuse à le dire l’un des animateurs cités sur les murs. Ces tableaux sont un mélange étrange et particulier entre la texture des pastels, la douceur rêveuse de l’acrylique et la précision maligne qu’offre le support digital. Il en surgit une rondeur enfantine et mélancolique qui inspire et même détend de façon assez mystérieuse. Nous ne sommes plus dans des ébauches ou des croquis, nous sommes dans un monde nouveau, empli de poésie et de merveilleux. Nous sommes dans ce que J. Lasseter fixait comme troisième et ultime point de sa devise : un univers. Ces peintures numériques sont des peintures, c’est-à-dire de véritables oeuvres d’art à elles seules. Et bien qu’elles ne soient qu’une marche de plus dans l’élaboration du film, elles représentent véritablement un palier où il est possible de s’abandonner. On voit Rémi contempler amoureusement les toits du Paris idéalisé de Ratatouille dans la nuit éclairée, la flore broussailleuse de 1001 Pattes, le ciel ténébreux, nuageux, d’un gris-noir inquiétant à deux centimètres de la nuée de ballons d’hélium multicolores de Là-haut. On se surprend à rester scotché par certaines images fixes qu’on a tout de même vu bouger auparavant. L’exposition prend, du coup, un tour nouveau avec les peintures numériques et confère aux artistes Pixar leur juste médaille de génies de l’animation.

On croise ensuite les décors décortiqués et méticuleux des différents films, jusqu’à quelques ébauches déjà bien avancées de paysages qui ne seront jamais visibles dans les longs-métrages. Monstre-ville de nuit et de jour (dans une atmosphère d’expressionnisme allemand mixant les structures de Metropolis et les ombres de Nosferatu) ou les tours de déchets de la Terre dystopique de Wall-E et comment elles se désagrègent au fil des siècles.

On a aussi le plaisir de découvrir les prémices de certains courts-métrages comme un story-board de For the Birds (encore une prouesse de comique burlesque qui synthétise l’esprit des films Pixar) ou une autre peinture numérique de Lifted, et ce petit martien vert maladroit et pétrifié qui passe son baccalauréat d’enlèvement spatial devant une table immense de boutons identiques et minuscules.

Emerveillé et conquis, on assiste au clou du spectacle avec un oeil nouveau bien que si ancien : un immense zootrope (ce jouet optique de la deuxième moitié du XIXème siècle faisait fureur en attendant le cinéma) de plusieurs personnages de Toy Story 2. Un hommage à celui déjà existant des studios Ghibli à Mikata, au Japon. L’intérêt, autre que divertissant et ingénieux (même le mécanisme est en 3D), est cette humilité de vouloir faire revenir l’animation à sa base. Le zootrope avait été l’un des premiers médias du dessin d’animation. Pixar n’a donc rien inventé, il a innové, sublimé. Le pont antéchronologique effectué par les ingénieurs de Pixar est même un pied-de-nez à sa propre exposition qui célèbre les 25 ans du studio quand la célébration, pour eux, aurait été les diverses inventions qui lui ont permis d’accéder au statut dont il dispose aujourd’hui.

© Walt Disney Studios Motion Pictures France

© Walt Disney Studios Motion Pictures France

Mais alors qu’on croit la visite terminée, un petit chemin obscur nous mène dans une salle de projection démesurée et elle aussi rend hommage à quelque virtuosité technique d’un ancien temps (en l’occurrence le triple écran du Napoléon de Abel Gance et de La Conquête de l’Ouest). La cerise sur le gâteau est plutôt un bouquet final des plus intelligents et des plus beaux. Une projection d’une quinzaine de minutes où les peintures, croquis, dessins et story-boards dans lesquels nous avons circulé l’instant d’avant prennent soudainement vie sous nos yeux encore gonflés. Mais là, rien n’est pareil. C’est une visite guidée sans parole, virtuose autant dans ses images que dans ses sons.

Les premières sont présentées sur un grand tableau d’affichage virtuel où nous passons d’un film à l’autre, d’un monde à l’autre, d’une ambiance à l’autre, d’un univers à l’autre en toute fluidité. Constamment, nous allons et venons d’un côté et d’un autre du cadre. Les barrières sont fausses, tout est permis, même un dirigeable peut passer d’un dessin à celui d’à côté, c’est normal, c’est Pixar. D’une flore apaisée de 1001 Pattes à une île paradisiaque dont sort une fusée, des égouts parisiens aux déserts du Nevada, rien ne semble nous arrêter.

Les deuxièmes, les sons, agissent comme un tissu foetal qui domine tout, nous comme les images. Le mixage est d’une minutie absolument incroyable, miroitant une ambiance sous-marine ponctuée de sons de nageoires et des mines rouillées se percutant calmement sortis, du Monde de Nemo, les vrombissements de moteur des Cars et les cailloux éjectés par leurs roues bondissantes. Nous sommes dans du Lynch pour enfants. L’immersion est totale.

Lorsque la sortie est indiquée, on est repu, comblé, conquis, enchanté, émerveillé. La somme importante des travaux dévoilés nous reste en tête comme une mélodie sucrée, une douce hallucination. Si l’on a pu comprendre que de vrais professionnels étaient cachés derrière la machine, on a aussi découvert beaucoup des influences qui les déterminent, les efforts pas si communs qu’ils déploient à raconter des histoires élaborées, avec des personnages construits et atypiques dans des univers aussi spectaculaires que crédibles. Une volonté de la part des auteurs de montrer que Pixar est avant tout une multitude de talents de différents bords et horizons à la même passion et à la même exigence, s’unissant pour faire ce qu’ils aiment, ce que tout artiste, écrivain, peintre ou réalisateur aime : créer et (se) divertir.

Larry Gopnik

 PIXAR – 25 ans d’animation au Musée Art Ludique

Du 16 novembre 2013 au 2 mars 2014.


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