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3000 façons de dire je t'aime – Marie-Aude Murail

Par Theoma

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Quand Molière suscite, malgré lui, des vocations.

Le nouveau roman de Marie-Aude Murail parle d'ados et de théâtre. Évidemment, je ne pouvais pas passer à côté. D'abord parce que tous les ados devraient faire du théâtre. Non pas pour la culture mais parce que c'est juste salvateur. Le théâtre sauve de tout, même de l'adolescence. Ensuite parce qu'un roman qui parle de théâtre aux adolescents mérite d'être lu. Pas évident d'aborder les classiques auprès de la génération écrans. C'est celle qui lit des livres à des enfants qui pensent voir les pages défiler comme une tablette qui le dit.

Ce que j'apprécie, entre autre, chez Murail, c'est qu'elle ne nivelle jamais par le bas. 3000 façons de dire je t'aime aura peut-être de la peine à trouver son public mais qu'importe ! Un roman qui aborde le passage à l'âge adulte, la quête de soi et la relation à l'autre en citant Shakespeare, Musset, Apollinaire, Hugo ou encore Dubillard avec tant de panache, ça se lit, se prête, s'offre, et même, se monte sur scène !

Et puis, détail dont tout le monde se fout, si j'avais 15 ans, je tomberais amoureuse de Neville. Assurément.

L’École des Loisirs, 266 pages audacieuses, 2013

Du même auteur

Charles Dickens

De grandes espérances

Miss Charity

Malo Lange, fils de voleur

Extrait

« Nous étions trois collégiens de cinquième et nous venions d'horizons si différents que rien ne nous destinait à nous dire un jour je t'aime.

Chloé avait pour parents monsieur et madame Lacouture, respectivement directeur de l'école Charles-Péguy et professeure d'allemand.

Bastien était le fils des Vion, qui tenaient un petit commerce. Comme les clients l'appelaient «le fils de l'épicerie», Bastien mit du temps à comprendre à quoi servaient les parents. Dans son cas, la réponse était : à rien.

Neville se serait appelé Steevy si la voisine de palier ne s'était emparée du prénom pour son propre fils. Magali Fersen, mère célibataire, se rabattit sur Neville, un prénom qu'elle avait entendu dans une série de la BBC pendant sa grossesse. Elle ne s'était pas avisée que le héros britannique était silencieux et tourmenté. Dès le berceau, Neville décida de lui ressembler.

Nous nous appelions donc Chloé Lacouture, Bastien Vion et Neville Fersen. Cette année-là, notre professeure de français était la célèbre madame Plantié, considérée comme folle par ses élèves et comme très compétente par les parents. Cette femme énergique et souriante était atteinte d'une allergie curieuse, elle ne supportait pas les romans qui finissent bien, qu'elle pensait écrits pour les imbéciles et les Américains. Tandis que nous autres, qui avions douze ou treize ans, des boutons d'acné, des règles douloureuses et des parents chiants, nous nous enfoncions dans la dépression de l'hiver, madame Plantié s'épanouissait en nous lisant La Mort d'Olivier Bécaille. C'était une histoire abominable où un pauvre type, enterré vivant, essayait de soulever le couvercle de son cercueil. Et un beau jour (beau pour madame Plantié, donc avec un ciel bas et lourd), notre professeure nous apprit que la prochaine séquence pédagogique serait consacrée au théâtre. Nous pouvions craindre le pire, car elle ajouta, avec des étoiles dans les yeux, que le but du théâtre était de nous faire sentir le tragique de la condition humaine. Elle avait essayé d'avoir des places au théâtre de la ville pour nous emmener voir Le roi se meurt. C'était une abominable histoire où un pauvre type, à qui on annonçait : «Tu vas mourir dans une heure vingt-cinq minutes», mourait sur scène après une agonie d'une heure et vingt-cinq minutes. Par chance pour nous, ce spectacle affichait complet, et madame Plantié dut se contenter de Dom Juan. Je crois qu'elle se consola en pensant que c'était la seule comédie de Molière qui finissait mal.

Aucun de nous trois n'était jamais allé au théâtre. »

Également lu par Hérisson, Leiloona, Lorouge, Nadael, Noukette, Philisine...


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