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Les Écritures à l'épreuve des sciences

Par Contrelitterature

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Maître Lièvre tient sa revanche !


par Dominique Tassot

Dans le livre que je viens de publier [1], je parle de l'inerrance de la Bible. Comme l'étymologie du mot le montre, « in-errance » – qui n'est même pas dans le Petit Larousse ! – signifie l'absence d'erreur. Or, l'erreur est humaine. C'est pourquoi ce mot rare est absent des dictionnaires : il ne s'emploie que pour les saintes Écritures. CeTexte est à la fois 100% de Dieu et 100% de l'écrivain inspiré et, à ce titre, ne peut comporter aucune erreur, ni dans les questions de foi et de mœurs, ni dans celles concernant l'histoire et les autres sciences. Comme l’enseigne le catéchisme, « Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper ». Mais attention ! Cette vertu si particulière, l’absence d’erreurs, ne concerne que le texte original inspiré directement à l’auteur humain ; il n’en va pas nécessairement de même pour nos traductions.  

  Depuis deux siècles, afin d’éviter jusqu’à la possibilité d’une nouvelle « affaire Galilée », des théologiens ont cru habile de se replier sur une ligne de défense simpliste : la science nous explique le « comment » ; la foi (ou la Bible, ou la religion) répond à la question « pourquoi ? ». Ils réduisent donc l’inerrance aux questions de foi et de mœurs. Or il existe dans la Bible (à la différence du Coran) un très grand nombre de passages qui décrivent des phénomènes  de l’univers ou bien des événements historiques, si bien qu’une confrontation avec les sciences demeure inévitable. La mauvaise solution consiste à mettre toute divergence avec la science du moment sur le compte des connaissances supposées rudimentaires des bergers de Palestine : alors c’est notre science qui se fait juge de ce qui, dans la Bible, est à retenir comme inspiré par Dieu et de ce qui est « abandonné à la faiblesse de l’écrivain humain ». Cette manière de considérer la Bible détruit en pratique la notion d’inspiration, même si elle en conserve le mot. Conscients du danger, quatre papes – excusez du peu ! – Léon XIII, Pie X, Benoît XV et Pie XII ont condamné toute restriction de l’inerrance à telle ou telle partie de la Bible. Mais bien des exégètes, loin de se considérer comme membres de l’Église enseignée, se donnent au contraire la mission d’expliquer au Magistère ce qu’il devrait dire, pensant peut-être que « la science a parlé, la cause est jugée »...  Je suis de formation scientifique et philosophique [2], mais, n'étant pas théologien, je trouve providentiel d'avoir eu l’accord de Mgr Brunero Gherardini (qui fut doyen de la faculté de théologie à l'université pontificale du Latran) pour signer la Préface de mon ouvrage, et celui de M. l'abbé Charles Tinotti (jeune docteur en théologie) pour ses quatre pages d'Avant-propos.

L'allusion au « Lièvre » dans le titre est pleine d'humour et peut étonner... Mais il faut se rappeler que dans le livre du Lévitique, il est affirmé – comme en passant, comme allant de soi ! – que le lièvre, et donc aussi le lapin, fait partie des ruminants (Lv 11, 6). Or, ce sympathique animal n’a pas un estomac en 4 parties comme la vache et on ne lui voit pas le bol alimentaire remonter par l’œsophage. Aristote, d'ailleurs, classa les lièvres parmi les non-ruminants, bien qu'il eût observé de la présure (en grec πυετία  puétia) dans leur estomac [3]. Malgré cela, Diderot, à l’encontre de Buffon, s'en tenait étonnamment à ce que dit la Bible [4]. Mais dès le XVIIIe siècle, la rumination du lièvre fut considérée par les rationalistes comme l’exemple type « d’erreur »  scientifique dans la Bible. Or, à la fin du XIXe siècle, un  vétérinaire français a pu observer de manière détaillée la digestion du lapin. Une science plus complète, depuis les années 1950, a montré que la rumination n’était pas une particularité anatomique, mais une transformation biochimique : les bactéries du rumen transforment les végétaux ingérés en des protéines qui remontent à la bouche en vue de leur digestion finale. Or l’estomac du lièvre possède un appendice latéral, le cæcum,  où les végétaux mastiqués sont transformés par des bactéries en petites boulettes noires protéinées, les cæcotrophes. Ces dernières sont récupérées et avalées durant la nuit directement par la bouche à l’anus. Le lièvre est donc bien un ruminant, mais la remontée du bol alimentaire est externe et n’avait pas été observée jadis. Cette histoire de la rumination du lièvre donne donc un très bon exemple à l’appui de cette affirmation de Léon XIII : « Quantité d’objections provenant de toutes les sciences ont été faites depuis très longtemps contre l’Écriture. Elles sont maintenant oubliées : elles étaient sans valeur... Comme le temps fait justice des fausses opinions, ainsi la vérité demeure et se fortifie éternellement [5]. »

  Dans la première page de la Genèse, texte très concis décrivant la Création, il est une formule répétée dix fois – insistance qui prouve son importance ! – et cette formule concerne les sciences naturelles. Il s’agit de l’expression « selon son espèce ». Et de fait, les êtres vivants nous sont rendus connaissables par l’existence de traits permanents qui traversent les générations et qui permettent de les décrire et de les nommer. Sans le concept d’espèce, il n’y a plus de science possible ! Or, la théorie de l’évolution déclare que les espèces sont des illusions, que les êtres vivants sont en transition permanente entre une forme ancestrale inconnue (qu’on cherche à retrouver parmi les fossiles, mais en vain) et une forme future indéterminée. Il est évident que si la génétique avait existé avant Lamarck et Darwin, ces derniers auraient reculé devant une telle énormité : les mutations sont toujours neutres ou régressives [6] ! La conséquence pour la religion est immédiate : si les espèces ne sont pas des réalités substantielles, l’espèce humaine n’existe pas non plus, la transmission du péché originel devient alors un mythe, et l’idée d’une Rédemption par un second Adam semblable au premier apparaît absurde.  Il est navrant de voir tant de grandes intelligences catholiques chercher à concilier Création et évolution, sans mesurer l’inutilité d’un tel travail puisque la théorie évolutionniste s'avère fausse !   

   Ce n’est pas les diverses sciences, en tant qu’elles observent et étudient le réel, que je conteste. Mais à partir de certaines données des sciences, il s’est fabriqué une « vision scientifique du monde » qui prétend tout expliquer, en particulier nos origines. Or, les lois de fonctionnement d’une chose, celles que la science met au jour, demeurent muettes sur les origines de cette même chose ; c'est là le domaine de la métaphysique. Les lois des éruptions volcaniques ne nous disent rien sur l’origine du magma ; la chimie des pigments est muette sur les causes qui ont poussé Léonard de Vinci à peindre la Joconde. Et pourtant, d’aucuns nous présentent certaines théories (à la vérité plus mathématiques que physiques) comme si elles expliquaient l’origine de l’univers et, à ce titre, dispensaient de recourir à un Créateur. C’est bien cette utilisation abusive de théories scientifiques par les athées que je conteste, et non le travail des chercheurs qui s’en tiennent aux faits observés.  Le plus navrant dans cette affaire est de méconnaître les limites de la science et, a contrario, de sous-estimer la puissance et la sagesse de Dieu.  S’il y a aujourd’hui un « désenchantement du monde » comme l’a écrit Marcel Gauchet en son temps [7], c’est bien à cause de la réduction du réel à ce que la science en dit, alors que les merveilles de l’univers (et tout spécialement celles de l’esprit et du cœur humain) ne cessent de solliciter notre admiration et notre reconnaissance envers le Créateur. Finalement, les différentes sciences, peu à peu, en viennent à confirmer le Texte biblique. Ce qui est bien dans l'ordre des choses, puisque l'Auteur des Saintes Écritures est également le Créateur de l'univers, ce fameux Livre de la Nature. Il n'y a pas, il ne peut donc pas y avoir  de « double vérité », une pour la science et une pour la Parole de Dieu. Non, il y a unité entre la raison et la foi. La « revanche du lièvre » est, en réalité, la revanche de la Bible sur la (fausse) science, ou sur une science  qui  se croit absolue, alors qu'elle est très limitée et toujours relative !   

 


  NOTES :

 

*

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Illustration de Roland BARTHÉLEMY, in Jean-François FROGER & Jean-Pierre DURAND, Le Bestiaire de la Bible, Méolans-Revel, Éd. Désiris, 1994.


[1]

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Dominique TASSOT, La revanche du lièvre... ou De la portée scientifique de l'Écriture, Préface de Mgr Brunero Gherardini, Avant-propos de M. l'abbé Charles Tinotti, Versailles, Éd. Via Romana, 2013.



[2] Cf. mes deux livres La Bible au risque de la science : de Galilée au P. Lagrange, Paris, F.-X. de Guibert, 1997, et L’évolution, une difficulté pour la science, un danger pour la foi, Paris, Téqui, 2009 ; voir aussi mes deux articles dans le blogue CONTRELITTÉRATURE : « La science est-elle matérialiste ? » (du 10 janvier 2009) et « Le message du cristal de neige » (du 7 avril 2009).

[3] ARISTOTE, Histoire des animaux, Lib. III, XVI, 12.

[4] Denis DIDEROT, article « Ruminant », in L'Encyclopédie, Genève, J.-L. Pellot, 1779, 3e édit., t. 29, p. 560.

[5] LÉON XIII, encycl. Providentissimus Deus, Rome, le 18 novembre 1893.

[6] Certains affirment qu'il peut y avoir des  mutations positives, mais  leurs preuves sont peu convaincantes.

[7] Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.


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