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Interactions entre Loups et Chiens de protection : résultats préliminaires

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Interaction entre Loups et Chiens de protection : résultats préliminaires.
Jean-Marc LANDRY/ Institut pour la Promotion et la recherche sur les animaux de protection, Suisse. Gérard Millischer, et Albin Liborio, Parc national du Mercantour.
Introduction

Jean-Marc Landry Jean-Marc Landry

Le retour du loup dans les Alpes a conduit à un changement dans les pratiques pastorales et à la mise en place des systèmes de protection. Le moyen de prévention des dommages le plus efficace est certainement le chien de protection des troupeaux (CPT) (Gehring et al. 2010) à fortiori s’il est couplé à la présence d’un berger et aux parcs de regroupement nocturne (Espuno 2004). Cependant, on assiste à une constance, voire à une augmentation des dommages depuis 2010 (Projet plan loup 2013-2017), même sur les troupeaux protégés par des CPTs. Cela pourrait signifier que nous atteignons une limite d’efficacité du CPT dans les systèmes pastoraux actuels, notamment sur les « foyers d’attaque ». Or, l'efficacité du chien dépend principalement de deux types de facteurs : le contexte dans lequel il doit protéger un troupeau (facteurs environnementaux) et son aptitude à la protection, c’est-à-dire les comportements qu’il utilise face au loup pour le faire fuir. Toutefois, l’imprévisibilité des attaques des prédateurs, les attaques plutôt nocturnes et le type d’environnement dans lequel elles surviennent rendent l’observation de tels comportements extrêmement difficile. Pourtant, leur identification et la mesure de leur impact sur les loups permettaient de créer un catalogue comportemental « aptitude des CPTs à la protection » qui pourrait devenir une base de sélection pour améliorer l’efficacité des CPTs.
Dans le cadre de cette publication, nous tentons d’apporter une première pierre à l’édifice grâce à l’analyse d’images réalisées dans le parc national du Mercantour en 2000 et 2004.
Matériel et méthode
Les images ont été tournées avec une caméra thermique mise à disposition par la société Sagem sur le troupeau de Bernard Bruno qui estivait sur le plateau de Longon en zone centrale du parc national du Mercantour. Les acteurs en 2000 sont cinq CPTs de la « race » Montagne des Pyrénées (trois femelles et deux mâles) et deux loups, puis 21 CPTs et 4 loups en 2004. Nous avons relevé le comportement (fréquence et durée) de chaque CPT face à un ou plusieurs loups et analysé la réponse de ces derniers pour en mesurer les conséquences. Comme aucun son n’a pu être enregistré, seuls les aboiements visibles à la caméra ont été relevés.
Résultats
Onze comportements différents ont été identifiés et répartis dans 4 catégories :
1) les comportements de poursuite (déterminés par la durée de poursuites),
2) les comportements de recherche du loup (3 types),
3) les comportements agonistiques (3 types) et
4) les comportements de vocalises (aboiements).
La poursuite la plus courte a duré moins de 5 secondes (quelques dizaines de mètres parcourus) et la plus longue au moins quatre minutes sur une distance estimée de 1330 à 2000 mètres. Les aboiements ne modifient pas l’action en cours du loup dans deux tiers des observations (n = 9). Sur les dix tentatives (filmées) d’un ou deux loups pour s’emparer de l’agneau mort (n=7) ou pour attaquer le troupeau (n=3), huit (80 %) ont été mises en échec par les CPTs. Les loups sont restés sur l’estive pendant un laps de temps d’environ 8 heures. Leur présence à proximité des CPTS n’a pas été systématiquement détectée par ces derniers (n = 5). Les chiens semblent les repérer grâce : 1) à leur odeur (faisceau odorant), 2) aux sons de leur environnement, notamment les mouvements de panique des brebis, 3) aux aboiements des autres chiens.
Discussion
Les résultats de ces analyses démontrent que les CPTs interrompent les actions des loups, mais sans les faire fuir définitivement. Les CPTs agiraient donc comme un stimulus perturbateur (effaroucheur mobile) empêchant le loup d’accomplir ou de terminer son action. La condition sine qua non pour la protection du troupeau est donc la présence permanente des CPTs (Coppinger et al. 1983). Toutefois, les loups reviennent même après un combat avec un CPT, suggérant qu’il n’y pas d’apprentissage d’évitement du troupeau. Les loups tiennent probablement compte de différents paramètres comme le coût et le bénéfice de leur action et le risque encouru dû à la présence des CPTs (combat et blessures). À ce titre, le « resource holding potential2 » (RHP) (Parker 1974) pourrait être une variable à prendre en compte dans la capacité du CPT à faire face à un loup pour protéger une ressource, sachant que l’agressivité est le facteur déterminant surpassant la motivation ou l’habilité à gagner le combat (Hurd 2006). Dès lors, le manque d’agressivité des CPTs face aux loups pourrait être une des variables explicatives de l’augmentation des dommages sur les troupeaux, la présence seule des CPTs n’étant plus suffisante.
D’ailleurs, des coyotes peuvent défier des CPTs craintifs, mais jamais des individus sûrs d’eux (McGrew 1982). Le CPT fonctionnerait sur deux motivations opposées: celle de poursuivre le prédateur et celle de rester au troupeau (McGrew 1982). La première serait corrélée à son niveau d’agressivité qui modulerait la distance parcourue et la seconde, à son degré « d’attachement » au troupeau. Un CPT adéquat serait donc celui qui serait capable de « pondérer » la durée de poursuite pour décourager suffisamment le prédateur, sans pour autant s’éloigner trop longtemps de la source à protéger. Les résultats préliminaires de cette étude suggèrent que la fonction première de l’aboiement n’est pas d’effrayer le prédateur, mais probablement de signaler sa propre présence, celle de l’intrus et d’alerter les autres membres du groupe.
Mais ces vocalises permettent probablement au loup de localiser le CPT et de le renseigner sur son tempérament (proximité phylogénétique). Un CPT sûr de lui produira un aboiement plus grave qu’un individu « peureux » (Landry, observations personnelles). En outre, il est hautement vraisemblable que l’aboiement des CPTs varie selon le stimulus déclencheur (par ex. loup, chien, randonneurs, etc.).
Beaucoup de bergers seraient d’ailleurs capables de discerner un danger d’après les vocalises de leurs CPTs (Landry, données non publiées). En conséquence, la localisation des CPTs et leur tempérament sont deux facteurs qui renseignent probablement le loup sur le risque encouru lors d’une tentative d’attaque.
Le tempérament du CPTs pourrait donc être un paramètre clé dans sa capacité de dissuasion et pourrait devenir une variable de sélection déterminant afin d’augmenter la qualité des chiens et leur efficacité.
Toutefois, nous sommes conscients que les facteurs environnementaux dans lesquels évoluent les CPTs et la conduite du troupeau jouent un rôle prépondérant dans leur efficacité face aux prédateurs. L’identification de ces différents facteurs fera l’objet d’une prochaine recherche.
Conclusion
Si le CPT reste le meilleur outil de protection du bétail, sa présence et ses aboiements n’empêchent pas les loups de revenir tenter d’attaquer le troupeau. Il est probable que les protagonistes soient capables d’évaluer les risques et adaptent leurs comportements en conséquence. C’est pourquoi le tempérament des CPTs et leur degré d’agressivité contre le prédateur pourraient être des facteurs clés pour la protection des troupeaux et une piste pour la sélection des CPTs en vue d’améliorer leur efficacité.
1 Quatre chiens CPTs étaient présents en 2004 (trois mâles et une femelle, trois Maremmes-Abruzzes et un Montagne des
Pyrénées), mais seuls deux sont visibles sur la séquence analysée.
2 Capacité d’un animal de gagner un combat total s’il devait avoir lieu.
Bibliographie

  • Coppinger R, J. Lorenz, J. Glendinning, and P. Pinardi. 1983. Attentiveness of guarding dogs for reducing predation on domestic sheep. J. Range Manage. 3 6:27 5-27 9.
  • Espuno, N. 2004. Impact du loup (Canis lupus) sur les ongulés sauvages et les ongulés domestiques dans le massif du Mercantour. Thèse de doctorat, Université Montpellier II. 221 pp.
  • Gehring T.M., K.C. VerCauteren and J.-M. Landry. 2010. Livestock protection ogs in the 21st Century : Is an ancient tool revelant to modern conservation challanges. Bioscience 60 (4) : 299-308.
  • Hurd P.L. 2006. Resource holding potential, subjective resource value, and game theoretical models of aggressiveness signalling. Journal of Theoretical Biology 241 : 639–648
  • McGrew J. C. 1982. Behavioral correlates of guarding sheep in Komondor dogs. Ph.D. Diss., Colo. State Univ., Ft. Collins. 230 pp.
  • Parker, G.A. 1974. Assessment strategy and the evolution of animal conflicts. Journal of theoretical Biology 47, 223-243.
  • Projet de Plan National Loup 2013-2017. Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie et Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Pêche.

Remerciements

  • Ministère de l’Agriculture et de la Pêche (programme 154 - sous action 15)
  • Parc National du Mercantour
  • SAGEM Thierry Dupoux (Paris)
  • Benoît Lequette & Floran Favier (Parc National du Mercantour)
  • Marine Colombey & Pierre Commenville (Parc National du Mercantour) Secteur Moyenne-Tinée
  • Bernard Bruno (éleveur)

ACTES DU COLLOQUE LA PREDATION, Connaître pour vivre ensemble,
FRAPNA, Lyon, 22 et 23 mars 2013


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