Magazine Médias

À quoi sert la vidéosurveillance ?

Publié le 21 janvier 2014 par Thierry Gil @daubagnealalune

vidéosurveillance

Au moment où la question de la vidéosurveillance fait débat dans la campagne municipale, relancée par la fusillade qui a coûté la vie à un jeune Aubagnais, une étude scientifique balaie le mythe d’une technologie révolutionnant la lutte contre la délinquance.

À l’occasion de la campagne municipale, la question de la « vidéoprotection », désormais « VP », s’est invitée dans le débat public. Brandie comme le Graal de la lutte contre la délinquance de voie publique par les uns ou considérée comme une forme de « flicage » par ses détracteurs qui dénoncent l’arrivée de big brother, la « VP » méritait une véritable étude scientifique pour juger de son efficacité réelle à distance de ces deux postulats. Au cours de l’année 2012, une équipe du CNRS placée sous la direction de Laurent Mucchielli* s’est attelée à cette mission : objectiver l’installation, le coût, l’utilisation et l’impact d’un dispositif, s’agissant ici des dispositifs de surveillance par caméras installées sur la voie publique.

L’étude de terrain a été menée dans une commune de près de 19.000 habitants de la région Languedoc-Roussillon, qui dispose d’un dispositif de VP particulièrement opérationnel. Cette étude a été réalisée à la demande de la municipalité qui a ouvert aux chercheurs les portes de son centre de supervision urbaine (CSU) à l’été 2012. Au moment de l’étude, 21 caméras étaient implantées sur la commune, essentiellement en centre-ville, soit plus d’une caméra pour 1000 habitants, un standard prôné par les promoteurs de cette technologie. Par ailleurs, à la préfecture comme à la direction départementale de la sécurité publique, le dispositif municipal est vanté comme le meilleur du département, son évaluation n’en étant que plus instructive.

Hormis les missions dites de « surveillance spéciale » essentiellement dédiées aux à deux rituels de la vie sociale que sont les sorties et entrées d’écoles et le grand marché de la ville, missions qui parviennent à peine à remplir un quart de l’activité journalière moyenne des opérateurs, le reste de leur temps est occupé par ce que l’on appelle la « surveillance générale ». Autrement dit les agents surveillent tout en général et rien en particulier.

Effet pervers de la « vidéoprotection » : le déplacement de la délinquance

Premier constat, l’activité du CSU s’est considérablement réduite depuis sa création en 2002 et le volet « lutte contre la délinquance » a progressivement disparu. En cause, le déplacement de la délinquance,  un phénomène déjà observé lors d’une précédente étude menée au Royaune-Uni, pays précurseur dans le domaine de la vidéoprotection (n.d.l.r.), les caméras modifiant les pratiques d’occupation de l’espace public. Dans ses résultats, le directeur de recherche au CNRS souligne l’impossibilité de mesurer  le nombre d’incidents signalés spécifiquement et en premier lieu par les opérateurs de VP, tout comme il est impossible de dire si les incidents repérés par eux n’auraient pas été signalés tôt ou tard par d’autres acteurs présents sur le terrain. Mais il apparaît de manière très claire que, dans leur flux d’activités quotidien, les opérateurs de VP ne s’occupent de problèmes de délinquance que de façon totalement marginale. Si l’on additionne, écrit Laurent Muchielli, les vols et les violences sur la voie publique, les dégradations de biens publics (type tags), la délinquance routière et les usages de stupéfiants, on parvient à seulement 6% des incidents traités.

La gestion des problèmes matériels comme le stationnement illégal de véhicules occupe en réalité 80% des interventions des opérateurs. Et si l’on y ajoute les problèmes humains posés sur la voie publique, comme la mendicité ou le repérage d’une chute ou d’un malaise, il estime que près de 94% de la gestion d’incidents concerne des problèmes matériels ou humains survenant sur la voie publique ne relevant pas de la délinquance. Celle-ci apparaît, en revanche à un autre moment : lorsque les opérateurs sont saisis de ces questions par les forces de l’ordre. Les chercheurs ont donc dépouillés le registre des réquisitions sur une période de deux ans et demi. Selon la « légende dorée » entretenue par les promoteurs de la vidéoprotection, les réquisitions viseraient à identifier une personne en train de commettre une infraction et à proposer aux forces de l’ordre une aide à l’élucidation. Mais quel est le poids réel de cette aide proposée par la VP et pour quel impact ?

L’installation de la VP n’a pas eu d’impact significatif sur la délinquance de voie publique

Un peu plus d’un millier de crimes et délits sont enregistrés chaque année par la police nationale dans la commune sur la période 2010-2012. C’est un peu plus qu’en 2002 et 2003, soit le moment où la VP a été mise sur pieds dans la ville. Ce premier élément contredit donc l’hypothèse selon laquelle il existerait un impact global dissuasif de cette technologie sur un territoire. L’année 2004 qui a suivi son installation a été suivie au contraire d’une augmentation des crimes et délits. Les chiffres indiquent que les mouvements généraux de la délinquance enregistrée n’ont aucun lien fondamental avec la VP. Les chercheurs ont affiné l’analyse en se concentrant sur la délinquance dite « de voie publique », constituée essentiellement par les vols, les cambriolages et les dégradations et le résultat n’est pas plus concluant : l’installation de la VP n’a pas eu d’impact significatif sur la délinquance de voie publique constatée par les forces de l’ordre.

A l’appui de cette étude scientifique dont on peut lire les détails dans le rapport intitulé « La vidéoprotection : légendes et usages véritables », la VP n’est pas fondamentalement une technique de lutte contre la délinquance. Pourquoi, dès lors, entretenir une croyance contraire ? Les raisons sont probablement politiques, avancent les chercheurs. Comme l’Institut national des hautes études sur le sécurité et la justice (INHESJ) finit par le reconnaître dans son rapport, l’essentiel est peut-être ailleurs : «  Si les effets de la vidéoprotection ne sont pas toujours mesurables en termes de baisse de la délinquance, le sentiment d’insécurité est toujours favorablement impacté ». C’est à tout le moins une part importante du problème que les élus locaux n’ignorent pas puisque c’est ce qui leur revient aux oreilles dans les réunions de quartier et de la part des commerçants du centre-ville, écrit le directeur de recherche au CNRS. Et de conclure dans son rapport : à côté de l’enregistrement des images aux fins de consultation éventuelle par les services de police et de gendarmerie, c’est dans la « gestion urbaine de proximité » que la VP doit être évaluée et que l’investissement budgétaire d’une commune peut être au final jugé par les élus et les habitants.

* Laurent Mucchielli est directeur de recherche au CNRS (Laboratoire Méditerranéen de Sociologie, UMR 7305 CNRS et Aix-Marseille Université)

Source : Délinquance, justice et autres questions de société, site de ressources documentaires et d’analyse critique animé par un réseau de chercheurs en sciences sociales. http://www.laurent-mucchielli.org


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Thierry Gil 4963 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossiers Paperblog

Magazines