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« R » : Un Prophète chez les Vikings

Publié le 22 janvier 2014 par Unionstreet

Les Dardenne à Alcatraz. C’est aussi comme ça qu’on pourrait titrer cet article tant les danois Tobias Lindholm et Michael Noer ne cachent pas leur goût pour les films de prison américains, pas plus que leur intérêt pour le cinéma des maitres belges du drame social. R, en fait leur premier film sorti en 2010 mais qui nous arrive quatre ans plus tard, semble être la synthèse de ces univers opposés: un polar carcéral couillu mais aussi un drame intimiste et une observation franche des marges de la société.

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Rune est un jeune criminel qui vient d’arriver en prison. Il découvre ce nouveau monde régi par les codes et les missions à exécuter. Réduit à néant, il n’est désormais qu’un numéro, que la lettre R. Dans sa quête de survie, il rencontre Rachid, un jeune musulman, avec lequel il met en place un trafic qui lui permet d’être désormais respecté. Mais leur réussite suscite la convoitise d’autres détenus, qui ne tarderont pas à leur faire savoir.

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Si le film ne nous parvient que maintenant, c’est que Lindholm et Noer on fait leur petit bout de chemin, le premier ayant été le scénariste de Submarino et de la série Borgen et le second ayant réalisé Northwest, l’autre belle surprise venue du Nord et sortie en 2013. C’est aussi parce que la comparaison avec Un prophète de Jacques Audiard – film-étalon du cinéma français, vécue par beaucoup comme un sommet d’ambition made in France et un modèle indépassable – aurait empêché de voir R pour ce qu’il est: un polar sec et tendu à la mise en scène précise. Alors c’est vrai les ressemblances ne manquent pas: Rune rentre en prison seul sans aucun contact et pour un motif inconnu, comme le jeune Malik El Djebenna, on vole son matelas à l’un comme on a pris les chaussures de l’autre, la prison est vue à travers le prisme des antagonismes raciaux  et chacun obtient la protection d’un clan ethniquement bien précis (les Corses, les Arabes, les Danois de souche…) après l’assassinat d’un rival… Sauf que voilà, R n’a pas le souffle épique d’Un prophète, il en est même très éloigné et c’est dans ses différences et ses choix de cinéma qu’il trouve tout son intérêt.

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Le niveau de réalisme atteint par les auteurs subjugue jusqu’à ébranler le spectateur tel un coup de poing dans l’estomac. La sensation de vrai est d’autant plus prégnante que le tournage a eu lieu dans l’enceinte d’une vraie prison récemment fermée et que les réalisateurs ont fait appel à d’anciens détenus et gardiens de prison. L’interprétation est d’ailleurs sans faille, quelques regards et rides sur le visage nous en disent ici parfois bien plus que des mots.

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R c’est avant tout pour Rune, avec qui on pénètre dès le premier plan dans l’enceinte de la prison (on attendra le dernier plan du film pour en sortir) et qui ne prononce pas un mot durant les 30 premières minutes du film. Un personnage avant tout passif mais qui passera à l’acte avec le meurtre sauvage de l’albanais. Il devient presque le héros de l’histoire lorsqu’il découvre le moyen de faire son trafic de drogue avec les autres ailes de la prison.

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R c’est aussi pour Rashid, jeune musulman affilié au camp des Pakistanais, petit délinquant pas bien méchant qui lui aussi veut trouver une place dans la hiérarchie des détenus qui le rejettent. Et ce, même s’il ne lui reste que quelques mois à tirer. Rashid et Rune sont en fait les deux faces d’une même pièce: deux jeunes paumés tombés par les hasards de l’administration pénitentiaire dans l’univers des « grands », deux jeunes garçons attachés à leurs mères, obligés de faire alliance dans un univers fortement ségrégationniste. Les deux ont écopé de courtes peines, pourraient attendre patiemment mais la complexité des rapports codifiés entre détenus, le double jeu des gardiens et la peur permanente les obligent presque à se brûler les ailes pour trouver une place dans leurs « familles » respectives.

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La grande force du film se trouve surtout dans la construction du récit: construit dès la première minute sur la figure de Rune, il bifurque de manière brutale sur Rashid comme pour nous sortir d’une mécanique bien huilée et nous dire quelque chose de ce monde où l’instabilité et la paranoïa sont les seuls moteurs.

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