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Dis-moi qui tu stresses, je te dirai qui tu es

Publié le 12 mai 2008 par Dje
Dis-moi qui tu stresses, je te dirai qui tu es

L'avènement de la société parallèle mise en place par la culture du tout Web a cela de fascinant qu'elle révolutionne tout ce qu'elle touche. Les principes ancestraux, les habitudes de chacun, tout est remis en cause, jusqu'au vocabulaire qui est ces dernières années en perpétuelle évolution. Il est d'ailleurs étrangement ironique que les membres de la très noble Académie Française chargés de valider les néologismes susceptibles d'entrer dans le dictionnaire soient en grande partie déconnectés de cette nouvelle donne, que ce soit du fait de leur âge ou de leur condition sociale légèrement éloignée de ceux qui réinventent en permanence la langue française. Mais nous entrons là dans un débat sans fin dont je doute qu'il puisse se résoudre en quelques lignes. Bref, parmi ces mots entrés dans le vocabulaire courant, il en est un qui est particulièrement symbolique du pouvoir démesuré d'Internet : buzz. Le buzz désigne une info, un évènement, un document qui ne vit que par le Net et dont la notoriété se mesure au nombre de clics enregistrés autour de lui. Un phénomène dont l'intensité n'a souvent d'égal que la furtivité, mais qui peut déchaîner derrière lui de nombreuses réactions en chaîne.

Le buzz du moment sur la toile, c'est la vidéo réalisée par le groupe Justice pour mettre en images leur dernier morceau : S.T.R.E.S.S. Et le moins que l'on puisse dire c'est que ce titre n'est pas usurpé, car ce clip fait monter la pression durant six minutes de violence extrême et gratuite. Un groupe de jeunes adolescents de banlieue y sont mis en scène portant capuches et blousons en cuir, semant la terreur dans la rue et les couloirs de métro, agressant les passants, abusant des femmes, mettant à tabac un patron de bar, détériorant les lieux publics avant de terminer en apothéosé par l'incendie d'une voiture. Le tout sur fond de musique stridente et entêtante, le coté esthétique renforcé par des images en noir et blanc fortement inspirées de La Haine. Enfin là ce que je viens de vous servir, c'est l'analyse simpliste et primaire que vous avez pu lire dans tous les papiers sur la question. Mais peut-être y a-t-il plus à creuser.

A la vue du clip, ma première réaction a été de me demander où étaient les images de violence extrême dont j'avais entendu parler. N'avais-je eu droit qu'à une version édulcorée ? Pourtant non. Certes la gratuité des actes est omniprésente, mais ils sont plus suggérés que réellement mis en scène. On est très loin des images crues et provocatrices d'un Orange Mécanique, inspiration supposée par les journalistes. Non, ce n'est pas ce qui est vu qui choque, mais ce qui est sous-entendu, et on rentre là dans une discussion aussi délicate que dangereuse. Car les éléments rassemblent tous les clichés les plus puants véhiculés par la banlieue. Parce que les agresseurs sont tous de jeunes adolescents, arabes ou noirs, qu'ils s'en prennent exclusivement à des blancs, et qu'ils ne respectent rien si ce n'est une logique de destruction à outrance.

Alors sous quel angle faut-il prendre cette vidéo ? Au pied de la lettre ? Bien évidement non, il n'y a que les électeurs frontistes pour croire et faire croire que ce clip a valeur de documentaire reflétant avec justesse la réalité d'une banlieue soumise à la loi des gangs. Un tel message serait particulièrement mal venu de la part du collectif Kourtrajmé, réalisateur du clip, et qui a toujours vécu grâce à l'impulsion de soutiens venus de la banlieue. Que tout le monde se rassure, la Couronne de Feu ne brûle pas encore à ce point. Du moins pas de la façon décrite dans ce clip.

Puisque cette vision des choses ne peut pas être prise pour argent comptant, quel est donc le message caché par le groupe Justice ? Est-ce du second degré, pour critiquer la surmédiatisation du moindre évènement survenu en banlieue, et montrer du doigt les journalistes qui caricaturent et désinforment sur le sujet ? C'est fort possible, surtout au vu de la fin du clip qui se termine par la mise à tabac du caméraman et une voix criant "Ca te fait kiffer de filmer ça fils de pute?". Mais permettez-moi de dire alors à quel je suis sidéré par la maladresse du moyen utilisé. Parce qu'il est fourni sans grille de lecture, sans recul, sans le moindre petit indice sous-entendant de prendre le message de façon décalée, ce clip rejoint totalement ce qu'il est censé combattre, et suit la logique de l'information choc qui par son caractère gratuitement violent inhibe le spectateur et l'empêche de réfléchir de façon rationnelle. En résumé, le propos est si ambigu que les auteurs deviennent ce qu'ils semblent critiquer.

Et si tout cela était encore plus subtil ? Si les auteurs ne s'étaient pas risqués à manier ce troisième degré, tellement subtil, tellement intéressant ? Après tout la critique pourrait toucher tout ce qui est mis en scène, aussi bien l'abandon des banlieues que la violence qu'elle génère, aussi bien l'exposition médiatique que la demande de ce genre d'images par le public, jusqu'à mettre en doute les motivations mêmes des auteurs dans une forme étrange de schizophrénie. L'explication est boiteuse j'avoue, mais pas impossible.

A bien y réfléchir, rien ne colle en fait. Aucun explication, aucun message ne convient face à cette vidéo. Et vous savez pourquoi ? Parce que je pense qu'il n'y en a pas. Après tout la définition du buzz est aussi un gros coup médiatique pour faire parler de soi, non ? Il me semble que là, on est en plein dedans... Surfant sur la vague d'un sujet qui fait toujours parler de lui, en bien comme en mal, Justice met en avant des images gratuites et choquantes dont ils savent très bien qu'elles vont provoquer un scandale. Et qui dit scandale dit exposition médiatique, et donc retombées de toutes sortes. Coup d'essai, coup de maître, puisqu'on approche le million de visionnages sur le net, alors même que les télévisions ont refusé de diffuser le clip. Plus les gens voient le clip, plus ils en parlent et y cherchent un message, plus d'autres personnes se connectent pour se faire leur propre opinion. Le silence des auteurs depuis quinze jours est un modèle du genre : laisser monter la sauce sans rien dévoiler de ses motivations pour ne pas casser le mystère. Justice rois du marketing, sans aucun doute.

Pas convaincu par cette vision mercantile des choses ? Peut-être parce que j'ai omis de dire qu'à partir du mois de juin les blousons noirs marqués du logo du groupe, omniprésents dans le clip, seront mis en vente à 700€ pièce. Vous me direz que faire passer un message n'empêche pas de rester ancré dans des réalités économiques. Peut-être. Mais dans ce cas le message a été sérieusement corrompu, et par conséquent ne mérite plus qu'on y prête attention.

(C'est donc ça nos vies... 12.05.2008)

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