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Survivre à Kaboul pour mourir au square Villemin

Par Epastol

Coincés entre la précarité et leur pays en guerre, les réfugiés afghans sont livrés encore à un autre casse-tête : le droit d’asile

Afghans 058

Ce jour-là, Hilal s’imaginerait volontiers ailleurs. Avec sa famille ou, du moins, ce qui en reste. Mais il est là, sous un soleil intraitable aux bords de Canal Saint-Martin à Paris. En deuil. Il vient d’assister à une cérémonie funèbre pour son ami, Zhadrin, tué lors d’une rixe au square Villemin, le 5 avril. « Ça faisait six mois qu’il dormait dehors, sans couverture, sans rien», soupire le natif de Kaboul de vingt-huit ans. « Il a quitté l’Afghanistan pour sauver sa vie, maintenant il y retourne dans un cercueil ».

Joues creusées, il déambule dans la file d’attente de Restos du Cœur de la gare de l’Est. Ce qui lui vaut les chamailleries d’un voisin, empressé de quérir son bol de soupe. Depuis le meurtre, l’atmosphère est tendu entre les différentes ethnies.

« Au moins, Sangatte leur permettait d’avoir un toit » remarque Yannick Danio, policier syndicaliste, affecté aux filières d’immigration clandestine. Durant trois mois, Hilal a dormi dans le square sur l’aire des jeux pour enfants. Alors qu’en Afghanistan, il était directeur d’une organisation caritative. Mais son travail lui a attiré des menaces de mort de la part des talibans. « Là-bas, si tu travailles pour l’Etat tu es foutu » s’exaspère-t-il. Pendant un an, il s’est caché dans la cave de la maison de ses parents, nourri en cachette par sa mère. « Pas de différence entre le jour et la nuit, alors, pour tenir, j’écoutais le bruit du ruisseau dehors », confie-t-il.

Droit d’asile, le parcours du combattant

Interrompu dans sa rêverie, il doit avancer dans la queue. Cheveux de jais, l’air posé, il détonne de l’allure débraillée des autres immigrés. Sur le dos : des sacs de couchage. Sous le bras : les formulaires de demande d’asile. Hilal, qui attend, ne peut pas en faire la demande.

Arrêté en Grèce, il est tombé sous le coup du règlement de Dublin qui incombe au premier pays qui l’a identifié la responsabilité de sa demande d’asile. Mais la Grèce n’accorde quasiment jamais l’asile. « Moins de 1% par rapport à 30% en France » affirme Radek Ficek, de l’association France Terre d’Asile. Autre obstacle, ce pays est largement critiqué par le Haut commissariat aux Réfugiés pour sa gestion déplorable. « On sait qu’on va envoyer la personne vers son tombeau parce qu’il n’y a pas du respect des droits fondamentaux», renchérit M. Ficek.

De fait. Zhadrin mort à vingt-six ans s’est vu refuser le droit d’asile. Comme Hilal, il a laissé sa trace en Grèce. « Les patrouilles motorisées ratissaient les rues et klaxonnaient en signe de victoire, dès qu’elles nous débusquaient », raconte Hilal d’un ton fataliste. « Je ne voulais pas laisser mes empreintes, mais c’était ça ou languir dans un centre de rétention. » Il a eu un mois pour quitter la Grèce.

Arrivé en France, le compte-à-rebours redémarre. Plus que six mois sur le sol français, avant que ses données ne disparaissent du système Eurodac. Six mois de galère. Après avoir erré toute la journée, Hilal n’arrive pas à dormir ne sachant pas où il va trouver à manger le lendemain. « Ma mère ne sait pas où je dors, si elle savait, elle pleurerait ». Au square Villemin, les histoires comme celle d’Hilal sont innombrables. « Ces gens ont déjà fui leurs pays où ils ont subi des atrocités extrêmes, ils arrivent ici et c’est encore un parcours de combattant » s’emporte Clémentine Ebert de l’association Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture. Hilal l’accepte parce qu’il a vécu le pire. Être expulsé vers son pays ou souffrir le même sort que Zhadrin, telle sont désormais ses plus grandes frayeurs.


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