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Plaisir des voyages sans fatigue

Par Carmenrob

Le compte rendu des lectures floridiennes se poursuit avec trois romans, aussi différents l’un de l’autre qu’il est possible de l’être, de superbe à intéressant, un américain, un français, un québécois.

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À tout seigneur, tout honneur. Canada de Richard Ford. C’est lui, le superbe. L’histoire est narrée par Dell, jeune américain âgé de 15 ans. Dès la première ligne, on sait à quoi s’en tenir : « D’abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres qui se sont produits plus tard. » Voilà! On se dit qu’il n’y aura plus de suspense. Et, jusqu’à un certain point, c’est vrai. Le mérite de ce livre n’est pas dans l’agencement haletant de détails qui aboutissent au drame. Il est dans le récit d’une vie qui bifurque par la faute des parents. Après le hold-up, Dell et sa sœur jumelle, Berner, suivront des chemins divergents, elle fuyant Great Falls dans le Montana vers la côte ouest, lui pris en charge par une amie de sa mère et qui le mènera chez son frère, lui-même exilé au Canada. Leur destin sera radicalement différent.
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Je crois que la force de ce roman tient toute entière dans la capacité de Ford de nous faire vivre chaque instant comme si nous y étions, par la puissance et la précision des descriptions et des réflexions intérieures du jeune homme qui compose, comme il peut, avec les événements, de nous plonger au cœur de ses incertitudes. « Rien n’est jamais clair car nous disposons tous d’un éventail de “moi” parmi lesquels choisir. » Canada est un livre sur une forme de consentement à la fatalité, au drame provoqué par d’autres, au deuil qui en résulte. Un récit de résilience. Un tribut au devoir de mémoire : « … on aurait tort de vouloir passer à la trappe des événements, même néfastes, car ils sont la seule voie qui nous mène au présent. » Leçon de profondeur et de complexité livrée par une plume limpide et élégante.

Canada a été couronné du prix Fémina étranger 2013. Pour un son de cloche additionnel, lire le billet de Gilles Archambault dans le Devoir.

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Alors que Canada se déroule pour une part dans une petite ville assez quelconque des États-Unis, puis dans un décor franchement misérable de l’Ouest canadien, Il faut beaucoup aimer les hommes de Marie Darrieussecq, prix Mécidis 2013, nous expédie dans le jet-set hollywoodien dans un premier temps, puis au fin fond du Cameroun pour le tournage d’un film. Dépaysement garanti.

aimer les hommes

Sur le quart de couverture, le scénario est ainsi résumé : « Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. L’homme est noir, la femme est blanche. Et alors? »

Elle est follement amoureuse. Et elle l’attend. Se retient de ramper. Lui, est obsédé par le film qu’il veut faire sur le Congo, par la question du racisme dans toutes ses déclinaisons. Qu’est-elle pour lui?

L’écriture de Darrieussecq est nerveuse, créative. « L’attente recommençait, l’attente comme une maladie chronique. Une fièvre engluante, une torpeur. (…) elle attendait un homme qu’elle perdait de vue, un homme comme inventé. »

Les innombrables références aux acteurs et aux réalisateurs du cinéma américain m’ont eu peu lassée, moi qui ne voit pas beaucoup de films. Elles pourraient au contraire charmer les cinéphiles. Par ailleurs j’ai aimé la capacité de l’auteur de nous communiquer la fièvre et la désespérance de cette femme profondément éprise d’un homme évanescent.

Lire aussi dans Télérama

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Enfin, Griffintown, de Marie-Hélène Poitras. Projection dans le Far West, mais un Far West inventé, presque onirique. C’est la petite enclave de l’écurie des chevaux de calèche, lieu de décrépitude, matérielle et humaine, dans l’ouest de Montréal. La beauté et la laideur y cohabitent. L’amour et la mort aussi.

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On découvre le monde glauque des hommes de chevaux et sa galerie de personnages marginaux, marqués par leur passé et enlisés dans le présent : la Mouche, le Rodeur, Grande Folle. Et celui des chevaux qui eux aussi ont un passé.

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Griffintown est le récit d’un affrontement entre l’univers des hommes de chevaux et les promoteurs d’un projet immobilier. Le sang va couler. À la manière du Far West. Et des mafieux. Et il y a Marie. Autrefois cavalière, aujourd’hui apprenti cochère, grande amoureuse des bêtes. Une note de fraîcheur dans une atmosphère de crasse et de soufre.

Griffintown, avec ses airs de conte féroce, a été couronné du prix France-Québec 2013.

Lire aussi la critique de Daniel Marois

Richard Ford, Canada, Boréal, 2013, 478 pages

Marie Darrieussecq, Il faut beaucoup aimer les hommes, P.O.L, 2013, 312 pages

Marie-Hélène Poitras, Griffintown, Alto, 2013, 210 pages


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