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« La Mercerie : une folie charentaise »

Publié le 10 février 2014 par Pantalaskas @chapeau_noir

La MercerieCette histoire ne ressemble à aucune autre. Le château de la Mercerie est à nul autre pareil. D' ailleurs existe-t-il ? C'est le sujet du livre très soigneusement  documenté de Thierry Groesteen consacré à cette aventure hors du commun

"La folie Réthoré"

Comment deux frères célibataires ont-ils consacré leur vie à un rêve fou ? Comment ont-ils poursuivi jusqu'à ce que mort s'en suive cette idée  pour laquelle tous les qualificatifs on été attribués : "Château d'opérette", "Vaisseau fantôme", "Pastiche délirant", " Trompe-l'oeil sidérant", "Extravagance mégalomaniaque" ?  Finalement ce sont les gens du village voisin qui ont fourni  la meilleure appellation : "La folie Réthoré".
Car ce sont  bien Raymond et Alphonse Rhétoré qui ont porté à bout de bras cette folie architecturale. Raymond, l'aîné, deviendra maire et député. Alphonse, autodidacte, ne quittera quasiment pas le petit château de style "néo-gothique" datant de la fin du XIXe siècle situé près d'Angoulême. Jusque là, le récit n'a rien de particulièrement étonnant.
En 1939 les deux frères entreprennent l'extension du château et projettent de le transformer en Versailles charentais par la construction d'une longue façade de style Renaissance italienne.

Le Versailles charentais

Cette aventure prend forme  après guerre. Au milieu des années Cinquante, la moitié de la façade est construite. "Plus d'une vingtaine d'ouvriers travaillent six jours par semaine, débitant et assemblant les gigantesques blocs de pierre de taille que les camions apportent depuis La Rochebaucourt, Chauvigny ou Saint-Même-les-carrières."
Pour le visiteur qui découvre au loin, dans le paysage de verdure les deux cent vingt  mètres de façade de ce petit Versailles, la vision est impressionnante. Mais le château.... n'existe pas. Derrière le frontispice : rien !

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En 1986, lorsque j'eus la possibilité de visiter ce lieu improbable, derrière l'immense  façade, les herbes folles cachaient mal quelques engins agricoles rouillés. Cette construction monumentale ressemblait à un décor Fellinien monté à la Cinecitta. Mais ici, à la place du carton-pâte cinématographique c'est une muraille en pierre de taille presque indestructible qui surgissait de la verdure. A cette époque, Raymond Rhétoré, seul survivant, n'apparaissait furtivement que dans l'encadrement d'une fenêtre, reclus dans son rêve de pierre, alors que son frère décédé reposait, selon ses dernières volontés, à jamais emmuré dans une cloison du château.
Pendant toute cette vie consacrée à La Mercerie, les deux hommes, grands amateurs d'art, accumulèrent les œuvres venues de partout, dispersées dans quelques pièces construites derrière le petit château néo-gothique. Ces Bouvard et Pécuchet s'intéressaient à tout avec une curiosité brouillonne. Seule démarche pouvant présenter une plus grande cohérence : l'incroyable collection  d'Azulejos : trente-deux panneaux constituant un superbe programme iconographique.

Azuleros de La Mercerie

Azuleros de La Mercerie

Azulejos

Pour la décoration de la Mercerie, il est décidé en effet, au milieu des années soixante, de faire réaliser au Portugal ces Azulejos sur des peintures et gravures des écoles françaises choisies par les frères Réthoré.
La Mercerie, à la mort des deux frères, a perdu nombre de ses collections vendues pour faire face aux dettes. Ni  l' Assemblée nationale, ni  le département, ni la ville d'Angoulême ne se risquent à accepter ce legs  encombrant. Le délabrement gagne alors le bâtiment. Après plusieurs épisodes de rachats sans suite, la commune de Magnac-Lavalette-Villars, à l'aide d'une association de bénévoles Saint-Étienne Patrimoine, entreprend  une restauration des parties construites et des œuvres d'art afin d'ouvrir le château à la visite en été à partir de 2013.
Raymond Rhétoré a rejoint définitivement son frère dans la muraille du Versailles charentais. La Mercerie restera un objet architectural non identifié, pour lequel deux hommes se sont confortés mutuellement dans cette fuite en avant, dans cette posture de bâtisseurs incrédibles, laissant aujourd'hui leur impossible rêve à ciel ouvert.

Photo aérienne et azuléjos : non identifiées

"La Mercerie: une folie charentaise"
Thierry Groesteen

ISBN 978-2-87449-168-9
Editions Les Impression Nouvelles  2013
Bruxelles


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