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"En finir avec Eddy Bellegueule" de Edouard Louis

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Février 2014, j’achève le dernier tome de « La Fraternité du Panca » en pensant à haute voix que la SF est morte, sinon à l’agonie. Aimant les défis, je me suis (fait) imposé douze heures de plaisir sur rail, cette semaine. Une expérience inoubliable, forcèment marquante, qui vous laissera au mieux enervé avec le dos en compote, au pire avec une haine farouche des enfants et de la moleskine verte. Au milieu coule une jolie librairie heraultaise dont les suggestions furent autant de miel à la bouche de mon portefeuille. Et puis, il y a Eddy avec sa belle gueule, couleur crème, pas donné mais apétissant malgré ses dix-sept sous. J’en ai fait la promo sur notre page facebook, il y a quelques semaines, à defaut de vous proposer une nouvelle critique (Bordage tout ça). Mon mail au service presse de Seuil étant tombé dans les limbes, et mon chagrin passé devant « The Voice », il était grand temps de revenir à une lecture sérieuse. De ranger ma carte de bibliothèque, de repasser mes chemises et de m’embourgeoiser un peu plus en achetant « le grand format ». Je serais presque enclin à le prêter, ou à fanfaroner « Tu as lu le dernier Edouard Louis », oubliant que c’est son premier ouvrage…

L’avis de Jean-Baptiste
Bienvenue chez les Picards
Edouard Louis, étudiant à Normal Sup, a 21 ans et publie chez Seuil son premier ouvrage. Avant la rue d’Ulm et les émissions litteraires, né Eddy Bellegueule au milieu d’une très modeste famille Picarde. Ce livre c’est l’histoire de cette transition, du passage des invisibles à la lumière de Francois Bunuel. 200 pages où l’auteur nous raconte sa jeunesse, alternant entre argot du cru et sa plume qui se dessine. Eddy aurait pu faire du football, se marier avec sa voisine et travailler à l’usine. Malheureusement pour ses parents, il est effeminé. Un défaut qui comme « noir », « gros » ou « bègue », condamne à l’exclusion chez les exclus. L’adolescence est une guerre pour laquelle mieux vaut ne pas partir avec un trop gros handicap. Alors, pendant des années, il subit un père alcoolique, un frère et des camarades de classe violents ou un village qui le rejette. L’expression « Au village » revient d’ailleurs très souvent, entité homogène personifiée par ses habitants à la pensée unique :
« Au village, le poids était une caractéristique valorisée » 
« Au village il n’importait pas seulement d’avoir été un dur mais aussi de savoir faire de ses garcons des durs. »
« Au village les hommes ne disaient jamais ce mot, il n’existait pas dans leur bouche. Pour un homme la violence était quelque chose de naturel, d’évident ».

Quand on y grandit, mieux vaut posséder un bon coup de fourchette, aimer le football, l’alcool et la violence. Les élements du kit ne sont pas vendus séparement, et c’est ce qui fait le tragique de la situation. On ne peut même pas dire qu’Eddy a d’autres references le plaçant en situation de rejet. Il est juste homosexuel et effeminé, ce qui le coupe de toute référence commune avec « le village » . Et c’est, sans doute, plus son côté anti-violent et féminin qui créé ce fossé. Les scènes suivant le visionage de films pornographiques en sont l’exemple. Ce que la vox populi condamne, ce n’est pas plus l’acte homosexuel que d’être celui qui ne se défend pas, qui subit. Homosexuel viril, volontaire, violent et désireux de vite sortir du système scolaire, son histoire aurait été très différente. Plus on est exclu et pauperisé, plus les frontières du groupe sont limitées et épaisses. Homosexuel, pauvre et campagnard finit par constituer, dans le cas de l’auteur, un groupe de 1 dans son village.
Une plume en construction
Edouard Louis cite Duras au début de son ouvrage, juste hommage quand on le lit. Le style emporté, les grandes phrases définitives, la fuite en avant ou les états d’ames fiévreux sont autant de dédicaces. J’y ai retrouvé un peu de « Confessions d’un masque » de Mishima, le talent d’écriture (pour l’instant) en moins, dans ce rapport au corps et à la nature, dans ses élans libertaires ou sa capacité de soudainement prendre de la hauteur au milieu d’une description. L’auteur a cherché à litteraturiser son témoignage, sans pour autant réussir à parfaitement y imprimer son style. Edouard Louis  me marque plus par le tragique récit de son personnage que par sa qualité d’écriture, ses choix litteraires ou la singularité de sa plume.  
Ce feu d’artifice de louanges sur l’ouvrage me rend mal à l’aise. Des hyènes se nourrissant sur la bête, des centaines de lignes qui se ressemblent suintant la condescendance. Pauvre petit Eddy, il a ramassé le pauvre, quelle horreur cette jeunesse, quel courage cet ouvrage. Et bien, ça y est,  il est à Normale Sup, il s’en est sorti, on n’en parle pas assez. Or l’auteur refute cette thèse. Cette fuite, elle lui a été imposée : c’est plus les autres qui ne voulaient pas de lui, que lui qui ne les supportait plus. Et il ne semble pas non plus vouloir endosser la cape de super-héros qu’on lui brode à son insu. Laissons le un peu écrire et n’en faisons pas l’exemple qu’il n’est pas. Il est bien facile de parler de misère sociale et de lutte des classes derrière son Mac, un Latte fumant à votre droite. Parce que c’est finalement ce que j’ai préferé dans ce bouquin, sa capacité à nous renvoyer en pleine figure notre déterminisme social :
« Elle ne comprenait pas que sa trajectoire, ce qu’elle appellait ses erreurs, entrait au contraire dans un ensemble de mécanismes parfaitement logiques, presque reglés d’avance, implacables. »
Coluche ne disait pas autre chose :
« Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur ! »
Eddy Louis vs Edouard Bellegueule
Edouard Louis a décidé d’en faire un (bon) livre, tant mieux, c’est son droit. Un peu de pudeur, la misère a du travail à donner à de nombreux d’entre nous pour ceux dont la charité dépasserait les portes de la capitale.
Dans deux bouchées de topinambour bio, c’est Edouard qui sera oublié au profit d’Eddy. Parce que son prochain ouvrage sera attendu. Sauf qu’Edouard n’aura peut être plus de sensationnel à raconter, qu’il aura peut être envie d’écrire sur autre chose. Et tout cela sera aussi fade qu’un film de Woody Allen. Jusqu’au retour, inévitable, devenu obligatoire. L’auteur se réappropriera son nom, tentera de faire la paix avec ses parents et retrouvera, le temps d’un ouvrage, l’étincelle médiatique de ses 21 ans :
« Je n’avais pas trouvé, comme on peut le penser, beau et émouvant. Son « je t’aime » m’avait répugné, cette parole avait pour moi un  caractère incestueux. »

A lire ou pas ?

Ayant fini d’en finir avec Eddy Bellegueule, j’attends à présent de lire Edouard Louis. Après les fleurs et la condescendance, la suite sera à coup sûr lourdement attendue, Normale Sup oblige, Tristan Garcia est passé par là. A défaut d’hurler, je concède un bon playback avec les loups, l’ouvrage étant plein de qualités pas toujours littéraires cependant.
Ci-dessous son passage à LGL comme disent les snobs :
http://www.youtube.com/watch?v=tWxMe7jvUOU

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