Magazine Banque

Interview de Laurent Quignon, Responsable de l’équipe d’Economie Bancaire à la Direction des Etudes Economiques chez BNP PARIBAS

Publié le 18 février 2014 par Sia Conseil

Nous avons rencontré Laurent Quignon, qui nous présente la Direction des Etudes Economiques de BNP PARIBAS et son analyse de l’Union Bancaire et autres règlementations bancaires en cours.

En quelques mots, pouvez-vous nous présenter les missions qui vous sont confiées au sein de la Direction des Etudes Economiques de BNP PARIBAS ?

L’équipe d’économie bancaire de BNP PARIBAS a pour mission l’étude des questions relevant de l’économie bancaire et monétaire à la demande des différentes entités du Groupe et l’élaboration des prévisions à court et moyen terme d’activité bancaire en France, qui constituent des données de cadrage budgétaire pour le Groupe.

Ses thèmes d’étude recouvrent notamment les systèmes bancaires des principaux pays développés, l’incidence des normes prudentielles sur les stratégies bancaires et le financement de l’économie – activité prenant une importance croissante ces dernières années -, et les comportements d’épargne et de crédit en France qui relèvent du champ de l’économie monétaire.

Pour mener à bien nos prévisions et analyses d’impact, nous nous appuyons sur les statistiques économiques, monétaires, les données comptables, en recourant parfois à des outils d’analyse quantitative. Lorsque cela est possible, nous élaborons une grille de lecture fondée sur la théorie économique pour interpréter et prévoir les évolutions. Une grande partie de nos travaux est réservée à l’usage interne ; toutefois, certaines de nos analyses sont publiées via des media accessibles au grand public.

Premier pilier de l’Union Bancaire, selon quelles modalités se déclinera le Mécanisme de Supervision Unique des banques Européennes ? Comment s’articulera-t-il entre les autres missions de la BCE et les différentes autorités de supervision nationales ?

Le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) est intégré à la Banque Centrale Européenne (BCE). Mais pour éviter tout conflit d’intérêts entre les missions de politique monétaire et de surveillance prudentielle, une totale indépendance est prévue entre le nouveau Comité de surveillance et le Conseil des gouverneurs. Pour autant, d’importantes synergies d’information existeront. La BCE est, en effet, un observatoire privilégié du marché monétaire, de la situation de la liquidité et des transactions effectuées par les systèmes de paiement interbancaires.

La BCE a vocation à devenir l’autorité prudentielle pour les établissements bancaires significatifs européens, lesquels au-delà de leur taille, présentent une complexité importante. Les autorités nationales conserveront pour ces établissements les missions de surveillance que le MSU ne couvrira pas (la LCB-FT[1] par exemple). Par ailleurs, elles conserveront l’intégralité de leurs missions pour les établissements de moindre taille ou pour les assurances comme dans le cas français.

Il y aura donc un réel transfert de compétences et une montée en charge progressive du MSU. Néanmoins, ces deux niveaux interagiront sur certains dossiers, et il vraisemblable que les « meilleures pratiques » mises en œuvre pour les grands établissements européens se diffuseront, localement, aux établissements de moindre envergure.

Deuxième pilier de l’Union Bancaire, à quelle nécessité répondra le schéma de garantie unique des dépôts bancaires dans la mesure où une telle garantie existe déjà en France par exemple ?

Afin de renforcer la confiance des déposants et de prévenir les ruées bancaires aux effets potentiellement déstabilisateurs, le schéma européen de garantie des dépôts[2] est un outil qui permettra d’harmoniser les dispositifs nationaux existants mais qui à ce jour étaient peu dotés. L’effort sera ainsi mieux réparti, avec une péréquation progressive entre les fonds nationaux.

Il complètera par ailleurs les différents mécanismes[3] dont se dote l’Europe afin de rassurer les investisseurs et les épargnants, et réduira la probabilité d’intervention de chaque fonds national, considéré isolément. La coexistence des différents volets de l’Union bancaire peut-être perçue comme une source de complexité par le grand public. L’efficacité de l’Union bancaire repose précisément sur la complémentarité entre ces mécanismes, qui forment un ensemble indissociable.

Comment le Mécanisme de Résolution Unique prévu par l’Union Bancaire pourrait-il limiter les impacts lors de la faillite d’une grande banque ? Quel impact aurait-t-il sur l’alea moral souvent attribué au secteur bancaire ?

La faillite d’une grande banque peut avoir un impact désastreux et peu contrôlable sur l’économie, à l’instar de la chute de Lehman Brothers ayant abouti à une purge, sans doute nécessaire à certains égards, mais excessivement brutale et déstabilisatrice. Plusieurs philosophies coexistent quant à la gestion des faillites des banques. D’un point de vue strictement intellectuel, le non-sauvetage de Lehman Brothers a permis de mieux appréhender les effets d’une faillite d’envergure et de prendre la mesure des interconnexions entre les différents acteurs et segments de marché.

L’accent doit être placé à la fois sur la prévention – c’est l’objet de la réglementation microprudentielle – et sur le traitement de la défaillance – cela relève du bail-in et de la résolution. Il est préférable que des pans viables d’une banque en difficulté ne disparaissent pas avec elle mais qu’ils fassent l’objet de rachats, comme dans d’autres secteurs de l’économie. Par ailleurs, l’alea moral[4] pour le secteur bancaire est une vision très séduisante intellectuellement, mais qui me semble largement théorique. En pratique, les décisions ne sont jamais prises au sein d’une banque importante, sous l’hypothèse d’un soutien public systématique. Cela remettrait en cause le contrat de confiance entre la direction d’une part, les clients, les collaborateurs, les créanciers et les actionnaires d’autre part.

Quelle analyse avez-vous faite de la crise financière ? La réponse apportée par la règlementation vous semble-t-elle appropriée ?

Les crises financières procèdent de manière assez immuable d’une croissance excessive des financements concentrés sur certains marchés d’actifs. Mais chaque crise se distingue de la précédente par le type d’actifs ou les innovations financières en cause, de sorte qu’une réponse appropriée du régulateur est souvent nécessaire. La crise financière de 2007-2008 fut avant tout une crise de la liquidité, d’abord de marché puis bancaire, d’où les recommandations du Comité de Bâle relatives aux deux nouveaux ratios de liquidité prudentiels.

Le renforcement considérable des exigences de solvabilité, le levier, l’encadrement du risque de liquidité, les législations relatives aux structures bancaires aboutissent toutefois à une accumulation de contraintes sur le système bancaire parfois incohérentes entre elles. L’objectif de stabilité financière est peut-être ainsi satisfait, mais au détriment des volumes de financements. Ainsi, alors que Bâle 3 réduit structurellement la capacité des banques à offrir des financements à long terme et que ces derniers devraient être idéalement relayés par le marché obligataire pour les grandes entreprises, la filialisation prévue de la tenue de marché dans le projet Barnier pourrait indirectement réduire l’attrait du marché obligataire primaire tant pour les investisseurs que pour les émetteurs. Plus généralement, le caractère endogène des réponses réglementaires et le caractère très politique des débats renforçaient le risque d’une sur-réaction. Conjuguée à un délai médian d’une vingtaine d’année entre deux crises d’envergure, l’importance des enjeux justifiait sans doute davantage de recul.

Selon vous, quelles activités ne seraient pas encore assez régulées ?

Le développement considérable de la finance parallèle, en lien avec les nouvelles contraintes qui s’appliquent à la sphère régulée, est potentiellement porteur de nouveaux risques. Le Financial Stability Board et la Commission européenne mène actuellement des travaux qui visent à mieux les appréhender et les contrôler. Mais là encore, il importe de séparer le bon grain de l’ivraie, de faire la part des choses entre les activités utiles au financement de l’économie et à la liquidité de marché et les activités potentiellement dangereuses.

D’après les études que vous avez menées, quels sont les impacts des nouvelles exigences de liquidité sur notre économie ?

Les travaux que nous avons menés[5] démontrent que les nouvelles exigences de liquidité auront des impacts quantitatifs sur le financement de l’économie européenne, qui pourrait conduire à deux nouveaux équilibres en matière de financement.

Sous l’angle de l’analyse économique et pour la partie des HQLA[6] constituée sous forme de réserves excédentaires auprès de la Banque centrale, le ratio de liquidité à court terme n’est rien d’autre qu’un coefficient de réserves obligatoires. Ainsi, il abaisse mécaniquement le multiplicateur du crédit, c’est-à-dire le multiple qui détermine la quantité de financement bancaire à partir du stock de monnaie Banque Centrale. Si la politique monétaire ne devient pas durablement accommodante, il est à craindre que la capacité de financement de l’économie réelle par les banques diminue significativement.

Actuellement, quels seraient les symptômes révélateurs de l’analyse que vous dressez ?

Il est évident que les injections de liquidité par la Banque Centrale n’ont pas l’efficacité attendue sur les encours de crédit bancaire et que les nouvelles normes prudentielles de liquidité n’y sont pas étrangères.

Dans une période de stagnation de l’activité réelle, la demande de financements est faible, et les éventuelles contraintes d’offre ne sont pas perceptibles. Cela est pernicieux car la contrainte pourrait se manifester au moment de la reprise. Des mesures structurelles, telles que l’élargissement des collatéraux éligibles à la Banque Centrale, seraient nécessaires pour maintenir un niveau suffisant de monnaie banque centrale afin de compenser la baisse du multiplicateur de crédit.

Les récents rapports publiés par l’EBA sur les effets du LCR sur la politique monétaire ne traitent nullement des effets indésirables que nous avons soulignées, et éludent la question de l’impact d’un retrait des LTRO[7] sur les niveaux actuels de LCR, notamment des banques d’Europe du Sud. Des études d’impacts complémentaires seraient donc nécessaires.

Quelles conclusions d’ensemble tirez-vous des nombreuses nouvelles contraintes règlementaires reposant sur les banques ?

Si chaque mesure règlementaire, prise individuellement, apporte souvent une réponse justifiée au regard de la stabilité financière, les différentes contraintes imposées par le régulateur et le législateur interagissent entre elles. Leur empilement désordonné n’est pas exempt de risque pour l’activité économique et son financement.

Un exemple d’incohérence est celle existant entre la nécessaire désintermédiation des financements, les entreprises étant incitées à se tourner vers le marché obligataire, et la raréfaction des ressources financières des agents non financiers inhérente à la moindre création monétaire.

Propos recueillis par Sia Partners

PARCOURS

Laurent Quignon est Responsable de l’équipe d’Economie Bancaire au sein de la Direction des Etudes Economiques chez BNP PARIBAS. Suite à l’obtention d’un DEA en sciences économiques, il a intégré le groupe PARIBAS en 1999 en tant qu’économiste en charge de la zone euro. Lors de la fusion, en 2000, il a rejoint l’équipe d’économie bancaire, dont il a pris la responsabilité en 2007.Les fonctions qu’il occupe lui permettent d’être un observateur privilégié de l’évolution des systèmes bancaires, du financement de l’économie et de la règlementation bancaire, dont il évalue les impacts pour le compte de BNP PARIBAS. Une partie des travaux est disponible dans des publications accessibles au grand public.


[1] : Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

[2] : Les dépôts seront garantis dans la limite de 100 000€ par banque et par déposant

[3] : Mise en place du MES, de la procédure de bail in …

[4] :   Théorie selon laquelle les banques prendraient plus de risque dès lors qu’elles bénéficieraient d’une garantie implicite de l’Etat en cas de crise

[5] : Publication « Bâle III, le multiplicateur du crédit et la politique monétaire », disponible sur le portail des études économiques de BNP PARIBAS :

http://economic-research.bnpparibas.com/Views/DisplayPublication.aspx?type=document&IdPdf=23484

[6] : High Quality Liquidity Assets

[7] : Long-Term Financing Operation


Tags :

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sia Conseil 159 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines