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L’oubli des erreurs de jeunesse sur internet : vers une « loi gomme » ?

Publié le 18 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Roseline Letteron.

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Le député socialiste du Finistère Gwenegan Bui interroge le ministre de l’économie numérique, Fleur Pélerin, sur l’éventuelle mise en œuvre en France d’un « droit à l’effacement des empreintes numériques personnelles sur internet pour les mineurs ». La question écrite, publiée au Journal officiel du 11 février 2014, témoigne d’une préoccupation réelle, puisque Dominique Baert, député du Nord, avait déjà interrogé le ministre de la justice sur cette même question, le 27 novembre 2012.

Le droit à l’oubli des mineurs

La question écrite de Gwenegan Bui est parfaitement claire sur l’objet de ce droit à l’oubli. Il s’agit en effet d’effacer les « erreurs de jeunesse sur internet », erreurs qui peuvent « être lourdes de conséquences », en particulier pour l’avenir professionnel de ces jeunes. Imaginons, et l’exemple est choisi au hasard, un adolescent qui met sa photo en maillot de bain sur « Les Copains d’Avant » et qui, une dizaine d’années plus tard, obtient un poste prestigieux dans la diplomatie. On peut penser que sa préoccupation sera alors d’obtenir l’effacement d’un cliché devenu embarrassant.

La finalité du droit à l’oubli nous éclaire sur son éventuel titulaire. Dès lors qu’il s’agit de faire disparaître des erreurs de jeunesse, le titulaire du droit n’est pas seulement le mineur mais toute personne qui souhaite la disparition de données mises en ligne lorsqu’elle était mineure. Autrement, un tel droit pourrait être invoqué par des majeurs désireux d’effacer les stigmates d’une utilisation un peu dissipée des réseaux sociaux au temps de leur jeunesse folle.

La « Loi Gomme » californienne

À l’appui de sa question écrite, le député Bui invoque la « Loi gomme » (« Erase Law ») californienne qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015. La Senate Bill 568 a un contenu plus large que le seul droit à l’oubli, puisqu’elle interdit aux propriétaires et gestionnaires de sites internet de développer des campagnes publicitaires visant spécifiquement des mineurs, dans le but de promouvoir des boissons alcooliques, du tabac, des armes ou des munitions. Sur ce point évidemment, la loi californienne ne constitue pas un modèle pour le droit français, car les publicités pour l’alcool et le tabac sont déjà réglementées, et fort heureusement l’achat des armes est interdit aux mineurs.

En revanche, la « Loi gomme » offre au mineur la possibilité de demander la suppression d’un contenu qu’il a lui même déposé sur un site. Elle impose même aux sites d’informer les intéressés de cette possibilité. C’est évidemment cet aspect qui intéresse directement les parlementaires français, qui y voient une des premières consécrations de ce nouveau droit à l’oubli.

Sans doute, mais cet enthousiasme pour le droit californien, sans être franchement douché, doit tout de même être nuancé. D’une part, la loi prévoit que les titulaires du droit à l’oubli sont les mineurs eux-mêmes, et pas les mineurs… devenus majeurs. Les intéressés ont donc intérêt à acquérir rapidement la maturité requise pour prendre conscience de leurs erreurs.

Surtout, la « Loi gomme » ne vise que les données déposées sur internet par le mineur lui-même, et non pas par des tiers. Autrement dit, les photos déposées par ses amis ou ses parents ne sont pas concernées, ce qui réduit considérablement l’étendue de la protection de sa vie privée. C’est d’autant plus vrai lorsque les données sont déposées par des parents qui sont généralement majeurs et ne peuvent donc s’appuyer sur un droit à l’oubli identique pour demander l’effacement des données.

Précisément, la notion d’ « effacement » des données pose problème. La loi californienne énonce ainsi que les mineurs ont le droit « to request and obtain removal » des données personnelles déposées sur un site. Comment traduire ce « Removal » ? A priori, il s’agit d’obtenir le « retrait » de ces données, mais pas nécessairement leur disparition définitive du site. Autrement dit, les informations ne seront plus visibles par les tiers, mais rien ne garantit qu’elles seront inaccessibles aux services spécialisés, par exemple la NSA. Elles pourraient également demeurer dans des archives, éventuellement accessibles à des employeurs, ou à des entreprises désireuses d’établir des profils de consommation.

L’exemple californien n’est donc pas si exemplaire que cela, et la « loi gomme » vise surtout à limiter les dégâts pour la vie privée des jeunes, sans toutefois offrir aux intéressés la maîtrise complète des données les concernant.

Men in Black 3. Barry Sonnenfeld. 2012. Tommy Lee Jones, Will Smith

Barry Sonnenfeld, Men in Black 3, 2012, Tommy Lee Jones et Will Smith.

Le droit de l’Union européenne

Au lieu de regarder outre-Atlantique, le député Bui devrait peut-être regarder le droit plus proche de nous. Pourquoi pas le droit français ? La loi du 6 janvier 1978 énonce ainsi, dans son article 38, que « toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données la concernant fassent l’objet d’un traitement ». Rien n’interdit aux mineurs d’invoquer cette disposition, et donc d’obtenir l’effacement des informations et données les concernant. Encore faut-il, évidemment, qu’ils soient informés de son existence.

Mais le droit de l’Union européenne présente aussi des perspectives intéressantes dans ce domaine. Dans sa réponse à la question posée par le député Dominique Baert en 2012, Christiane Taubira affirmait que « la France participe activement aux discussions relatives au projet de règlement général sur la protection des données, présenté par la Commission européenne le 25 janvier 2012″. Ce texte, dans son article 17, consacre un « droit à l’oubli numérique », dont toute personne est titulaire, y compris les enfants. Si l’on en croit ce que la CNIL affiche sur son site, le règlement devrait entrer un vigueur durant l’année 2014.

Mineur à protéger ou adulte en devenir

Le droit à l’oubli n’est donc pas inconnu du droit français comme de celui de l’Union européenne. Il repose cependant sur l’idée d’égalité devant la loi et les enfants ne sont pas traités de manière spécifique, si ce n’est lorsque la règlementation européenne affirme que leurs parents sont compétents pour autoriser, le cas échéant, la collecte, la conservation et la diffusion de données personnelles les concernant. Au regard du droit à l’oubli, ils peuvent obtenir l’effacement des données personnelles les concernant, à la condition toutefois d’obtenir l’assistance de leurs parents.

De son côté, la loi californienne présente l’intérêt d’insister sur la situation particulière des enfants et adolescents. Et il est vrai que ces derniers ont souvent tendance à étaler leurs données personnelles, et notamment leur image, sur les réseaux sociaux. Le législateur se propose alors de protéger les mineurs contre eux-mêmes, en leur offrant la possibilité d’un repentir.

Le choix du « modèle » californien conduirait à adopter un dispositif législatif spécifique destiné à offrir une meilleure protection à une catégorie d’usagers d’internet particulièrement vulnérable car inconsciente des dangers que représente la collecte des données relatives à la vie privée. Ce peut être une solution, mais seulement dans l’hypothèse où le droit issu de la loi de 1978 et du droit de l’Union n’offrirait pas de protection suffisante aux mineurs. Or, il n’est pas impossible d’élargir à ces derniers le droit à l’oubli figurant dans le projet de règlement européen ou, le cas échéant, de modifier en ce sens la loi du 6 janvier 1978. En tout état cause, et quelle que soit la solution finalement choisie, ces dispositifs ne sauraient prospérer que s’ils s’accompagnent d’une sensibilisation réelle des mineurs aux dangers que représente internet pour la vie privée de l’adulte qu’ils seront bientôt.


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