Vous ne connaissez pas encore Emmanuel Giboulot ? Vous allez en entendre parler : son cas relève de la recette presque parfaite pour un festival médiatique assuré.
Tout commence il y a plusieurs mois de cela. L’histoire est relatée, de façon confuse comme d’habitude, par le tâcheron de permanence dans l’une des rédactions nationales et qui la résume ainsi : un viticulteur qui exploite une vigne en biodynamie devait y épandre un insecticide afin de la protéger de la cicadelle, vecteur connu de la flavescence dorée, qui n’est pas une décoration d’intérieur à la Valérie Damidot mais une sale maladie qui tue la vigne après une année d’incubation. Comme le viticulteur, le maintenant fameux Emmanuel Giboulot, veut absolument conserver son cachet « biodynamie », il refuse d’utiliser l’insecticide chimique qui lui est imposé par arrêté préfectoral arguant du fait qu’il n’y avait aucun foyer connu dans son département.
Et il va même plus loin : il refuse d’utiliser le Pyrevert, un insecticide qui permet pourtant de conserver le label bio. En effet, ce pesticide « bio » a furieusement tendance à dégommer un peu trop d’insectes et, comme neurotoxique, est aussi dangereux pour les humains et pour l’environnement en général (mais pas suffisamment pour perdre le label bio – ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle, c’est magique).L’affaire prend une tournure intéressante à la suite d’un contrôle de la DRAAF, l’une de ces myriades d’officines obscures payées par vos impôts dont le but ultime, si ce n’est officiel, est essentiellement de vous empêcher de vivre tranquillement ou de faire le moindre profit dans votre coin. Le viticulteur n’a rien épandu, c’est très mal et il va falloir le fouetter en place publique ou, alternativement, le traîner en justice parce que bon, dura lex sed lex il fallait répandre de l’insecticide et puis c’est tout.
Et c’est ici que tous les éléments s’enchaînent pour obtenir cette soupe médiatique épaisse de n’importe quoi avec de vrais morceaux lacrymogènes dedans : rapidement, des associations bio-éco-conscientes s’emparent de l’affaire, expliquant dans de larmoyants paragraphes que le pauvre viticulteur va être jeté en prison, que son procès le condamnera à plaider, entre un proxénète et un cambrioleur, une cause qu’on sait déjà perdue d’avance (les industriels méchants étant à l’évidence de connivence derrière cette dérive dramatique de la justice), et qu’une bonne petite pétition des familles est la seule alternative crédible pour sauver le malheureux des galères républicaines (signez ici). J’exagère si peu que rapidement, Emmanuel Giboulot est devenu le symbole du martyr bio, obligé de choisir entre la prison et la pollution.
Le procès a eu lieu ce lundi et, finalement, les choses se sont un peu calmées puisqu’en définitive, le viticulteur échappe (pour le moment !) au bûcher public puisqu’à défaut d’une lourde peine de prison, la peine requise est une amende de 1000€ dont 500 avec sursis. Gageons, si elle est confirmée, que les nombreux supporters sauront se rassembler pour l’aider à payer la partie ferme et si les signataires de la pétition (400.000 apparemment) filent chacun un seul petit euro à notre malheureux viticulteur bio-dynamicien, il n’aura pas perdu son temps.
Tout ceci est, à bien y réfléchir, assez symptomatique du bordel ambiant dans lequel le pays s’enfonce mollement, tendrement et volontairement, et on peut regretter que cette affaire n’ait été nulle part l’occasion d’une vraie réflexion de fond sur le bio, ses implications et ses limites, sur la liberté d’exploiter un terrain dont on a la propriété et sur sa responsabilité lorsqu’on choisit ou non de le traiter.Toutes ces questions ont été soigneusement évitées des articles plus ou moins enflammés des centaines de partisans d’une agriculture sans pesticides. C’est dommage, elle aurait peut-être permis quelques réflexions intéressantes.
Ainsi, je comprends parfaitement l’intérêt (économique ou sanitaire, peu importe ici) de limiter autant que faire se peut l’usage des insecticides et je comprends aussi l’intérêt d’un label bio. C’est un marché, qui prouve tous les jours que des individus sont prêts à payer plus cher pour une nourriture ou des procédés d’exploitations (agricoles, fermiers, viticoles, …) qui respectent un certain cahier des charges. Après tout, tant qu’il s’agit d’une offre et d’une demande volontaire, pourquoi pas ?
Je comprends aussi parfaitement que les exploitants qui n’ont pas besoin du label souhaitent conserver une assurance raisonnable de pouvoir exploiter leur vigne comme ils l’entendent, avec les insecticides de leur choix et en évitant autant que possible les contaminations venant d’autres parcelles, bio ou non.
Ces deux points de vue se tiennent, mais il faut l’intervention musclée et omniprésente de l’État pour qu’ils viennent l’un en collision frontale de l’autre. En effet, dans un monde où les exploitants sont renvoyés à leur liberté et à leur responsabilité personnelles, celui qui choisit d’utiliser des insecticides sera rendu responsable des pertes d’exploitation ou de label d’une parcelle voisine qui serait bio et aurait été malencontreusement aspergée. Inversement, un exploitant incapable de se prémunir d’une infection, parce que bio, par exemple, courra le risque d’être poursuivi par des exploitants adjacents qui, eux, auraient fait le nécessaire mais se seraient retrouvés infectés par la négligence (ou la méthode inadaptée) de leur voisin.
Autrement dit, l’exploitant individuel se trouverait ici confronté à un vrai calcul de risque et du coût attaché à le subir ou à s’en protéger, calcul qui se serait à la fois traduit par une adaptation de ses prix, et de celle de ses assurances d’exploitation. Heureusement, grâce à l’intervention de l’État qui vient interdire et obliger tout en normant et en régulant, ces coûts sont habilement collectivisés, reportés sur d’autres, déformés à tel point qu’on en arrive au pataquès décrit ci-dessus.
Si l’on y ajoute le zèle des préfets qui, sans y comprendre quelque chose, préfèrent certes prévenir que guérir mais, le doigt sur la queue de détente, distribuent de l’arrêté comme certains les pains et d’autres les uppercuts, que les médias s’en mêlent avec le calme et la pondération qui font leur marque de fabrique, et si l’on enrobe tout ça de l’inévitable couche d’hystérie des associations bio-éco-conscientes aux sentiments paranoïaques exacerbés, on comprend qu’il sera vite impossible, justement, d’exercer sa responsabilité d’exploitant.
Ceci n’est pas fortuit : la responsabilité, ça chatouille, ça picote, et ça impose surtout une certaine liberté. Or, dans le bio, la viticulture ou même n’importe quel autre domaine où des risques existent, des vagues permanentes de personnes apeurées ont utilisé, sans arrêt, la puissance de leur lobbying (qu’il fut électoral, industriel, syndical, médiatique ou politique) pour, justement, accorder à l’État toujours plus de prérogatives, protéger du risque et se décharger de sa responsabilité. Combien de fois ces mêmes associations qui louent maintenant la liberté d’agir de l’exploitant se sont-elles débrouillées pour pousser telle loi, tel arrêté, telle mesure visant à imposer leurs vues sur la libertés des autres ?
A présent, de lois en décrets en arrêtés, grâce à la frénésie ininterrompue d’interventions des uns sur les vies des autres, l’État décide d’à peu près tout, et le citoyen, d’à peu près rien. Et le pays, lentement, se transforme en champ de bataille de tous contre tous.
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