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Venise, les masques de la modernité

Publié le 02 mars 2014 par Oliaiklod @Olia_i_Klod

Le carnaval, rétabli à Venise en 1980, a généré une industrie de masques, de costumes et de souvenirs en tout genres.

En arrière-plan de l’histoire du Carnaval de Venise et du lent processus de sa mise en mémoire, une physionomie propre au carnaval de Venise se profila à partir de la seconde moitié du XIIIème siècle.
L’habitude de se masquer commença à se répandre après la conquête du Levant en 1204, selon l’hypothèse de Pompeo Molmenti qui se base sur les textes officiels réglementant l’usage des masques. Il est vrai que le faible nombre de documents à notre disposition laisse supposer que ceux-ci restèrent longtemps sporadiques. Un masque d’homme sauvage est mentionné au début du XIIIème siècle en Vénétie dans un drame joué en 1208 à Padoue à Pra della Valle, qui fut, selon Ferdinando Neri, un magnus ludus de quodam homine salvatico.

Dans la seconde nouvelle de la quatrième journée du Décaméron (1349-1353), qu’une allusion à la fête des Marie permet de situer en carnaval, Boccace met lui aussi en scène un masque d’homme sauvage (uomo selvatico) à l’occasion d’une chasse qu’organise place Saint-Marc le frère Alberto déguisé en Ange Gabriel.

Quelques décrets du Grand Conseil documentent l’existence de masques dans les décennies suivantes : l’expression de la violence dans le carnaval fut révélée en 1268 par l’interdit pour les personnes en masque de lancer des œufs depuis les fenêtres.

George Barbier

George Barbier
"Les Fêtes Galantes"
Feu d’Artifice à Venise
1921

Si, à l’image du svolto blanc, qui continue d’occuper une place centrale, on observait, dans les premières années de la décennie 80, la blancheur originale des masques, qui traduisait la preuve de son authenticité historique, cet objet symbolique du carnaval a rapidement connu des métamorphoses.

La tentation de l’érudition historique a prévalue jusque dans les années 1990, puis, le commerçant vénitien a pris le pas sur l’amateur d’art et d’histoire.

Les artisans vénitiens ont commencé à ajouter des masques inspirés de la comedia dell’arte.

Puis, les formes ont été modifiées, agrémentées de teintes variées, les masques ont été parsemés de brillants qui sont devenus, petit à petit la marque du masque contemporain.

Pour les touristes pressés, ces masques bariolés aux formes grotesques sont devenus le symbole, bon marché, de l’originalité de Venise, obéissant aux objectifs de rentabilité, répétitivité et faible coût que le tourisme de masse et la société de consommation ont imposés à la cité lagunaire.

Pietro Longhi - L'arracheur de dents

La référence aux tableaux de Pietro Longhi est de moins en moins évidente, bien que l’on assure tout les jours que le Carnaval de Venise est le plus baroque du monde.

S’il arrive encore aujourd’hui que des costumés portent le masque blanc, il se parent en même temps d’un costume d’époque, riche en couleur, qu’ils ne tentent surtout pas de dissimuler sous un manteau noir, le fameux tabarro, à la différence de leurs ancêtres du siècle des Lumières.

Au XVIIIème siècle, riches et pauvres dissimulaient leur origine sous un vêtement sombre qui les faisaient paraître anonyme.

Pendant le carnaval de nos jour, tous se réclament d’une aristocratie et de richesses ostentatoires, en cohérence avec notre époque de parvenus, alors que, pour l’immense majorité, ils n’en ont ni le sang, ni l’origine, ni les moyens. C’est pourquoi, le Carnaval de Venise, dont les organisateurs se gargarisent en prétendant qu’il est celui du raffinement et de l’élégance, n’est, en vérité, pour la plus grande partie des touristes qui passent dans la ville durant ces dix jours, que la fête commerciale de la médiocrité et de la vulgarité.

Pour le raffinement, il faudra attendre le soir, derrière les murs, ou se rendre dans des quartiers plus discrets de la ville, loin du tumulte populaire.

Sources bibliographiques :

F. Neri, La maschera del selvaggio, Giornale Storico della Letteratura Italiana, vol. LIX, 1912, p. 47-68.
G. Boccace, Decameron, éd. Vittore Branca, Giornata IV, novella 2, Turin, Einaudi, 1980, vol. 1, p. 501
G. Bertrand, Histoire du carnaval de Venise : XIe-XXe siècle, Ed. Pygmalion, 2013


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