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L’Agence publique de vérification, une réforme institutionnelle possible ?

Publié le 04 mars 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Adel Taamalli.

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Partout en Europe se profile la situation par laquelle des partis d’extrême droite auront plus de chance de s’emparer du pouvoir par les urnes. La démocratie européenne semble malade de l’un de ses maux qui ne disent pas leurs noms mais que tout le monde ressent, résultat d’une sorte de synthèse entre trois phénomènes distincts qui se nourrissent réciproquement : les attentes déçues d’un grand nombre de citoyens vers le mieux-être social ; la réalité économique morose de beaucoup de pays européens qui impose un pragmatisme de fait dirigeant sous la contrainte les efforts de tous vers plus ou mois d’austérité ; et la conduite des affaires par les élites politiques qui, une fois au pouvoir, sont plus ou moins incapables de tenir leurs promesses électorales qui ont rendu possible leur ascension vers la plus haute des marches.

Et c’est justement cet ensemble qui rend plausible l’idée que des partis comme le Front National puissent un jour remporter les élections nationales et gouverner de droit, avec tous les risques pour la paix que ce genre de groupements populistes fait courir à l’Europe, voire au monde. Ne doit-on donc pas repenser la démocratie et le fonctionnement de ses institutions afin de lutter efficacement contre cette montée des populismes dans les urnes ?

Je propose, pour répondre à cette problématique, une solution d’ordre constitionnel qui, parmi d’autres, pourrait empêcher à ce que la discorde se fasse plus grande entre la masse des citoyens et leurs hommes politiques et permette, in fine, au populisme de s’emparer du pouvoir. Il faut donc détailler cette solution qui se traduirait par la création d’une « Agence publique de vérification », en prenant l’exemple de la France. Il faudra, avant de détailler ce que pourrait être cette agence, présenter succinctement le hiatus existant en France entre les promesses électorales et l’exercice effectif du pouvoir.

Le hiatus entre promesses électorales et exercice effectif du pouvoir

Souvent, lorsque l’on écoute ou l’on lit les spécialistes de la vie politique s’exprimer sur l’action en cours d’un président de la République ou de son gouvernement, l’on peut être fondé à ressentir de l’effarement et de l’étonnement devant le fait qu’ils semblent avoir intégré le fait que des promesses électorales pouvaient ne pas être tenues, comme si cela allait de soi. Ainsi de ce qui est dit de François Hollande, qui, depuis qu’il a amorcé son virage « social-démocrate » lors de son allocution du 31 décembre dernier, est comparé à François Mitterrand, son illustre prédécesseur socialiste à l’Elysée. Comme lui en effet, il s’est fait élire grâce à des promesses de gauche (recrutement de 60 000 professeurs sur cinq ans, rétablissement de la retraite à 60 ans pour les personnes ayant cotisé 41 années, la taxe à75% pour les revenus de plus d’un million d’euros…), en jouant le rassemblement, indispensable pour la victoire, de son camp sur les valeurs de gauche (mais en tenant aussi compte de la formidable percée de Jean-Luc Mélenchon sur sa gauche). En suivant les pas du premier président socialiste de la Vème République, sa parole présidentielle a résolument pris au départ des accents de gauche, et ce, malgré des mesures que la droite aurait sans doute entreprises si elle avait été aux affaires, telles que le crédit d’impôts aux entreprises de la fin 2012 (afin de limiter le coût du travail) ou la hausse de la TVA de 19,6 % à 20 % afin de se procurer les montants correspondants à ces allégements (ces actions mises ensemble ressemblant à s’y méprendre à l’instauration de la TVA sociale annoncée par Nicolas Sarkozy avant l’élection présidentielle de 2012 mais aussitôt annulée par son successeur).

Seulement, la réalité économique, qui se traduit par une hausse continue du chômage au sein de la population active malgré sa conviction affichée qu’il réussirait à en inverser la tendance, a rattrapé le président et l’a obligé à infléchir sa politique. À l’image de François Mitterrand qui dut dès 1983 (soit deux ans à peine après son élection) initier une douloureuse politique de rigueur, François Hollande se déclara ainsi en faveur d’un infléchissement de sa politique et décida, pour lutter contre le chômage, la mise en place du Pacte de responsabilité actuellement tant décrié par certains syndicats, ce qui peut-être donnera l’occasion à terme au PS de liquider son héritage socialiste dont il a du mal, en toute schizophrénie, à se défaire, malgré le contexte de mondialisation actuelle qui l’invite à le faire, et dans laquelle domine sans conteste le libéralisme et le capitalisme.

Bien que logique, puisque ce tournant libéral semble nécessaire au vu de la conjoncture, qui n’a par ailleurs guère évolué depuis 2012 avec cette crise économique qui perdure, une croissance atone et un fort taux de chômage, François Hollande n’a jamais affiché une telle volonté lors de sa campagne électorale ni assumé pendant les deux premières années de son quinquennat cette tendance dans les quelques mesures qui l’annonçaient. Il déçoit ainsi tous ceux qui, non connaisseurs de la science technocratique, ont choisi de lui confier leurs suffrages. Il se pourrait bien que les trajectoires sociales de ces votants, si elles les menaient à connaître de plus en plus de difficultés, les incitent à quitter le giron de la gauche gouvernementale pour s’enkyster dans la cohorte de ces désemparés qui regardent vers les extrêmes, dont celui du bord droite de l’échiquier politique, le Front national.

Ne doit-on pas mettre en place des garde-fous censés nous protéger contre des promesses démagogiques dont il est certain, objectivement et au regard de la situation de notre pays qui dépend d’une conjoncture plus ou moins souveraine, qu’elles sont non-tenables ? Pourquoi donc l’État, lui qui est l’émanation de la société et du peuple souverain dont il cherche à garantir le bien-être (physique, social et éthique), ne se procurerait-il pas un instrument capable de tous nous prémunir contre de tels risques de hausse du populisme ? N’est-ce pas par une Agence publique de notation des programmes et de l’action des gouvernements, que l’on pourrait développer un tel instrument ? Exposons quelques pistes de réflexions sur une telle agence publique…

Une Agence publique de vérification au service du peuple français

La créativité est le propre de l’homme. L’une des sphères dans lequel il peut faire preuve de son génie réside dans les institutions qu’il se crée pour organiser sa vie publique. Depuis pas moins de deux siècles, l’Europe, en suivant certes un chemin tortueux fait d’innombrables retours en arrière, s’est distingué avantageusement du reste du monde en créant les outils modernes permettant l’émergence de l’État-nation démocratique et libéral. Certains, en s’appuyant sur Francis Fukuyama1, en sont même venus à affirmer que ce cadre institutionnel et social particulier, né dans l’Histoire aux termes d’une évolution complexe pluriséculaire, marquait la fin du cheminement par lequel l’homme aurait déployé depuis l’origine toutes les potentialités inscrites dans sa nature.

Si nous acceptons cette hypothèse de la fin de l’Histoire (même si beaucoup de voix se sont élevés pour claironner le contraire2), le champ créatif qui nous est laissé ouvert, en plus de l’édification du cosmopolitisme mondial dans un futur lointain idéal, renferme dans ses contours les lieux de réformes visant le mieux qu’il est possible d’instiller dans nos désormais vieilles institutions. L’une de celles-ci pourrait très bien voir l’éclosion d’un organe public chargé d’évaluer, en toute objectivité, les promesses électorales ainsi que l’action gouvernementale. Organe que nous choisirions de présenter sous le nom d’Agence publique de vérification.

Puisque la France possède une Constitution qui donne la primeur à la présidence de la République (dont l’élection, ayant lieu avant les Législatives qui renouvellent en intégralité l’Assemblée nationale, donne la teinte de la couleur que cette dernière adoptera grâce au vocable quasi-magique de « majorité présidentielle »), un tel organe devrait prioriser son travail sur l’élection présidentielle et la politique qui sera impulsée par son vainqueur pendant son quinquennat.

Devant être composée collégialement de personnalités indépendantes représentant les diverses tendances économiques, intellectuelles, philosophiques, politiques et même religieuses de la société afin de garantir sa propre neutralité, l’Agence publique de vérification aurait alors la charge d’analyser les programmes présidentiels de tous les candidats à l’aune de la connaissance détaillée qu’elle aurait de l’état effectif de la société.

Quatre domaines d’importance devraient être retenus pour ses activités : la politique fiscale, la sécurité sociale et la dette ; la politique économique, l’emploi et l’immigration ; l’éducation et la modernisation du pays ; les réformes de société. L’on pourrait très bien imaginer que leurs analyses des programmes donneraient prétexte, en fonction de critères objectifs préétablis et en suivant un barème simplifié dont les citoyens auraient saisi la teneur, à l’établissement d’une note pour les trois premiers domaines (les réformes de société, appartenant aux choix de civilisation qu’un peuple se donne, ne pouvant être objectivement appréciées même s’il faut absolument les lister afin d’en vérifier la mise en application fidèle). Il faudrait que ces notes soient connues aisément par tous ceux qui le souhaiteraient, peut-être même par l’intermédiaire d’affiches qui les présenteraient dans les bureaux de vote, afin que les Français votent en conscience et non simplement en fonction d’une cohérence qu’ils auraient vue affichée par tel ou tel candidat de leur choix.

De même, l’exercice du pouvoir étant idéalement une mise en application d’un programme ajustée à une conjoncture qui ne donne pas forcément l’occasion à ce que toutes les promesses soient tenues (que l’on songe à la crise de 2008 qui forcèrent Nicolas Sarkozy et son gouvernement, que leur politique fusse bonne ou mauvaise pour la France jusqu’alors, à composer avec celle-ci pour lutter contre ses effets désastreux, notamment par l’intermédiaire du plan de sauvetage des banques), il serait  opportun que l’Agence publique de vérification rédige, en fin de mandature, des points de vue argumentés. Elle prendrait en compte les aléas de l’évolution qui appartenait au futur au moment des élections, afin de noter, dans les mêmes trois domaines qu’exposés ci-dessus (la politique fiscale, la sécurité sociale et la dette ; la politique économique, l’emploi et l’immigration ; l’éducation et la modernisation du pays) la fidélité de l’action de l’équipe gouvernementale par rapport aux promesses électorales explicitées pendant la campagne. En plus du rappel de la fidélité nulle, partielle ou totale de la mise en application des réformes de société promises par les gouvernants, ces notes seraient alors portées à la connaissance de tous, lors d’une conférence de fin mandature tenue au moment où l’Assemblée nationale terminerait sa dernière session, quelques mois avant la tenue des nouvelles élections.

Conclusion

Une Agence publique de vérification aurait le mérite de responsabiliser tous les participants à la vie publique. Les hommes politiques seraient alors obligés de se limiter dans leurs promesses, ne cherchant pas, pour conquérir le pouvoir, à adopter les postures démagogiques qu’ils jugent essentielles pour arriver à leur fin. Ils seraient aussi incités à appliquer le plus fidèlement possible leur programme, tout en disposant de la reconnaissance du droit à l’exercice libre, et en fonction de la conjoncture particulière à laquelle ils ont à faire face, de l’autorité légale dont ils sont investis par les élections. Les citoyens auraient, quant à eux, l’occasion d’assumer pleinement leur rôle d’aiguillon de la marche globale de leur société qui, au lieu d’être encore et toujours ce lieu de rencontre d’intérêts divers que l’État arbitre à l’avantage ou au détriment des uns et des autres, deviendrait un tout dont l’amélioration est un mieux pour l’ensemble des parties qui la constituent. La société française, bien que libérale, se trouve encore très loin de cet idéal, tout comme les autres sociétés européennes…

  1. Francis Fukuyama, La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme, 1992.
  2. Dont Samuel Huntington connu pour son Choc des Civilisations qui défend la thèse que les ères culturelles majeures de notre monde sont  le levier à partir duquel s’établiront les relations internationales dans notre futur.

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