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Rauschenberg

Publié le 14 mai 2008 par Boisset
«Ce sont mes mains qui me servent de cerveau» Par deux fois, en 1997 et en 2005, Robert Rauschenberg a livré au cours d’entretiens quelques confessions et souvenirs : Recueilli par Henri-François Debailleux et Elisabeth Lebovici mercredi 14 mai 2008

Au long de deux entretiens, publiés dans Libération en septembre 1997 et juillet 2005, Robert Rauschenberg détaillait son parcours, sa technique et sa conception de l’art et de la vie. En voici la quintessence, réorganisée par thématiques.

Devenir artiste

«Je n’ai jamais décidé de devenir artiste. J’ai toujours peint, et toujours fait autre chose. C’est venu des autres. Lorsque j’étais dans la marine (1944-1945), j’avais une petite amie qui m’a convaincu que j’avais du talent. Je l’ai suivie, je suis entré dans une école d’art. Mais ma grande peur est de venir à bout du monde. Je dépends entièrement de ce que je ne connais pas encore.»

Un pneu, une boîte, un carton

«Les objets que j’utilise sont la plupart du temps emprisonnés dans leur banalité ordinaire. Aucune recherche de rareté. A New York, il est impossible de marcher dans les rues sans voir un pneu, une boîte, un carton. Je ne fais que les prendre et les rendre à leur monde propre… Quand j’ai commencé à travailler sur les Combine Paintings, à l’origine, c’était une question d’économie. Je n’avais pas d’argent, je commençais à manquer de matériaux et je me suis aperçu que les rues étaient généreuses. Avec ces objets trouvés, en trois dimensions, j’ai découvert que puisque je pouvais peindre sur un côté de la surface, je pouvais aussi bien le faire sur l’autre. Les Combine Paintings devenaient ainsi des façades, des facettes demandant autant d’attention de chaque côté. Elles me permettaient de m’ouvrir, m’imposaient plus de responsabilités et me proposaient un nouveau défi.»

Transformer l’objet

«Certes, je frayais avec les artistes correspondant à ce que les gens appellent pop art ; le problème, c’est que j’en avais déjà fini avec tout ce qui pouvait ressembler à ce mouvement quand il a commencé, qu’Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Tom Wesselmann ont débuté. J’avais une approche totalement différente de l’objet. Le pop art veut que l’objet reste objet en soi, dans son lieu propre, avec sa marque propre et son usage propre. Alors que, dans mes premiers travaux, j’étais déjà plus attaché à le transformer. L’objet devait devenir quelque chose d’autre et c’était donc une coïncidence si on le reconnaissait.»

Modèle absolu

«Picasso d’abord. Puis, au fur et à mesure que j’évoluais, Matisse est devenu le modèle absolu. J’aime son lyrisme, sa distinction, son raffinement, sa clarté, sa simplicité. Il innove sans cesse, toujours excellent.»

Travailler, sans cesse

«Dans ma vie, j’ai toujours ressenti de la joie en travaillant. Je ne sais si j’ai tort ou raison, mais je pense que presque tous les artistes éprouvent une part de cette joie. Moi, j’en ai même trop (rires)… Ce qui fait que je passe mon temps à travailler, sans cesse. Je n’ai aucune idée précise avant de commencer. Ce sont mes mains qui me servent de cerveau.»

Le moment présent

«C’est la danse qui rend claire la conscience du moment présent, partagé à la fois par le danseur et le spectateur. Le corps est l’événement et cet événement n’existe qu’une fois, par la grâce d’un corps avec ce qui le compose, ce qu’il a mangé, pensé, tout ce qui le fait différer du jour précédent. Pour moi, ce présent est l’honnêteté ultime. Il est frustrant que l’art du peintre ou du sculpteur ne puisse jamais approcher ce présent toujours changeant, ne dise jamais rien de cette vie du corps indépendant de l’art…»

Enregistrer le temps

«Quand j’utilise des images, je m’efforce de montrer que le moment est passé. La photo arrive inévitablement toujours trop tard : j’utilise ainsi beaucoup d’images imprimées, déjà reproduites, qui accusent ce caractère. La meilleure leçon à tirer de la photo est qu’on ne peut pas retourner au moment où elle a été prise. Par la série, on peut certes essayer de suggérer qu’on veut enregistrer le temps. Mais c’est juste une idée sentimentale : le temps passe même quand vous voulez le retenir. Tout mon travail dans le champ de l’art est d’impliquer et intensifier l’attention du spectateur sur ce miracle qu’on appelle un instant donné, un moment particulier.»

Notion de défi

«Toutes mes évolutions sont organiques. Quand je travaille la peinture un certain temps, je me mets à avoir faim de sculpture. Et si la sculpture dure trop, je me tourne vers la danse. La variété et les changements de matériau m’ont toujours stimulé. Tant que le style, la technique ou la préoccupation continuent d’être un mystère, c’est de l’art vivant. Si je change de façon drastique, c’est pour garder la notion de défi. J’aime me lancer à la découverte des choses que je ne connais pas et que je ne comprends pas encore. Dans ma vie, j’ai toujours eu trop de curiosité, été trop impatient.»


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