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Le facétieux « Manuel de civilité » de Pierre Louÿs

Publié le 14 mars 2014 par Savatier

Louys1L’actualité éditoriale offre parfois de savoureux raccourcis. Alors que l’innocent livre pour enfants de Claire Franek et Marc Daniau Tous à poil, objet de la précédente chronique, était voué aux gémonies par Jean-François Copé, comme si le corps devait être nocif par nature, vient de sortir en librairie une réédition du Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation (Allia Poche, 112 pages, 6,20 €). Ce petit chef d’œuvre de la littérature érotique d’un maître du genre, Pierre Louÿs (1870-1925), ne s’adresse évidemment pas aux plus jeunes. Ecrit en 1917, resté à l’état de manuscrit, son édition originale posthume fut publiée sous le manteau en 1926 par l’éditeur Simon Kra. Plusieurs tirages clandestins se succédèrent ; celui de Jérôme Martineau (1960), illustré de vignettes anodines empruntées à des livres illustrés qui ne sont pas sans rappeler ceux de la comtesse de Ségur, n’étant pas le moins singulier.

L’auteur se livre ici à une parodie particulièrement subversive des manuels de savoir vivre qui fleurissaient à l’époque et s’adressaient aux familles bourgeoises conformistes. La lecture parallèle de cet ouvrage et, par exemple, du Nouveau manuel de civilité chrétienne à l’usage des institutions, des maisons d’éducation, des écoles primaires et des cours d’adultes de Théodore Bénard (1878) se révèle ainsi tout à fait hilarante.

Empruntant, comme il est de mise pour les bons pastiches, une structure similaire de chapitres thématiques (A table, en classe, à l’église, devoirs envers le prochain, devoirs envers Dieu, Ne dites pas... dites, etc.), Louÿs prodigue, sur un ton neutre, une série de courts conseils volontairement obscènes, d’un humour ironique, décalé et jubilatoire. Dans la section « A la chambre », on peut ainsi lire : « Ne suspendez pas de godemiché au bénitier de votre lit. Ces instruments-là se mettent sous le traversin ». Toutes les pratiques sexuelles, même les plus débridées, sont ici abordées, avec un art consommé du détournement.

Pour autant, derrière l’exercice de style érotique, facétieux, joyeusement iconoclaste, se profile une approche satirique évidente. Louÿs veut dénoncer - et y parvient avec succès - l’hypocrisie qui régnait dans la société bourgeoise de son époque, où tout était permis pourvu que les usages fussent respectés et les apparences sauvées. Le néopuritanisme qui touche notre société contemporaine, où La Poste se permet de refuser d’imprimer pour une société philatélique un timbre représentant L’Origine du monde de Gustave Courbet, pourtant accessible à tous au musée d’Orsay, au prétexte que l’œuvre serait « pornographique », rend la lecture du Manuel de civilité salutaire. Nul doute que, si un auteur s’avisait de publier un tel livre aujourd’hui, les bien pensants lui intenteraient un procès.


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