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"Médium" de Philippe Sollers

Publié le 22 mars 2014 par Francisrichard @francisrichard

Ce qui est bien avec le roman, c'est qu'il échappe aux définitions.Quand on a dit qu'il s'agit d'une oeuvre de fiction d'une certaine longueur, on a tout dit et rien dit.

La plupart du temps on accole au mot roman un qualificatif pour préciser de quoi il retourne: baroque, romantique, épistolaire, libertin, comique, populaire, policier, historique etc. J'en passe et des meilleurs.

Le roman est donc un genre littéraire élastique, un genre littéraire fourre-tout. Philippe Solers s'est fait une spécialité des romans dont les intrigues sont minces et les digressions énormes.

Dans ses deux précédents romans, L'éclaircie et Trésor d'amour, les digressions étaient avant tout stendhaliennes, cette fois, dans Médium, elles sont principalement saint-simoniennes, non pas au sens du doctrinaire mais du mémorialiste.

L'intrigue est mince. Le narrateur est un professore français qui donne ses rendez-vous à Paris pendant la semaine et qui passe ses week-ends à Venise où il a un pied-à-terre. Il prend le dernier vol d'Air France le vendredi soir à 21 h 30 et repart le lundi en fin de matinée.

On ne lui connaît pas de compagne. Au regard qu'il porte sur les femmes, on sait seulement qu'il ne doit pas être homo...

A Venise, le professore  est cependant entouré de femmes, telles que Loretta, la petite-fille du patron du Riviera, qui est destinée, avec son mari Gianni, à lui succéder à la tête de ce petit restaurant qu'il fréquente et qui est situé sur les quais, du côté de la gare maritime, ou Ada, son ardeur - clin d'oeil à Nabokov -, son médium, qui connaît son corps mieux que lui-même et qui lui fait des massages tarifés, deux fois par semaine, et plus par affinité, ou encore Lydia, employée de Loretta qui vient également chez lui pour le ménage:

"Loretta, Ada, Lydia, petit opéra sensible."

Cet homme passe une partie de sa vie à écrire avec un stylo à encre sur du papier:

"On peut avoir le bras long, le pouce rapide, mais c'est la main experte qui pense. Un écrivain sans "main" est comme un ordinateur débranché, la mort habite ses phrases."

Il a écrit ces mots en pensant - dans manuel, il y a main - au Manuel de contre-folie que constituent à ses yeux les feuillets qu'a laissés le duc Louis de Saint-Simon, feuillets qui ne figurent pas dans ses Mémoires et où le mémorialiste médium pressent la folie humaine d'aujourd'hui:

"La folie a eu ses grands noms, ses génies, ses lettres de noblesse. Inutile de revenir là-dessus de manière romantique. Et puis, tout à coup, elle a explosé en pluie fine, elle est devenue vulgaire. Désormais, et c'est constamment prouvable, on vit chez les fous."

Les exemples de cette folie vulgaire fourmillent dans Médium et ce sont de véritables morceaux d'anthologie qui auront la vertu de ne pas plaire à tout le monde et qui ont celle de plaire à l'iconoclaste qui ne sommeille pas toujours en moi. Aussi pourquoi résisterais-je à la tentation d'en citer un passage.

La folie contemporaine met à l'honneur "l'écrivain ou l'artiste taré":

"Le taré est un fou plus prononcé que les autres, sa défectuosité est donc une qualité [...] Le taré incarne la folie courante, il fait de sa tare un produit de beauté. Une exposition d'art taré sera très suivie, un roman profondément taré, à base de tare sexuelle, connaîtra immédiatement la meilleure des publicités. Le taré d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui que stigmatisaient les dictateurs. Il est normal, confortable, actif, astucieux, opportuniste, allumé."

Et je ne résiste pas davantage à la tentation de citer quelques exercices pratiques de contre-folie préconisés par le narrateur:

"- Laisser passer trois bus sans les prendre.

- Envoyer, pendant un mois, toujours le même tweet: "Le duc vous attend au tournant", je répète: "Le duc vous attend au tournant."

- Lire des classiques chinois de 3 heures à 5 heures du matin.

- Faire du vélo d'appartement, la nuit, pendant une heure.

- Brancher la télé ou des DVD sans le son.

- Comprendre à fond des expressions comme "Je m'en bats l'oeil", ou "Un air entendu".

- Décommander des rendez-vous sans explications.

- Refuser les voyages."

Vous ai-je dit que l'épigraphe du livre est de Blaise Pascal, formule entendue sur Médium, l'émission en français de Radio-Shanghai, sur ondes ultracourtes?

"Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C'et le mouvement perpétuel."

Francis Richard

Médium, Philippe Sollers, 176 pages, Gallimard


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