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Et nous redeviendrons poussière...

Publié le 15 mai 2008 par Eric Viennot

Oncle_ernest6_2 Il y a une quinzaine de jours, en parcourant la blogosphère, je suis tombé sur un billet de Jean-Jacques Birgé intitulé le trou noir de la création numérique. Birgé est un artiste multimédia. En tant que musicien et designer sonore, il a participé à la création de nombreux cd-roms, destinés notamment aux enfants. Plus récemment, c’est à lui qu’a été confié le design sonore de Nabaztag, le lapin communicant. Nous nous sommes souvent croisés, sans trouver l’occasion de travailler ensemble. Son billet évoquait un sujet qui m’est cher : celui de la pérennité des œuvres multimédia. Comme beaucoup, il évoquait les difficultés qu’on rencontre souvent quand on veut consulter de « vieux » cd-roms (créés il y a une dizaine d’années à peine !).  Problèmes de rétrocompatibilité notamment sur Mac.
La même semaine, le site Overgame faisait état de la colère d’Hideki Kamiya, réalisateur d’Okami, qui déplorait que l’éditeur ait amputé la séquence de crédits du jeu, à l’occasion de son adaptation sur Wii. Pourquoi rapprocher ces deux faits ? Parce qu’ils sont représentatifs d’un paradoxe que vit aujourd'hui notre industrie. Je m’explique.

Supprimer les crédits d’un jeu cela peut paraitre anecdotique aux yeux de certains gamers. Encore un créateur qui se la pète ! Mais, comme l’explique Kamiya, il ne s’agit pas simplement du fait d’avoir son nom supprimé. Il s’agit avant tout pour lui de respecter l’intégrité de son œuvre, l’expérience ressentie par le joueur à la fin du jeu. Je cite les propos rapportés par le site Overgame : « Finir un jeu nécessite beaucoup de temps et d'effort. Les joueurs qui arrivent au bout veulent ressentir l'impression d'avoir accompli quelque chose, que ce soit parce que l'aventure était difficile ou longue. C'est pourquoi tous les titres que j'ai réalisés ne se terminent pas seulement par une simple présentation de l'équipe, mais par une séquence pleine de cet omoi [en japonais dans le texte, une combinaison de 'pensées, d'émotions et de messages' selon le traducteur anglais] qui aide à clore véritablement le jeu. […] Il y avait là l'omoi de tous ceux qui ont travaillé sur ce projet, un grand moment de joie réservé spécialement à ceux qui terminent l'aventure. Et tout ça a disparu."
Ironie du sort, à l’occasion des bilans de fin d’année, j’avais écrit un billet où il était beaucoup question d’Okami en titrant justement Ce qui restera.

A n’en pas douter, ces propos ne sont pas ceux d’un créateur aigri mais plutôt ceux d’un artiste soucieux de l’intégrité de son œuvre.
Employer le terme d'oeuvre peut paraître anachronique quand la plupart des acteurs de notre industrie parlent produits, s'intéressent davantage à leurs scores de Day One qu'à la pérennité de leurs titres (tu sais bien Eric qu’un jeu est has-been au bout de 3 mois, son prix diminué de moitié, alors de savoir qui y jouera dans 10 ans c’est bien la dernière de nos préoccupations !) . Et pourtant les propos de Kamiya nous rappellent qu'il existe aussi dans notre industrie des créateurs qui ont une véritable démarche artistique. La révolution culturelle est en route mais force est de constater que ces derniers sont encore largement minoritaires. Aussitôt consommé, aussitôt jeté.

Etonnant paradoxe ; alors que je m’extasiais dans mon dernier billet sur le vertigineux éventail créatif à venir,  le soir même, le billet de Jean-Jacques Birgé m’a fait retomber sur terre en me rappelant, s’il le fallait, la précarité de nos créations. Comme le dirait Dan Houser, créateur de GTA, dans son interview à Ecrans  « Nous en sommes à la même époque que le cinéma à l’époque où on a inventé la lanterne magique ». Avec un peu de chance, il y aura peut-être un jour des dingues qui restaureront nos jeux comme d'autres passionnés de cinéma ont restauré les films de Mélies ou de Griffith.

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Sur le site de Jean-Jacques, j’ai laissé ce commentaire que je vous confie en guise de conclusion. 
« J'ai chez moi, bien rangés dans un coin, la plupart des cd-roms dont tu parles, (auxquels je rajouterais bien Ceremony of Innocence). J'ai conservé un PC avec Win 98 afin que ma fille de 5 ans puisse jouer aux Oncle Ernest dans quelques années... Elle sera sans doute l'une des dernières. »

En écrivant ces mots j’ai été pris d’un immense sentiment de mélancolie, heureusement passager. Je me suis souvenu alors d’un message reçu sur le site officiel de l’oncle Ernest il y a quelques années : « Cher Oncle Ernest. Je voudrais te rencontrer même si tu es mort pour te dire que j'aime tes albums. Luc ».

Avec sa bonhommie habituelle, l'oncle Ernest  a dû lui répondre que, de toutes façons, il était éternel.

Illustrations : images extraites du générique du Fabuleux Voyage de l'Oncle Ernest, 1999.


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