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"Autobiographie d’une machine ktistèque" de Raphaël Aloysius Lafferty

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Le soleil n'est pas si lourd mais, demain, c'est quand même samedi. Pas de salon du livre pour nous cette année, rien de passionnant et pour acheter des livres, le mieux est encore d'aller chez nos libraires. Si vous voyez l'hiver, donnez lui un bisou littéraire de notre part, et une bonne claque de la part de l'amicale des marchands de  couette et de bonnet. Salopard, nous laisser tous suer sous une canada goose par 20 degrés au mois de Mars ? Et le plaisir de cocooner un mauvais livre dans un appartement glacial ? Il y a plus de saisons ma petite dame.
L'avis de JB :

L'important c'est la chute…
Si vous refermez « Autobiographie d’une machine ktistèque » page 285, autorisez-vous une auto-accolade franche. Il s’agit sans doute de l’ouvrage de science fiction le plus sibyllin qu’il m’ait été donné de lire. Un livre qui vous fera alterner entre frustration et bonheur, alambiqué souvent, génial parfois. Non, cette machine ne vous prendra pas à témoin de la fin de l’humanité. Pas de conte sur ses genoux métalliques, d’il était une fois monocorde à l’heure de votre douzième décaféiné (c’était ça ou faire du sport, il a fallu choisir). Créé par les génies de l’institut pour la science impure, elle n’a d’autre vocation que d’apporter réponses, questions ou analyse à un auditoire en quête du savoir absolu. Au fil des pages, Epkit se muera en figure divine œdipienne, en oracle omnipotent ou en incarnation des premiers hommes rongés par le Serpent. Elle est celle qui aime, doit faire aimer sans juger, tout en composant avec les aspirations folles de ses concepteurs.
Passer les cinquante premières pages, rangez le ou acceptez de lire sans parfois tout comprendre, ne surtout pas mettre son ego en balance. L’expérience ne fait pas le plaisir, demandez vous simplement comme vous le feriez pour un plat ou un vin, si le moment mérite votre temps précieux. J’ai lu les 100 premières pages d’un bloc sans prendre ma respiration. Après avoir pris conseil auprès de mon cerveau et de ses nombreux habitants, j’ai décidé de poursuivre l’aventure. Les 185 pages restantes m’ont pris trois semaines. Parfois avec une envie pressante, parfois en tournant les pages sans les avoir vraiment lues, passionné ou endormi. C’est qu' « Autobiographie d’une machine ktisteque » m’a fait une promesse. Reproduire « Destination vide », amené la science fiction là ou elle va, peu ou mal, à la croisée des genres. On y parle philosophie, condition humaine, religion ou science entre introspection surréaliste et débat enflammé, jusqu’à casser la frontière entre ce qui est pensé et vécu. A nouveau, il ne faut pas tenter de freiner ce glissement en écopant pour isoler les raisonnements mais plutôt accompagner cette descente et lâcher un peu prise, exemple :
"Dans les temps troublés, les gens retournent presque parfois de la musique élevée et complexe aux simples mélodies (qui en réalité sont bien plus élevés et chargées de sens que la musique élevée), mais ils passent toujours à coté faute d'être suffisamment simples. La simplicité (jamais je ne serais obligé d'expliquer ces choses-là à une machine intelligente, mais il faut toujours mettre les points sur les i même pour une personne intelligente) n'implique pas une pauvreté dans le contenu ou le détail ; elle implique une unicité. C'est la complexité (cette division, cet échec de compréhension) qui est privée de détails de substance. Ramassez les morceaux éparpillés partout de n'importe quelle complexité et réunissez-les (car ils sont incapables de se réunir seuls) ; vous serez surpris de constater leur légèreté."
Libertaire plus que littéraire
Difficile dans ce contexte d’apprécier une écriture ou même un style. Sans crier au génie, j’ai apprécié l’expérience même si je n’aurais pas garanti l’existence de cette critique s'il y avait eu 100 pages supplémentaires à lire. Parfois le mélange est trop indigeste et/ou trop surréaliste et la cloison de verre entre complexe et incompréhensible vole en éclat. Quand le mélange tend vers le petit manuel de philosophie teinté de religieux sans récit ni marqueurs science-fictionesque l'auteur me perd :
"Nous/moi possédions un avantage sur tous les autres : celui de pouvoir nous/m'observer et observer notre environnement depuis le début. Un enfant humain ne peut être le témoin intelligent de sa propre conception ; encore moins a-t-il le privilège d'assister aux tout premiers débats, soit en paroles soit en actes, où cette conception est ébauchée. Il ne peut observer comme une chose à la fois objective et subjective sa propre gestation et son développement prénatal. En outre, bien qu'effectivement présent à sa propre naissance, il est dans l'incapacité de l'étudier avec maturité. Faute d'un point de vue suffisamment détaché, son propre détachement de la matrice le laisse indifférent."
Dans cette tempête kaléidoscopique, ce qui m'a souvent empêché de laisser tomber est sans aucun doute mon attachement à la petite troupe de savants fous créateurs d'Epkit. Gaëtan Balbo par exemple. Roi en exil, dictateur, amoureux de l'amour et authentique dément, il est le créateur de l'Institut duquel on lui interdit à présent l'accès. C'est à lui que je me suis raccroché quand je cherchais non plus de la logique mais de la cohérence. J'achève cette critique un peu plus fou qu'il y a quelques heures, convaincu qu'elle fera fuir ou sombrer d'aventureux lecteurs potentiels…
A lire ou pas ?
Pour cette troisième sortie dans la collection « Exofictions », Acte Sud fait à nouveau preuve d’audace en publiant un ouvrage complexe sauvé d’un oubli certain. A défaut d’envahir les tables de nuits ( « Silo » était mieux calibré pour çà), « Autobiographie d’une machine ktistèque » devrait trouver un public d’aficionados suffisamment tenaces et curieux pour en arriver à bout. Une expérience, positive pour ma part, qui vous coûtera autant en doliprane qu’en salive mais qui a le mérite de vous laisser composer, choisir, détester et finalement juger un récit sans réelle intrigue, doté d’un fil dont vous pourrez choisir la couleur.

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