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Des héritiers intéressés !

Publié le 29 mars 2014 par Dubruel

LA REINE HORTENSE (d'après Maupassant)

Elle habitait rue des Sapins à Lens.

On l’appelait

La reine Hortense.

Pourquoi ? Personne ne le sut jamais.

Elle était impérieuse,

Sèche et osseuse.

C’était une vieille fille,

Une de ces vieilles filles

À la voix cassante,

À l’âme repoussante.

Elle n’admettait aucune contradiction,

Même quand elle appelait la religion

Marchandise à pleureuses.

Déjà souffreteuse,

La reine Hortense tomba malade

En décembre1882.

Jeanne, sa bonne, appela le médecin.

La reine Hortense chassa le praticien

Et refusa de prendre ses médicaments.

Un prêtre lui fut présenté.

Elle se leva du lit toute dénudée.

Affolé, l’abbé prit congé sur le champ.

Jeanne fit venir les sœurs de sa patronne

L’une, Annie, avait épousé un rentier,

Étienne Madelone,

L’autre, Louise, était mariée

À François Hénaf,

Un modeste typographe.

En arrivant, Étienne demanda :

-« Eh bien ! Jeanne, ça ne va pas ? »

La bonne gémit :

-« Elle ne me reconnait seulement pas.

Le médecin dit que c’est fini. »

Tout le monde se regarda.

Étienne se tourna vers son beau-frère,

Un homme falot, jaune et maigre,

Ravagé par une maladie du foie

Et boitant affreusement.

François posa sa canne

Et prononça à mi-voix :

-« Bigre ! Il était temps. »

Tous les quatre et Jeanne

Entrèrent en silence

Dans la chambre d’Hortense.

Les mains de la mourante s’agitaient,

S’ouvraient, se refermaient

Comme si une pensée les eut animées,

Comme si elles eussent indiqué des idées.

Son corps restait immobile.

Son visage était tranquille.

Ses yeux demeuraient clos.

Toutefois, elle prononçait d’étranges mots,

Appelait des personnes imaginaires :

« Ma petite Paula, embrasse ta mère.

Tu l’aimes bien ta maman,

Dis, mon enfant…

Rose veillera sur toi, sur Amélie

Et sur Simon pendant que je serai sortie.

Henriette,

Tu m’entends,

Je te défends

De toucher aux allumettes !

Dis à ton père de venir me parler

Avant de partir travailler.

Je suis un peu souffrante aujourd’hui.

Ne rentre pas trop tard, chéri.

Tu diras à ton directeur

Que j’ai mal au cœur.

Il est dangereux, tu comprends,

De laisser seuls les enfants.

Quand je serai partie,

Rose fera un plat de riz.

Amélie et Paula aiment beaucoup ça.

Elle sera contente, Paula ! »

Puis la reine Hortense eut un rire bruyant.

« Quelle drôle de tête il a, Jean !

Il s’est barbouillé de confiture !

Regarde donc sa figure ! »

François murmura :

-« Elle rêve qu’elle a des enfants et un mari.

C’est l’agonie. »

La bonne demanda :

-« Voulez-vous retirer vos chapeaux et vos châles

Et passer dans la salle ? »

-« Oui, Jeanne, on va manger.

C’est malheureux d’être venus ici ;

Il ferait si bon dans la campagne aujourd’hui.

Tu nous fais quoi pour le déjeuner ? »

-« Une omelette et un faux-filet

Avec des pommes rissolées. »

La mourante continuait

À habiller et caresser ses enfants.

Elle apprenait à lire à Simon :

« Répète A B C D…

Tu ne dis pas bien, voyons ! »

Étienne a marmotté :

-« C’est curieux ce qu’on dit à ces moments-là. »

Annie proposa :

-« Faudrait retourner la voir. »

François l’en dissuada :

-« Vous pensez pouvoir

Changer son état ? »

On se mit à table à une heure.

Étienne goûta le vin :

-« Dis, Jeanne, il n’y a rien de meilleur ? »

-« Si, monsieur, il y a du Chambertin. »

-« Va en chercher. Qu’est-ce que tu attends ! »

On le goûta. Il était excellent.

-« Combien en reste-t-il,

Ma fille ? »

-« Oh ! Presque tout, monsieur ;

Mam’zelle buvait très peu. »

Quand le déjeuner fut achevé,

Tout le monde alla constater

L’état de la reine Hortense,

Sauf Étienne qui ne se dérangea pas,

N’aimant point ces choses-là.

Elle semblait proche de la délivrance

Et eut un cri déchirant :

-« Je ne veux pas mourir, je ne veux pas !

Qui élèvera mes enfants ?

Qui les soignera ?

Qui les aimera ?

Non, je ne veux pas ! »

François appela Étienne :

-« Venez ! Elle vient de passer. »

-« C’a été moins long que j’aurais pensé. »

Conclut Jeanne, sereine.


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