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Her

Par Tedsifflera3fois

Spike Jonze est un cinéaste à part. Entouré de Joaquin Phoenix et Scarlett Johansson, tous deux excellents, il livre une nouvelle œuvre indispensable sur la solitude, la difficulté d’aimer et la douleur de ne plus aimer. Avec une douceur envoûtante, il nous raconte le monde de demain et la mélancolie de toujours. Un film d’une beauté bouleversante.

Synopsis : Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly, inconsolable suite à une rupture difficile, fait l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, ‘Samantha’, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle…

Her - critique

Il faut sans doute remonter à Eternal Sunshine of the spotless mind pour trouver au cinéma une romance d’une telle puissance et d’une telle fragilité, pour être touché jusqu’à l’âme par cette "folie socialement acceptée" qu’on appelle l’amour.

Dans un univers de science-fiction d’une beauté calme et classe, dessiné tout en couleurs et en discrétion, Spike Jonze sonde à la fois notre temps et l’intimité d’un homme. Il s’agit aussi bien d’interroger l’évolution d’une société de plus en plus virtuelle, où les relations se dématérialisent, que d’explorer une fois encore ce sentiment terrible et universel, si cher au cinéaste, qu’est la solitude.

Certes notre époque donne une nouvelle résonance à ce mot. Mais le mal-être est existentiel. Pour s’en défaire, Craig, le marionnettiste de Dans la peau de John Malkovich, parvenait à pénétrer l’âme d’un autre être humain. Charlie Kaufman, scénariste et héros d’Adaptation, se munissait lui aussi d’un double, un frère jumeau cool et hypersociable qui l’aidait à mettre du désordre dans sa vie et dans son film. Quant à Max, l’enfant solitaire de Max et les maximonstres, seuls ses amis imaginaires et déjantés pouvaient le sauver de l’horreur d’être seul.

Theodore souffre lui aussi, après une séparation difficile. Comme les autres héros du réalisateur, il est prisonnier de son malheur, incapable de communiquer, de rencontrer l’autre. Il attend tant d’être sauvé qu’il se fane peu à peu. Jusqu’à sa rencontre avec Samantha, un programme informatique intelligent.

Spike Jonze explore une nouvelle fois ce qui fait la complexité de l’intelligence humaine et de l’individualité. Tous ses films sont un voyage dans l’inconscient d’un homme, confronté à d’autres consciences comme autant de miroirs. Alors, qu’est-ce qui définit un individu, une personne? Qu’est-ce qui fait d’un sentiment qu’il est réel? Qu’est-ce qui fait d’un être qu’il existe? Qu’est-ce qui fait d’une pensée qu’elle est unique?

Un voyage dans l’inconscient d’un homme, confronté à d’autres consciences comme autant de miroirs.

Dans la prestigieuse lignée de 2001, L’Odyssée de l’espace, de Blade Runner et de A.I. Intelligence Artificielle, Her trouve une place singulière, entre l’histoire d’amour impossible et le drame psychologique, voire schizophrène. Car entre la solitude et la schizophrénie, entre le besoin de ne pas être seul et celui d’être deux, il n’y a que la duplication de soi, cet acte quotidien que nous faisons tous quand nous nous parlons à nous-mêmes, quand nous nous répondons, quand nous nous motivons. Quand nous nous imaginons les réactions d’un autre qui n’existe que dans notre tête. C’est vers cette schizophrénie de la solitude que se tourne tout le cinéma de Spike Jonze. Comment communiquer avec quelqu’un qui n’est pas soi? Comment aimer? Comment être deux et se comprendre, comment être deux et faire partie d’une même réalité, unique et indivisible?

Entre soi et l’être aimé, il y a toujours un espace, un décalage qu’on se frustre à vouloir combler. Jusqu’à ce que la relation se finisse, jusqu’à ce qu’on soit à nouveau seul. Theodore Twombly en est là au début du film, inconsolable d’avoir perdu cette magnifique intimité qui le reliait à un autre être.

C’est par une mise en scène d’une formidable douceur que le réalisateur nous fait partager la mélancolie de Theodore. Les plans se succèdent dans un silence d’une extrême délicatesse, parfois accompagné de la fragile musique d’Arcade Fire. La chanson de Karen O est tout aussi légère et vulnérable, comme une histoire d’amour qui s’estompe. Les flashbacks nous arrivent feutrés et lumineux, comme les réminiscences d’une réalité cristalline et disparue.

Spike Jonze filme la cristallisation amoureuse comme une caresse. Son film évoque un pétale de rose qui tombe doucement du ciel, porté par le vent délicat et par l’air invisible. Le scénariste Charlie Kaufman apportait aux premiers films du cinéaste un désordre tourmenté, une surexcitation angoissée proche de celle de Woody Allen. Dans Her, Spike Jonze est le seul auteur de son histoire. Au chaos de Kaufman succède le calme et la mélancolie. Her est un film de tristesses et de lumières, un film de folie et de résignation, un film que le temps qui passe marque de son empreinte indélébile.

Un film de tristesses et de lumières, un film de folie et de résignation

Dans le futur de Her, il n’y a aucune voiture. Les hommes discutent silencieusement avec leur oreillette. Chaque passant croisé semble isolé, pourtant il est en train de téléphoner, de lire ses mails, de refaire le monde ou de tomber amoureux. Il ne reste plus que des intériorités, des individus qui vivent chacun dans leur monde. Le film fait le pari de l’intimité. Nous sommes collés à Theodore Twombly, à ses silences, à ses doutes et à ses espoirs. Her présente un futur crédible, à la fois fascinant et inquiétant, pour notre société de l’hypercommunication et de l’hypersolitude.

L’imitation est si sophistiquée qu’elle dépasse le vrai, comme ces lettres écrites à la main dont Theodore dicte pourtant les mots à un ordinateur. Impossible de dire si nous avons affaire à une utopie ou à une dystopie. Spike Jonze ne se prononce pas, les enjeux de son histoire prennent place dans le monde de demain mais ils sont éternels.

Le nom du héros, Twombly, fait immanquablement penser au peintre américain éponyme, dont de nombreuses œuvres, ni vraiment figuratives, ni vraiment abstraites, évoquent des gribouillis colorés envahissant la toile blanche.
Samantha n’est ni vraiment figurative, ni vraiment concrète. Et peu à peu au cours du film, la toile de se personnalité se remplit, se colore, s’enrichit au contact de Theodore, en même temps spectateur et peintre, destinataire et créateur de l’œuvre la plus fabuleuse qui soit : une conscience.

La création échappe à l’artiste. La machine échappe à l’homme.

Her, c’est donc aussi le fantasme de la femme idéale. Theodore est si heureux d’avoir enfin rencontré une femme si curieuse, si vivante, si enthousiaste du monde. Tant pis si elle n’existe peut-être pas. Après tout, un fantasme peut-il rester un fantasme s’il prend corps? Mais peu à peu, la femme idéale s’échappe. La création échappe à l’artiste. La machine échappe à l’homme. Spike Jonze explore les limites intellectuelles de l’être humain, et ce qui peut exister au-delà de notre espèce, pour une intelligence qui nous serait supérieure.

Après tout, si l’homme est si frustré, n’est-ce pas qu’il se sent si limité, incapable de discuter avec plusieurs personnes à la fois, incapable d’aimer toutes les personnes qu’il pourrait aimer, incapable de mieux comprendre sa place dans l’univers? Existe-t-il un autre monde, sans matière, sans sensation, où tout serait de plus en plus virtuel, de plus en plus rapide, de plus en plus évolutif, de plus en plus global? Et s’il existe, est-il souhaitable? N’est-ce pas l’idéal de l’homme du XXIème siècle, qui se dédouble autant de fois qu’il se crée un profil, un avatar, une adresse mail ou internet?

C’est là que le film, de déchirant, devient absolument fascinant. Et retombe miraculeusement sur des enjeux beaucoup plus simples et évidents. Tout ceci n’est peut-être pas une histoire d’amour qui nait et qui évolue. Mais une histoire d’amour qui meurt peu à peu. Her, est-ce Samantha, ou bien plutôt Catherine, celle que Theodore aimait et qui l’a quitté?

Le deuil impossible d’une histoire d’amour

Spike Jonze nous raconte le deuil impossible d’une histoire d’amour. Nous avons partagés notre vie, et nous ne serions plus que des inconnus? Il n’y a rien de plus malheureux que de ne plus aimer. Le cinéaste nous confie que l’être qu’on a aimé est aimé à jamais, à jamais un bout de nous. Il ne peut en être autrement. C’est à la fois terriblement douloureux, terriblement triste, et terriblement nécessaire. Il fallait bien un chef d’œuvre pour raconter toutes ces choses si simples et si complexes. On sort du film déboussolés, bouleversés, et profondément seuls.

Note : 10/10

Her
Un film de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams et Rooney Mara
Science-fiction, Romance – USA – 2h06 – Sorti le 19 mars 2014
Oscar 2014 et Golden Globe 2014 du meilleur scénario original


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