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Les 6 loupés de l'éditocratie sur le Front national

Publié le 04 avril 2014 par Juan

Le Front national a été sans conteste le mouvement politique le plus médiatisé de cette dernière campagne municipale. Avec plus d'un millier d'élus municipaux, une quinzaine de mairies, de jolies tribunes. 

On a pu se féliciter, au soir du second tour, que les lieutenants de Marine Le Pen aient été évincés un à un. Il n'en reste pas moins que ce Front national a réussi un coup politique.  

Voici les 6 loupés, volontaires ou pas, de l'éditocratie sur le Front national


1. On a trop parlé du Front national. 

Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a livré la semaine dernière un édifiant décompte: la chaîne d'information BFM TV a consacré 43% de son temps d'antenne au Front national dans les trois premières semaines de la campagne des municipales.
Qui a parlé d'équité ?

2. On a survendu la "normalisation" du Front national.

Quelques-uns se réveillent, mais trop tard. L'été dernier déjà, Mediapart relatait l'incroyable complaisance qui frappait quelques médias. Sans crier à l'indulgence généralisée, force est de constater que Marine Le Pen est parvenue à convaincre la quasi-totalité des médias traditionnels de l'aggiornamento idéologique qu'elle a fait subir au Front national. Même par ses critiques, le FN est désormais décrit comme "modernisé".
Certes, on a pu gloser sur ces néo-nazis ou autres racistes cachés/expulsés par le Front national "modernisé". Leur expulsion n'a pu que renforcer la perception d'une prétendue normalisation. On accord à Marine Le Pen un entretien en pleine page dans le Monde comme pour mieux parfaire cette normalisation. Que penser du Figaro qui en remet une couche avec cette improbable citation d'un improbable sondeur: "la normalisation du FN n'est pas terminée".
La même Marine Le Pen est condamnée pour un faux tract à Hénin-Baumont lors des législatives de 2012.

3. On a mal parlé du Front national.

La gauche officielle s'est indignée, mais que vaut l'indignation ? Le combat "anti-fasciste" s'est révélé impuissant, décalé, à côté de la réalité frontiste déployée par les marinistes. C'est un comble à l'heure où le FN version Bleue Marine ressemble "enfin" à version allégée du fascisme des années trente: défense du pouvoir d'achat et des prestations sociales, interventionnisme économique (notamment vis-à-vis de l'Europe) mais exclusion des "corps" étrangers. Les critiques du programme économique absurde du Front national ont été rares. Une large fraction de la droite dite républicaine a encensé les questions frontistes. François Fillon a osé déclarer qu'il pouvait préférer voter FN plutôt que socialiste au second tour si le socialiste était trop "sectaire".
Comme l'explique le journaliste Pierre-Yves Bulteau, le vote frontiste juxtapose un vote du Sud de la France, "qui s’appuie davantage sur l’héritage du père, Jean-Marie Le Pen, avec toute sa vieille rhétorique sur les étrangers et le sentiment de « ne plus être chez nous »" et celui du Nord, "un vote de désespoir, un appel à l’aide."

4. On a caricaturé l'opposition de gauche.

Par comparaison, le sort médiatique dévolu au Front de gauche co-animé par Pierre Laurent (PCF) et Jean-Luc Mélenchon (PG) est surprenant de différence. L'attitude rageuse et criarde du second n'y est pas pour rien. Les désaccords et disputes au sein du FDG non plus. Mais comment comprendre que la quasi-totalité des médias nationaux (*) aient continuellement, et systématiquement dépeint l'opposition de gauche comme un mouvement "archaïque", avec de "vieilles recettes".
Pire, le FDG était au mieux décrit comme l'alter-ego "populiste" du Front national.
La convergence éditocratique s'est lue jusqu'après le second tour des municipales.

5. On a ignoré la détresse.

Qui parle de la détresse sociale ? Quand parle-t-on de la précarité ? Il faut un fait divers gravissime - l'incendie d'un logement insalubre, le suicide d'un chômeur, ou la mort par le froid d'un SDF dans la rue pour bénéficier d'une brève, parfois mieux, dans un média national. L'expulsion d'une famille qui ne paye plus son loyer n'attire plus, l'absence de soins faute de mutuelles ne se voit pas. La malbouffe n'intéresse pas sauf si elle permet un bon sujet sur les risques de "l'obésité chez les pauvres." Ici ou là, la détresse sociale se montre et se traite, mais cela reste rare, trop rare. Combien de fois faudra-t-il en faire le constat ?
L'agenda médiatique se définit et s'alimente par un ensemble bien homogène de politiques et de journalistes. La voix puissante des éditocrates efface la contestation.

6. On a laissé au FN quelques thématiques fortes comme la sortie de l'euro.

Il fallau attendre ces derniers jours dans les colonnes de Marianne, à l'occasion de la publication d'un ouvrage de l'économiste "atterré" Frédéric Lordon ("La Malfaçon"), pour qu'on évoque enfin le tabou de l'euro comme il se doit. Aurélien Bernier, ancien dirigeant d'Attac, explique fort bien, dans un récent ouvrage (*), comment la gauche dite radicale, a complètement loupé son combat antifrontiste pour avoir abandonné quelques thématiques fortes et déterminantes: " la gauche radicale a tendance, à partir du moment où le Front national dit qu'il fait beau à dire qu'il pleut. Ce qui est tout à fait normal sur un grand nombre de questions mais qui pose problème sur d'autres comme l'Union europenne ou le libre échange et le protectionnisme".
A bon entendeur...
(*) La Gauche radicale et ses tabous, Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national, Seuil 2014.

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