Magazine Cinéma

NOÉ, de Darren Aronofsky

Par Onrembobine @OnRembobinefr


[Critique] NOÉ

Titre original : Noah

Note:

★
★
★
★
½

Origine : États-Unis
Réalisateur : Darren Aronofsky
Distribution : Russell Crowe, Jennifer Connelly, Emma Watson, Douglas Booth, Logan Lerman, Ray Winstone, Anthony Hopkins, Nick Nolte, Kevin Durand…
Genre : Aventure/Fantastique/Adaptation
Date de sortie : 9 avril 2014

Le Pitch :
Descendant d’Adam, le premier homme, Noé vit paisiblement avec sa famille, quand il reçoit des visions annonçant un terrible cataclysme. Le Créateur, qui s’est adressé à lui, projette de détruire le Monde en le noyant sous les eaux, afin de le laver des méfaits de l’homme gangréné par le mal. Il charge alors Noé de construire une gigantesque arche afin de sauvegarder un couple de chaque espèce animale. Un projet qui attire la convoitise de Tubal-Caïn, un roi autoproclamé, désireux de prendre possession de l’arche pour l’utiliser à ses propres fins…

La Critique :
Au commencement, il y eut le nombre Pi. Pi comme le premier film de Darren Aronofsky, sorti en 1999 et réalisé pour une bouchée de pain. Noé est alors déjà présent dans l’esprit du jeune cinéaste qui espère pouvoir un jour mener à bien l’adaptation de cet épisode tiré de la Bible. Ce film, qu’il sort enfin aujourd’hui, 15 ans après ses débuts, s’impose comme son arche. Un projet pharaonique carrément hors de la zone d’évolution d’un réalisateur habitué à des productions indépendantes. Certes, ce n’est pas le seul à être passé par là, pour se retrouver au final aux commandes d’un blockbuster à plus de 100 millions de dollars. Pas le seul, non, mais là, néanmoins, c’est différent. Différent, car ce film, Aronofsky l’a porté en lui pendant toutes ses années. Quand on regarde tous ses précédents personnages, que l’on parle du catcheur abîmé de The Wrestler ou de la ballerine de Black Swan, tous portent en eux cette dualité qui est aujourd’hui au centre du héros biblique joué par Russell Crowe. L’idée de rédemption étant elle aussi au centre de tous ces longs-métrages, aussi sombres soient-il. Ces films, brillants pour la plupart, sans concession, portés par une vision puissante, ont permis à Aronofsky d’imposer Noé. Ils ont bâti la réputation de l’artiste, ont prouvé son talent et sa capacité à mettre en image ses idées, ainsi que son caractère guerrier, quand il s’agit de faire valider ses opinions auprès d’un système plutôt hermétique quand il s’agit de ruer dans les brancards.
L’arche de Noé s’est donc construite tranquillement, en attendant la mise à l’eau. En se donnant entièrement à la confection de The Fountain, Requiem for a Dream et de toutes ses précédentes œuvres, le cinéaste n’a pas forcé les choses. Il n’a pas fait tous ses films pour réaliser Noé. C’est Noé, qui bien que présent depuis le début, qui s’est imposé comme une évidence, à un moment où il fut enfin possible d’envisager sérieusement le début des travaux. Aujourd’hui, alors que le film existe, on peut bel et bien parler d’étape dans la carrière d’Aronofsky.

Aronofsky et son co-scénariste Ari Handel ont commencé par aller trouver le dessinateur Niko Henrichon pour lui proposer de mettre en image leur histoire, tirée de l’Ancien Testament. Plusieurs mois plus tard est sorti en libraire, Noé la bande-dessinée. Divisée en quatre tomes, elle fut publiée dans son intégralité peu avant la sortie du long-métrage. Brillante de bout en bout, que ce soit au niveau du scénario que des dessins absolument magnifiques, et empreinte d’une force évocatrice rare, la BD peut très bien s’entrevoir comme le story-board du film. D’autant plus qu’au final, le réalisateur en est resté relativement proche.
Logique donc que les premières projections tests se soient avérées désastreuses. Ceux qui ont lu la bande-dessinée savent pourquoi et les autres ne tarderont pas à le découvrir, la bande-annonce restant judicieusement mystérieuse en laissant planer le doute au sujet des éléments qui ont déclenché la fureur de certains groupes religieux. Une haine qui a failli priver Aronofsky de son final cut, avant qu’il ait gain de cause. Noé tel que vous le verrez (ou tel que l’avez vu) est ainsi à 100% conforme à la vision de son réalisateur.

Une vision sans concession. On parle ici d’un film à gros budget. D’un blockbuster. Et d’habitude, les blockbusters ne sont pas spécialement connus pour leur liberté de ton. Normal, quand ils sont pilotés par des studios qui étudient dans les moindres détails des stratégies de vente afin de faire un carton en salle. Là c’est différent. Et franchement, ça tient de l’exploit tant le défi était grand. Darren Aronofsky a non seulement dû passer les défenses du studio et ses craintes, mais aussi celles des défenseurs d’une histoire connue de tous, qui allait subir un lifting au final jugé comme blasphématoire par les critiques les plus ardentes.
Dans le livre sacré, Noé et son arche n’occupent finalement pas une très grande place. Aronofsky et Handel l’ont bien compris et ont donc tenu à jouer sur l’aspect métaphorique de l’Ancien Testament. Sur ses images, sur ses évocations et sur les éléments de son propos concernant la nature humaine et ses contradictions. Leur récit adapte bien la Bible, mais replace l’action dans un environnement fantastique. Un fantastique présent via de petits détails, qui tiennent à la fois de l’extrapolation et d’une libre interprétation du texte originel. La personnalité des personnages, Noé en tête, est aussi développée, pour les faire cadrer avec une dynamique qui permettait au film de raconter avec tout le lyrisme et la grandeur nécessaire, une fresque aux proportions hors normes.
En cela, et pour tout un tas d’autres raisons que la loi du spoiler nous interdit de mentionner, Noé n’est pas un film blasphématoire. Chacun y verra ce qu’il choisira d’y voir. À l’instar des 10 Commandements, nul besoin d’être allé au catéchisme ou de « croire » pour apprécier le spectacle. L’une des plus grandes réussites du film étant d’être parvenu à une certaine universalité en respectant le matériau de base, sans s’interdire de l’interpréter avec audace.

Cela dit, on peut comprendre que Noé ait heurté certaines sensibilités un peu trop étriquées. On peut comprendre aussi la raison des sueurs froides provoquées chez les costards-cravates du studio. Jamais Aronofsky n’y va avec le dos de la cuillère. Son long-métrage est crépusculaire. Sombre, il va jusqu’au bout de sa logique et de son propos. La violence de l’homme, qui est la cause même du Déluge, n’est pas passée sous silence et est illustrée avec une force cruelle pénétrante. Au fil de tableaux qui transposent l’éloquence des fresques de la BD de Niko Henrichon, le film dessine un monde aux abois, mais ne cède jamais aux facilités inhérentes aux œuvres de fin du monde classiques. Noé lui-même, qui incarne un Bien en résistance contre le Mal, n’échappe pas à ce refus du manichéisme. Tiraillé entre sa conscience, son désir de mener sa mission à bien et ses convictions sur l’ordre des choses, ce héros se déchire, sujet à une certaine schizophrénie en soi toute humaine. Incarné par un Russell Crowe qui insuffle à la fois de la puissance, de la brutalité, mais aussi de la compassion et de la tendresse au personnage, cette figure emblématique du Grand Livre devient un authentique héros de cinéma. Massif, imposant, tour à tour effrayant et touchant, Crowe campe un Noé fascinant dans sa complexité et dans sa dualité. En face, Jennifer Connelly fait preuve d’une dévotion admirable. Toujours un peu en retrait, elle est pourtant bien là et contribue à entretenir la flamme vacillante d’un espoir tenace mais ténu. Elle est la face ensoleillé qui irradie sur l’âme de son mari, alors que ses fils, interprétés notamment par les excellents Logan Lerman et Douglas Booth, incarnent eux aussi le combat du bien contre le mal au centre du métrage. Impossible de ne pas mentionner Emma Watson, dont le rôle, dans un premier temps plutôt anecdotique, prend une ampleur saisissante, révélant au passage la faculté de la comédienne à embrasser une gravité jusqu’alors seulement aperçue. Excellente, Emma Watson est au centre d’un film ambitieux, au casting de haute volée, traversé par la douceur grave d’un Anthony Hopkins parfait en Mathusalem, et par la fureur perfide d’un Ray Winstone effrayant et lui aussi imposant. Ce dernier, avec Noé, est d’ailleurs là encore la preuve du refus du film de céder à un trop plein de manichéisme, tant son caractère ne ressemble pas vraiment à celui d’un méchant classique. Certes cruel, il est surtout motivé par un instinct de survie en somme toute très humaniste, ce qui nourrit le principal paradoxe du long-métrage.

Pas de doute, Noé est bien un film de Darren Aronofsy. De A à Z, il contient tous les thèmes chers au réalisateur. Visuellement, le film est incroyable. Pour la première fois aux commandes d’un long-métrage à grand spectacle, riche en effets-spéciaux (mais pas trop non plus), Aronofsky n’évite pas quelques faux pas, mais globalement, il assure, rendant visible à l’écran le moindre dollar. Les prises de risque ne payent pas toujours comme elles le devraient, mais quand elle le font, c’est le K.O., à l’image de cette évocation de la Création, ou de cette séquence ahurissante d’une Arche à la dérive au milieu d’un océan de corps agonisants, qui cristallise l’Apocalypse avec une puissance propre aux toiles de maîtres, rarement atteinte au cinéma, tandis que la superbe musique de Clint Mansell orchestre le tout.
Honnête jusqu’au bout, Aronofsky, parfois excessif, arrive néanmoins à noyer les imperfections qui émaillent son film. Qu’elles soient situées au niveau du montage, parfois approximatif (certaines ellipses sont plutôt frustrantes), ou de la narration. Noé est un film qui s’envisage dans sa globalité.

Ils sont rares les films comme celui-ci. Il était légitime de penser qu’avec son histoire, Noé allait raviver la tradition hollywoodiennes des films bibliques, mais au final pas tant que cela. À la fois moderne, car quoi qu’il en soit tourné vers des productions du genre de celles de Peter Jackson, et old school, de par son sujet, Noé ne ressemble qu’à lui-même. Encore une fois, dans sa globalité.
Spectaculaire, épique, terrifiant de noirceur, et terriblement beau, Noé fait honneur à son réalisateur. Il n’a rien du blockbuster désincarné. C’est avant tout un film de Darren Aronofsky, avec ses qualités et ses défauts. Le travail d’une équipe soudée. Un film humain, qui a su profiter avec justesse et pertinence de ses effets-spéciaux pour servir son histoire. Alors oui, on peut parler de grand film !

@ Gilles Rolland

Noé-Noah-Crowe-Connelly
Crédits photos : Paramount Pictures France


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