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Via de la Plata. Étape 11: la société du chemin.

Publié le 09 avril 2014 par Sylvainbazin


Ce matin, je me suis leve un peu plus tôt encore. Pas de mon intention personnelle mais mes co-cameristes ont bouge des 7h moins dix et comme, malgre le fait incroyable qu'il n'y ait eu aucun ronfleur parmi eux, j'avais mal dormi, mon voisin, un jeune espagnol sympa mais un peu perdu, trifouillant dans son sac au coeur de la nuit, je trouvais que vraiment, ca faisait tôt.
Mais enfin je n'ai guere ressenti ce manque de repos sur le chemin et l'etape est passee facilement, mis a part que mes pieds commencent vraiment a souffrir du traitement et qu'après mon souci au gros orteil, toujours present, les premieres ampoules au talon apparaissent.
Car sinon, sous un soleil qui commence a me rougir les bras et les mollets, j'ai marche tranquillement aujourd hui, 46 kilometres quand même, souvent en compagnie.
Les premiers kilometres se font sur la route. Ce n'est pas tres beau. Les bords de national manquent de poesie, On n'y cueille que des bouteilles pleines de liquides suspects, des detritus balances des voitures. Heureusement, l'Espagne n'est pas un grand pays de chats, ca evite d'en retrouver morts sur le bas-cote. Mais bon, j'ai quand même vu un squelette complet de chien, preuve que ca ne doit pas etre nettoye souvent.
Mais enfin, ce n'est pas non plus si sale et le paysage autour reste agreable. Et puis je vais assez vite, ca passe vite. Je rattrappe mes compagnons de la derniere soiree. En dernier, un francais de Caen qui marche d'un bon pas. Je decide de l'accompagner jusqu au premier village du jour, Banos de Montemayor.  
Nous devisons gentiment. C'est un habitue des chemins de pelerinage, comme presque tous ceux que je rencontre sur cette Via de la Plata, qui est rarement un chemin "inaugural". Il bougonne un peu contre nos compagnons d'hier. N'aime pas trop l'anglaise qui prend bus et taxi tout en racontant qu'elle a effectue un nombre de chemin importants. Mais enfin, chacun sa facon d'envisager la chose, même si, je suis d'accord avec lui, la marche constitue l'essence de ces voyages.
Nous traversons de concert le village, puis je laisse mon premier compagnon de marche du jour au pied du debut de la montee du col du jour: le col de Bejar. Bon, rien de bien mechant, il culmine a 975 metres et la montee, assez reguliere se fait sur un beau chemin. A la base, c'est toujours la voie romaine que je suis depuis plusieurs jours, presque depuis mon depart. Ici, les paves romains sont souvent bien conserves. J'attaque la pente d'un bon pas, même si l'accumulation des kilometres commence a se faire sentir, notamment dans l'etat de mes chaussures et de mes pieds, ca va plutot bien.
Au col, un panneau m indique que je viens d'entrer en Castilla y Leon. Finie donc l'Extremadura que j'ai traverse ces dix derniers jours. Le balisage change lui aussi un peu.
Le paysage est maintenant celui d'une gentille montagne a vache. Quelques sommets enneiges en arriere fond, une riviere assez paisible en contre-bas, un beau chemin qui se faufile dans les bois. Je marche bien, cours dans la belle descente qui suit.
Du coup, j'arrive assez vite, sous le coup de midi, au village de Calzada de Bejar. Les maisons evoquent directement un habitat montagnard: balcon en bois et greniers apparents. Je trouve le bar, blotti derrière l'eglise: un bocadillo sera le bienvenu.
J'entame mon repas quand un pelerin, que j'ai depasse peu avant, entre a son tour. Yves est francais, imprimeur a la retraite, et marche souvent sur des belles randonnees. Il est aussi coureur, de trail et de 100 kms. Nous discutons un moment. Comme il avait mal a un tendon, il pensait s'arreter la pour aujourd'hui. Mais il ne souffre plus alors il va sans doute continuer un peu. Je le quitte pour poursuivre mon chemin.
Mais decidement ma route n'est pas solitaire aujourd hui. En sortant du village, un homme, dans mes ages, est assis au bord du chemin, en train d'ajuster ses chaussures. C'est le hollandais dont Yves venait de me parler. Nous nous saluons et il me demande si il peut marcher avec moi quelques instants. Bien sur! Il ne me reste que 20 kilometres, et en plus nous allons au même endroit, la journee est belle et me trouver des compagnons de route me change, brise agreablement ma solitude de pelerin express de ce debut de Via de la Plata. Solitude appreciee, mais qui ne demande aussi qu'a etre plus entrecoupee par ces moments partages. Aujourd'hui, il y en a pour moi!
Nous marchons, a un assez bon rythme, dans un decor toujours agreable, plus ouvert que ce matin. Les cimes enneigees sont toujours la, mais derrière nous maintenant, et les bois ont laisses place aux pres. J' est également un grand amateur de randonnee et de voyage a pied. Professeur de statistiques, il met a profit ses vacances pour faire des bouts de camino et d'autres itineraires. Je lui parle des 88 temples, de la Via Francigena. Ca l'inspire bien. Comme il va sans doute perdre son emploi, il risque avoir un peu de temps pour marcher davantage. Il est aussi marathonien et le Nepal l'attire bien également. Bref, après avoir pris quelques photos et rencontrer une belle vipere qui n'apprecie quand même pas trop d'etre photographiee de trop pres par mon ami hollandais et tente une belle attaque contre son appareil photo, nous arrivons au village suivant.
Le soleil tape fort et mon compagnon propose un arret au bar local, pour se rafraichir.
Yves arrive un instant plus tard. "Ca fait deux heures que je suis derrière vous et que je n'arrive pas a vous rattrapper!" Mais comme decidement il va mieux, il continue avec nous jusqu a ma destination du jour. C'est donc tous les trois que nous entamons ce dernier troncon, une douzaine de kilometres.  
Mais Walter, qui semble vouloir faire davantage de pauses, s'arrete pour discuter avec une australienne (une retraitee de la police, qui parcourt le chemin en autonomie, mangeant les lyophilises qu'elle trimballe, un peu comme si elle traversait le bush, apprendrais je ensuite) et nous continuons.
Yves a retrouve son pas de trailer (mes deux compagnons portent short, tee-shirt et chaussures de trail) et nous avancons bien en discutant.
Le village de Fuenterobbles est bientôt la. Yves, qui a une GPS, a parcouru 34 kms. Comme j'en ai fait 12 de plus, mon etape represente tout de même 46. J'ai bien le sentiment que certaines de mes etapes etaient bien plus longues que sur le papier.
Quoi qu'il en soit, même si mes pieds commencent a souffrir, je suis heureux de profiter de ces rencontres. Après qu'une petite dame nous ait conduit dans un hebergement confortable et pas bien chere, nous retrouvons en effet au cafe d'autres pelerins et un diner convivial s'engage.
Michel est geologue a la retraite, Jean est retraite également et sa jolie fille Alix l'accompagne.Ingenieure agronome, elle est en réflexion pour chercher un emploi, faire le chemin l'aide aussi a faire des choix.
Et un suisse allemand dont je n'ai pas saisi le prenom completent la tablee.
C'est le chemin qui nous reunit ici et bien naturellement nous parlons de lui. Michel aime particulierement la forme de "petite société" qu'il cree, au hasard des rencontres et des deambulations, comme celle qui nous lie ce soir. C'est vrai que les barrieres sociales y sont sinon effacees, au moins amoindries. Un peu comme dans la course a pied, mais peut etre même un peu plus car le pelerinage n'induit pas de classement ni de competition, tout le monde est reuni dans le même but, poursuivre son chemin, même si il peut etre different.
Pour mes convives retraites, c'est peut-etre une facon de bien vivre leur retraite, avec encore des voyages, des reves et des valeurs. De mieux prendre le temps aussi, après une vie professionnel et familiale bien remplie, ne leur laissant guere le loisir de ces grandes marches au rythme que bon leur semble. "La vie commence a soixante ans", a ainsi ecrit Bernard Ollivier.
J'ai pour ma part decide de vivre ces experiences, a ma facon, et plus jeune. Je le regretterai peut-etre, ou je n'en aurai pas le temps.
Mais ce soir, dans cette belle société du chemin, l'ambiance est belle. Nous parlons des itineraires, j'evoque le Japon et la Via Francigena. Et puis bien sur nous parlons du plaisir de cheminer sur cette belle Via de la Plata, si pleine d'histoire, pas seulement chretienne car nous avons vraiment aussi le sentiment de marcher dans les pas des romains et des arabes.
Et puis du sentiment particulier d'y aller a pied, de ces impressions, ces visions particulieres du paysage qui naissent de la marche. Car si mes amis ne vont pas aussi vite que moi, la notion d'effort, sur ce camino, nous reunit aussi. Un effort qui est aussi la preuve d'existence que l'on vient sans doute y chercher.

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