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Via de la Plata. Étape 19: me voici en Galice!

Publié le 17 avril 2014 par Sylvainbazin


C'est une belle lumiere matinale qui me reveille aujourd hui et eclaire les arbres en fleurs depuis la fenetre de l'auberge. Je n'ai pas ete derange par les voisins: je n'en avais pas. Seul un couple de marcheurs espagnols dormaient dans l'autre piece. De quoi bien dormir et donc démarrer du bon pied.
Cela dit, mon petit dejeuner est assez leger: je n'ai plus que trois euros sur moi et comme il n'y a pas de machine d'ici mon etape de A Gudina, je vais devoir faire avec. Quelques carres de chocolat d'Astorga achete hier avec mon diner et un cafe a la machine feront l'affaire.
Le programme de la matinee est simple: d'abord l'ascencion d'un col. Il s'appelle le Pardonelo et culmine a 1345 metres. Rien de terrible donc mais tout de même une bonne grimpette. Malheureusement, des travaux- encore!- condamnent temporairement le debut du chemin et je dois effectuer les trois premiers kilometres sur la route nationale. Je ne sais ce que l'on construit encore: sur la nationale, pratiquement aucune voiture ne vient troubler ma marche puisqu on a déjà construit une autoroute juste au-dessus. Il me semble dommage d'abimer encore davantage ces montagnes, mais les imperatifs economiques doivent etre puissants.
Je monte ainsi jusqu au village de Pardonello, ou je depense mon dernier euro vaillant dans un cafe au lait. Ici, les distributeurs de monnaie sont rares mais les etablissements qui prennent la carte bleue le sont aussi! Pour un francais comme moi habitue a utiliser de moins en moins le "cash", c'est une donnee a gérer. J'avais eu le même souci d'ailleurs l'an passe au Japon, ou l'on est aussi tenant de l'argent en pieces et billets. A mon sens, la carte bleue symbolise pourtant bien ce qu'est l'argent, surtout depuis le 19e siecle : une pure abstraction et une realite virtuelle, qui a certes une grande importance, materielle et reelle, dans nos existences. Même dans celle d'un pelerin moderne! Ce cafe me fera avancer pour le reste de la montee et l'agreable descente qui suit et me mene a Lubian.
Il est encore tôt et il me reste 25 kilometres et un autre col a franchir, les jambes vont mieux qu'hier, le parcours, debarasse des travaux, s'annonce beau entre pentes et landes. Bref, tout va plutot bien et le soleil brille en plus genereusement. L'eau coule partout et les fontaines sont nombreuses ici, aussi je ne risque pas la deshydratation. Mes deux marcheurs espagnols, que je croisent dans le village, s'arretent la. La dame me demande si je ne crains pas de marcher par cette chaleur. C'est amusant de constater qu'ici on se mefie de la chaleur, pourtant commune. Il est vrai qu'au Japon, ou le soleil est tres fort, on s'en protege souvent a tous prix, quitte a avoir trop chaud. On a pas forcement le même rapport avec ce qui est commun ou exceptionnel selon les pays, j'ai pu le constater dans mes voyages.
C'est donc d'un pas plutot decide que j'entame la deuxieme ascencion du jour, celle du col de la Canda qui doit me mener en Galice, qui sera bien entendu la derniere province de mon voyage.
C'est une belle montee: le sentier est longtemps a l'ombre, entre de beaux arbres aux troncs sculptes par le temps. Les primeveres couvrent le sol. Il court plus ou moins dans le lit d'un petit ruisseau mais des pierres plates, habilement placees, permettent d'avancer sans se mouiller les pieds. Je grimpe ainsi a un bon rythme.
La fin du col est plus a decouvert: une lande, parsemee de bruyeres, s'etend devant moi. Je ne sais si c'est a cause de cette entree en Galice, de cette fin de voyage qui s'annonce, ou bien si c'est juste le lieu ou les sensations qui y sont aujourd hui associees, mais mon esprit s'evade alors vers les souvenirs de ma vie de voyageurs.
Une vie a destinations multiples qui s'est bien acceleree ces dix dernieres années. J'avais eu la chance de decouvrir presque toute l'Europe avec mes parents, puis mes années etudiantes m'ont curieusement un peu eloignees des voyages. J'ai même du passer un an entier sans quitter l'hexagone, ce qui m est presque inimaginable. Et puis, a partir de 2005, ma soif d'ailleurs, d'itinerances et de decouverte s'est acceleree pour devenir un des grands moteurs de ma vie. Je repense a ma decouverte du desert, aux jeux mondiaux de l'environnement dans un coin enchante du Bresil, et puis bien sur au Nepal. Et puis a tous ces voyages, toutes ces courses aussi qui y sont lies. Bien sur, je n'ai fait qu'effleurer certains pays. Peut-etre n'ais je rien compris au Nepal, au Maroc, au Japon. Mais j'y suis alle a pied- enfin je les ai parcouru a pied- et cela cree un rapport aux lieux et aux gens, tout a fait particulier. Une connaissance tout de même intime d'une certaine realite physique d'un pays.
D'ou sans doute ces "grands chemins", et particulierement ces pelerinages, qui occupent mon esprit et mon corps depuis ces deux dernieres années. Ils sont la synthese de ce que j'ai aime dans mes voyages, dans l'itinerance decouverte par les courses par etapes, dans le depassement de soi pour soi, pour la beaute du geste et l'inutilite de "l'exploit" physique. Dans la recherche d'un "soi-meme" et d'un "au-dela de soi-meme" sans doute aussi.
Du coup, tout en grimpant une pente tout de même accentuee, je pense a ceux qui m ont inspire, dans cette demarche voyageuse et aussi dans le fait de tenter de la faire partager par l'ecrit et l'image. Bien sur, j'ai dans mon pantheon personnel nombre de coureurs a pied qui accompagnent souvent mes pensees. Mais ici, dans ces "grands" voyages a pied, c'est sans doute d'ailleurs que viens mon inspiration. Dans le "milieu" de la course et du trail- discipline jeune ou j'ai des amis, ou j'ai connu de belles complicites qui parfois ne durent pas mais c'est ainsi- c'est surtout Philippe Delachenal et ses grandes "bambees" et bien sur Bruno Poirier et sa quete du Graal himalayen qui m'ont inspire dans ce gout a la fois de l'itinerance et du depassement "gratuit", sans forcement le strass et le stress de la competition. Dans une certaine quete de purete de l'effort et du rapport au milieu naturel aussi.
Mon inspiration vient aussi des "walking artist", Richard Long et Hamish Fulton, que j'ai eu le plaisir de rencontrer a mon depart de la Via Francigena.
Enfin, certains "textes fondateurs" m'ont également guide vers la demarche qui me guide aujourd'hui: je pense bien sur a la "longue marche", du sincere Bernard Ollivier, ou encore, plus ancien mais tres important pour moi, le "chemin faisant" de Jacques Lacarriere a travers la France des années 70, dans un temps ou on ne randonnait pas encore. Enfin, je me souviens du "fou de la marche", de Lanzmann, qui m avait bien marque aussi. Des ecrivains, raconteurs, marcheurs qui etaient souvent des coureurs (a pied bien entendu!) aussi. C'est beaucoup a eux et a leurs recits que je dois d'etre la, avancant a la force de mes mollets un peu fatigues dans cette pente, aujourd'hui. Et bien sur plus directement a ceux que j'ai cite juste avant.
Je pense a tout ca, et a mettre un pied devant l'autre, jusqu a atteindre le sommet. Un beau panneau et une stele y sont plantes: ils m annoncent que je suis maintenant en Galice et qu'il me reste 220 kms a parcourir pour revoir Saint-Jacques. Une autre stele, un peu plus loin, en annonce 246. Les distances sont relatives sur ce chemin. D'ailleurs, certaines de mes etapes m ont paru plus longues qu'annoncees.
Mais aujourd'hui, les 42 kilometres prevus ne me paraissent pas des lieues. J'arrive au village suivant ou je decide finalement de m accorder une vraie pause dejeuner. On prend la carte bleue, il n'est pas tard, je ne suis pas presse et il ne me reste que treize kilometres.
Ces treize kilometres seront beaux, dans un paysage plus decouvert, une lande peuplee seulement de roches et de quelques arbres souvent. Ils seront bien chauds et ensolleilles aussi, et toujours bien vallonnes car je parcours une region de moyenne montagne comme je les aime. Une montagne ou l'on peut courir et marcher avec plaisir en deployant ses foulees, une nature preservee et vierge d'horribles stations de ski.
Bon, les derniers kilometres avant A Gudina (j'aime les noms des villages de Galice, ces O Peireiro et O Cerbreiro, qui sonne comme des chansons) retrouvent la nationale et ne sont du coup pas bien agreable, mais qu'importe, j'ai passe une belle journee que suis heureux de conclure en retrouvant un bon lit bien large dans une chambre d'hotel (ici, ca coute 20 euros) pour recuperer au mieux avant la longue etape qui m attend encore demain a travers la Galice.

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