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Celluloidiva d’Harald Schleicher : Rendre leur féminisme aux étoiles

Par Marcel & Simone @MarceletSimone

Harald Schleicher, professeur et vidéaste allemand, propose, à travers plusieurs de ses œuvres, sa vision réappropriée de l’histoire du septième art. Il puise dans un patrimoine cinéphilique commun pour moderniser ces images mythiques et leur donner une nouvelle dimension à la thématique toujours très actuelle.

Réalisé en 2008, Celluloidiva est la version féminine du diptyque de vidéos intitulé "The Gender Tapes" : et, c’est son opposé masculin A Man’s got to do what a man’s got to do qui ouvre le bal en 2005. L’artiste part explorer la représentation des identités sexuelles au cinéma et démontre, en (re)mettant en scène des acteurs et des actrices, comment ces « stars » véhiculent et cristallisent des codes de genre.

Tout au long de Celluloidiva, Schleicher mélange les époques et nous entraine, de Marlène Dietrich dans Cœurs Brûlés en 1930 à Uma Thurman dans Kill Bill - Volume 2 en 2004, dans une fiction inédite qui s’étend sur plus de soixante-dix ans de films et de ces douze minutes d’images mouvantes se dessine une fresque originale de la féminité au cinéma.

Grand adepte de la rotoscopie (« technique cinématographique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure pour en retranscrire la silhouette et les actions »), Schleicher, collectionneur de films numérisés donc doté du pouvoir divin de la résurrection, redonne vie à ces personnages aux traits légendaires qui planent dans notre inconscient collectif comme des réminiscences visuelles. Et cela, pour nous raconter une histoire cinématographique du genre qui se fonde ici sur un double discours.

Un film classique ?

Malgré l’aspect assez fragmenté de la vidéo, Schleicher raconte une histoire d’amour romancée et structurée. De la rencontre au premier baiser, du mariage à la maternité, pour se finaliser dans une volonté d’indépendance : les thématiques abordées, bases scénaristiques, retracent une histoire d’amour. L’auteur propose une métaphore de la mise en scène : il dirige ses actrices, choisit leurs répliques et à qui elles les donneront, tout en plaçant ses protagonistes dans un nouveau décor.

Du féminisme

Plusieurs échos féministes résonnent dans Celluloidiva. Schleicher raconte une histoire d’amour d’un point de vue exclusivement féminin et réducteur, pour ne pas dire dégradant, pour illustrer le schéma typique que doivent suivre ces personnages de femmes pour s’épanouir dans la fiction. Elles tombent amoureuses, veulent se marier, s’en suit le désir ardent de devenir mère au foyer pour ensuite mieux détester leurs maris : voilà le modèle de vie sentimentale d’une femme véhiculé par de nombreux films (et Hollywood a sûrement la plus grande part de responsabilité dans cette histoire). Claudia Cardinale est Jill dans Il était une fois dans l’Ouest et rêve éveillée, face caméra, les yeux plein d’espoir, de pouvoir s’occuper de la maison tandis que Jayne Mansfield déclare : « I just want to be a wife, and have kids ». La crédibilité des actrices est bafouée : elles sont toutes réduites à des aspirations communes et donc soumises aux limites de leurs émotions.

En extrayant ces silhouettes mouvantes de leurs films d’origine, Schleicher renforce son discours féministe et fait la dissection de comportements caricaturaux : sortis de leurs contextes, les stéréotypes liés à la féminité sautent aux yeux, révoltent ou amusent. Le vidéaste met en images des propos avec une prise de distance évidente, guidée par un cynisme qui s’épanouit entièrement dans l’intervention à l’écran de Fanny Ardant, s’échappant du film 8 Femmes, qui se fait spectatrice des pleurs d’autres comédiennes et déclare en applaudissant : « Bien jouée la scène du mélodrame ! ». Cette phrase, presque chantée par la voix si singulière d’une des muses de Truffaut, rappelle avec finesse que toutes ces actrices ne sont que des personnages aux facettes multiples, mises au service de codes, et souvent produits d’un "star system" exigeant.

Celluloidiva d’Harald Schleicher :  Rendre leur féminisme aux étoiles

L’immortalité

Mais, à ce discours critique se lie un hommage langoureux de cinéphile. En subtilisant l’identité des metteurs en scène des actrices choisies revenantes à l’image, Schleicher redonne une autonomie à ces femmes en leur permettant de contrôler le nouvel espace confié. Elles s’émancipent de leurs fictions initiales et se confessent : le vidéaste leur restitue leur intimité volée.

En leur offrant une nouvelle vie, l’artiste se bat contre l’éphémère, inévitablement lié à leur condition de stars. Le titre Celluloidiva renvoie d’ailleurs à ce mariage forcé entre l’aspect éphémère, métaphorisé par la matière des anciennes pellicules cinématographiques celluloïd, inutilisable de nos jours car trop inflammable, et ces divas, que le temps menace.

Les hommes sont hors champ, exclus pour permettre à une palette de féminités de se mettre en place. Les auras propres aux actrices s’enlacent sans limites : angoissée, Isabelle Huppert demande à Sharon Stone comment séduire un homme ; BB, maquillée dans une autre diégèse par Jeanne Moreau, danse le mambo et Dieu (mais surtout elle) créa la spontanéité comme moteur du corps féminin ; Marilyn cache sa flasque d’alcool dans ses bas nylon ; Meg Ryan se lamente face aux années qui passent tandis que Bette Davis entame sa quarantaine avec classe … Leurs silhouettes découpées, elles deviennent des icônes, au sens plastique du terme.

En visionnant Celluloidiva, on ressent que Schleicher détruit un mythe, en le renforçant : il réussit à redonner de la force à l’identité sexuelle féminine en mettant à nu les stéréotypes qui hantent les pellicules cinématographiques. Et finalement, ce sont ces stéréotypes qui perdent de leur crédibilité et non pas les divas. Ces divas qui, surgissant du néant, s’échappent d’un espace temps qui est ailleurs, qui appartiendrait à ces étoiles et à l’éternité. Et, Gloria Swanson, s’évadant le temps d’une réplique de Boulevard Du Crépuscule, le résume à merveille dans cette phrase culte : « Stars are ageless, aren’t they ? ».

Pour les curieux (cinéphiles ou non) :

www.haraldschleicher.de/


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