Magazine Poésie

LA MAISON DE CLAUDINE (Colette) Ma mère et les livres.

Par Elisabeth Leroy

Le mot "presbytère" venait de tomber cette année-là, dans mon oreille sensible, et d'y faire des ravages.

Loin de moi l'idée de demander à l'un de mes parents : "Qu'est-ce que c'est, un presbytère ?"

J'avais recueilli en moi le mot mystérieux comme brodé d'un relief rèche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe... Enrichie d'un secret et d'un doute, je dormais avec le mot et je l'emportais sur mon mur. "Presbytère !" Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l'horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : " Allez ! vous êtes tous des presbytères ! " criais-je à des bannis invisibles.

Un peu plus tard, le mot perdit de son venin et je m'avisai que le "presbytère" pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir... Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu'elle soit, ressemble passagèrement à l'idée que s'en font les grandes personnes...

- Maman ! regarde le joli petit presbytère que j'ai trouvé ?

- Le joli petit... quoi ?

- Le joli petit presb...

Je me tus. Trop tard, il me fallut apprendre - "Je me demande si cette enfant a tout son bon sens..." - ce que je tenais tant à ignorer, et appeler "les choses par leur nom..."

- Un presbytère, voyons, c'est la maison du curé.

- La maison du curé... Alors M. le curé Millot habite dans un presbytère ?

- Naturellement... Ferme ta bouche, respire par le nez... Naturellement, voyons...

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Le mot "presbytère" venait de tomber cette année-là, dans mon oreille sensible, et d'y faire des ravages.

Loin de moi l'idée de demander à l'un de mes parents : "Qu'est-ce que c'est, un presbytère ?"

J'avais recueilli en moi le mot mystérieux comme brodé d'un relief rèche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe... Enrichie d'un secret et d'un doute, je dormais avec le mot et je l'emportais sur mon mur. "Presbytère !" Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l'horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : " Allez ! vous êtes tous des presbytères ! " criais-je à des bannis invisibles.

Un peu plus tard, le mot perdit de son venin et je m'avisai que le "presbytère" pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir... Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu'elle soit, ressemble passagèrement à l'idée que s'en font les grandes personnes...

- Maman ! regarde le joli petit presbytère que j'ai trouvé ?

- Le joli petit... quoi ?

- Le joli petit presb...

Je me tus. Trop tard, il me fallut apprendre - "Je me demande si cette enfant a tout son bon sens..." - ce que je tenais tant à ignorer, et appeler "les choses par leur nom..."

- Un presbytère, voyons, c'est la maison du curé.

- La maison du curé... Alors M. le curé Millot habite dans un presbytère ?

- Naturellement... Ferme ta bouche, respire par le nez... Naturellement, voyons...

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