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La petite dame en son jardin de Bruges

Publié le 28 avril 2014 par Adtraviata

La petite dame en son jardin de Bruges

Présentation de l’éditeur :

Délicat blason d’une vieille dame, un texte tendre et sensible qui se découvre comme un récit, se regarde comme une aquarelle et se dédie par la lecture à toute grand-mère affectionnée.

Sur Charles Bertin (pioché sur le site d’Espace Nord) :

« S’il est une donnée fondamentale de mon être, c’est bien l’attachement viscéral que j’éprouve à l’égard de ma langue, de ma terre et de ma culture. » Ainsi se présentait Charles Bertin (1919-2002), docteur en droit de l’ULB et membre de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, qui fut à la fois poète, dramaturge, romancier et essayiste. Il a entre autres publié chez Actes Sud Les Jardins du désert et La petite Dame en son jardin de Bruges.

Je ne suis pas la première à parler de ce récit en ce mois belge, et cela n’a fait que renforcer mon désir de relire ce livre très aimé, déjà lu et présent dans ma bibliothèque depuis 1996, l’année de sa parution chez Actes Sud. Dans ma vie de lectrice je n’ai que rarement relu des livres, à la fois par manque de temps (accumulation de piles empilées et réempilées…) et sans doute par crainte d’être déçue par la relecture d’un roman resté précieux dans la mémoire. Et pourtant, les trois livres lus et relus (à plusieurs années de distance, quand même) ne m’ont jamais déçue. Il s’agit, vous le le devineriez jamais, de L’Oratorio de Noël, de Göran Tunström, Derrière la colline, de Xavier Hanotte auxquels s’ajoutent maintenant La petite dame en son jardin de Bruges. Et la magie a de nouveau opéré, dès les premières lignes :

"Cette nuit l’envie m’est venue d’aller dire bonjour à ma grand-mère.Ce n’est pas la première fois qu’elle me manque, mais je n’avais jamais éprouvé avec autant d’insistance le besoin de la revoir. Comme elle est morte depuis près d’un demi-siècle, j’ai pensé qu’il était préférable de me mettre en route tout de suite : j’avais déjà un pied hors du lit quand je me suis réveillé pour de bon."

Voilà donc le début d’un voyage par l’écriture et la mémoire pour aller à la rencontre de Thérèse-Augustine, qui fut d’abord une fille sacrifiée sur l’autel des ambitions de ses parents envers ses frères, puis l’épouse aimante et aimée d’un cheminot qui finit sa carrière à Bruges où le couple habita une petite maison cachée au creux de jardins clos. Pour accompagner un peu la solitude de la grand-mère devenue veuve, les parents du petit Charles eurent l’idée de l’expédier en vacances à Saint-André, dans ce faubourg de Bruges où se nichait ce jardin hors du monde.

"J’ai passé bien des heures heureuses dans ce déambulatoire de verdure dont j’étais la plupart du temps l’hôte unique, si j’excepte le chat de nos plus proches voisins. Quand il faisait soleil, il y régnait, même au plus fort du jour, une pénombre dorée dot la paix claustrale me ravissait et m’inquiétait un peu. L’irréalité de la lumière poudreuse qui jouait à travers les feuilles, ce silence d’eau profonde où j’avais l’impression de me haler comme un plongeur, et jusqu’à la légère oppression que suscitait dans mon esprit la luxuriance d’une végétation qui paraissait capable de submerger toute autre vie que la sienne, contribuaient à me persuader qu’à quelques dizaines de mètres de la chaussée, le monde des hommes était aboli. Un de mes jeux favoris consistait d’ailleurs à me comporter en survivant : je m’étais ménagé à l’insu du chat une ou deux caches dans les buissons, et je négligeais rarement, en vue d’une disette éventuelle, de compléter l’ordinaire de mon goûter en grappillant quelques provisions supplémentaires à la cuisine. 

Les instants de haute félicité que j’ai connus sous mes voûtes de frondaison demeurent unis dans mon souvenir à ces journées de temps incertain que ma grand-mère appelait du temps d’arc-en-ciel, où le soleil continuait à briller entre les nuages au coeur même des averses de pluie tiède." (p. 18-19)

C’est le début d’une série de vacances où va se nouer entre l’enfant et sa grand-mère un lien indéfectible : douceurs d’été, aventures au jardin, escapades à la mer se mêlent à la révélation de la personnalité originale de la petite dame et à la passion partagée des livres. On parlerait aujourd’hui de complicité inter-générationnelle, mais il s’agit de bien plus que cela : par l’écriture, Charles Bertin dessine le portrait d’une grand-mère très aimée, dont la fin de vie douloureuse ne peut effacer la lumière, la grâce des souvenirs de Bruges, par l’écriture, il tend la main et le coeur vers le royaume des morts où repose la petite dame, pour tenter de la rejoindre en un hommage poétique et reconnaissant : dans ce récit sans doute largement autobiographique, l’écrivain et le poète sait bien que les rêves et les désirs de sa vie d’adulte prennent leur source et leur envol dans la personnalité et la détermination de sa grand-mère. Aïeule et petit-fils se sont épanouis l’un grâce à l’autre, et cette recréation du souvenir, par les parfums, les images, les couleurs et les ambiances, par l’évocation de Bruges, par le poète et romancier que fut Charles Bertin est d’autant plus émouvante par-delà la mort.

"Les touristes se soucient rarement ce genre de nuances : leur curiosité se limite la plupart du temps au coup d’oeil traditionnel sur les quelques édifices illustres qui perpétuent avec une impassibilité apparente l’orgueil d’une gloire sanctifiée par le temps. Mais celui qui prend la peine de gagner ces quartiers moins fréquentés, à l’heure où le silence n’est plus troublé que par la rumeur lointaine de la cité et le tintement de quelque cloche dans une église de faubourg, aura peut-être la chance d’accueillir, au long d’un quai bordé par des eaux mortes ou sur le seuil d’une place où sommeillent quelques maisons sans âge, le souvenir poignant des anciens jours : c’est comme une bouffée de musique ténue, un concert de brume aux flambeaux qui affleure à la surface du passé, la vocalise d’une vie de antérieure de bonheur insoucieux à peine modulée sur l’écran de la mémoire. Peu de chose en vérité, et il faut certes une bonne oreille pour l’entendre, mais il arrive certains soirs privilégiés que la mélodie d’une viole à danser franchisse des siècles de silence pour célébrer comme autrefois les noces de Bruges avec la mer." (p. 74-75)

Charles BERTIN, La petite dame en son jardin de Bruges, Actes Sud, 1996 (toujours disponible en Babel)

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La petite dame en son jardin de Bruges


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