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"L'alphabet des anges" de Xochitl Borel

Publié le 29 avril 2014 par Francisrichard @francisrichard
"L'alphabet des anges" de Xochitl Borel

Qu'est-ce qu'un ange? Etymologiquement, c'est un messager. Dans les religions du Livre, c'est une créature céleste, resplendissante de beauté et de lumière, à qui Dieu demande de délivrer un message ou d'accomplir une mission auprès des êtres humains.

Avant que l'avortement ne soit légalisé, les femmes qui le pratiquaient, notamment avec des aiguilles à tricoter, étaient appelées faiseuses d'anges: des enfants innocents ne pouvaient que devenir des anges après leur mort...

Le roman de Xochitl Borel commence par un avortement pratiqué de cette manière dangereuse par une certaine Madame Margot, femme qui sous son air autoritaire se révèle d'une grande tendresse, sur une jeune femme prénommée Soledad, étudiante en droit, accompagnée par sa belle-mère, Anne, de dix ans plus âgée qu'elle.

Quand il avait appris qu'elle était enceinte, le père de Soledad lui avait dit: "Je ferai le nécessaire". Aussi le nécessaire avait-il été fait. Mais une fois qu'il avait été fait, Soledad avait dit: "Anne, c'est un garçon. Je l'aurais nommé Micha.", le deuxième prénom du père biologique. Un peu plus tard, alors qu'elle souffrait encore, elle avait dit: "Tu sais, Anne, j'aurais voulu le garder."...

Soledad avait peu saigné et... l'enfant avait survécu:

"Aneth était née malgré l'avis des hommes. La vie est un miracle, Aneth, une ange déchue de sa destinée. Elle avait préféré aux ailes que lui promettait la faiseuse d'anges le poids des jambes. Des aiguilles meurtrières, Aneth avait pourtant gardé des traces: une oreille atrophiée et un oeil, le gauche, crevé; qu'importe, mon Aneth vivait, elle était le fruit confit de mes pommes d'amour."

Soledad avait donné à son enfant le nom d'Aneth comme la jeune pousse verte qui avait grandi quand elle était rentré chez elle une fois que le nécessaire avait été fait:

"Les plus grands miracles humains ne sont rien par rapport à ceux accomplis par les plantes."

Six ans plus tard, nous sommes en 1961, Aneth s'avère une petite fille prodigieuse, avec un sens de la répartie qui laisse pantois ceux qui portent des jugements désobligeants sur elle, avec des jeux de mots d'enfant qui sont confondants et sont d'une poésie désarmante, sans laquelle il n'y aurait pas de beauté au monde.

Ce n'est pas un hasard si Aneth choisit dans un refuge un petit chien de trois ans auquel elle donne le nom de Basilic et qui est borgne et bâtard comme elle...

Grâce à Aneth, Soledad rencontre Emile avec lequel elle commence par se disputer parce qu'il ne parle d'abord que de l'intelligence stupéfiante de cette enfant, au lieu de parler du bonheur auquel elle a droit comme tout être humain:

"Le contraire d'"intelligence", c'est "instinct". Il ne faut pas tout miser sur l'intelligence, sinon on meurt, vous entendez, on meurt. L'intelligence tue, opposée à l'instinct qui sait comment nous préserver."

Mais, au bout de six mois de fréquentation, "d'inconnu, il était devenu étranger, puis homme, puis amant, mais maintenant c'était encore autre chose, quelque chose proche de cet aimé en l'être confondu."

Avant lui, Soledad avait oublié que "les amours sont végétales; que comme les plantes, elles se suffisent d'un rien. Donnez-leur de l'eau et de la lumière, et qu'on les laisse tranquilles, c'est cela qu'elles demandent"...

Emile apprendra à Aneth l'alphabet, auquel elle finira par ressembler, "mais sans l'orthographe. Juste le mouvement des lettres."

Aneth, Soledad, Anne et Emile surmonteront ensemble une ultime vicissitude et découvriront que la beauté du monde n'a pas besoin d'être vue pour être ressentie et que l'aveuglement ne touche pas ceux que l'on croit.

Dans ce roman, un message de vérité sort de la bouche d'une merveille d'enfant handicapée, qui voulait vivre et y est parvenue. Xochitl Borel accomplit ce miracle de la faire aimer par le lecteur, ému au plus haut point par ses paroles poétiques et par l'amour que lui porte sa narratrice de mère.

Le père de cette enfant, disparu "sans savoir la graine d'Aneth qu'il avait semée", avait dédié à sa mère des feuillets intitulés Plumes pour un ange nommé Solitude, dont elle ne prend connaissance que tardivement. Il avait notamment écrit ces mots:

Stratégie des mésanges.

Je n'écrirai plus, mais chaque papillon sera, souviens-toi de Jules Renard, un billet doux à l'adresse d'une fleur.

Tu fus mon plus beau paysage. Mon horizon reste avec Solitude, mon amour.

Thomas

Les mésanges font semblant d'être mortes pour échapper à leur prédateur... A leur prédicateur, comme dirait Aneth...

Francis Richard

L'alphabet des anges, Xochitl Borel, 132 pages, L'Aire


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