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Biodiversité: et si le loup revenait ?

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

En pleine polémique autour du retour du Loup dans les départements du sud et de l'est de la France. Voici le point de vue de Florence ROBERT, éleveuse de moutons dans les Corbières audoises. 

Infolettre des Belles Garrigues N° 18, avril 2014

Berger-de-la-crau Les Bergers de Crau ont une dentition remarquable ... et efficace. Et quel caractère ! Photo F. Robert

Vous êtes quelques-uns à m'avoir posé la question depuis deux ou trois ans. Elle m'embarrassait : je ne savais quoi répondre, prise dans la contradiction apparente d'être éleveuse et écolo. Oui pour le loup, mais pas chez moi, il me fait peur. Un peu facile. Pour me faire une idée plus claire, j'ai collecté pendant plus d'un an toutes les informations possibles sur Internet et sur le terrain lors d'un voyage dans les Alpes l'été dernier, avec Brice, technicien à la Pastorale Pyrénéenne, association qui s'occupe de placer les Patous (nos gros chiens blancs protecteurs des troupeaux) dans les élevages.
 
Si le loup revenait ? En fait il est déjà là, dans l'Aude, depuis 1998, 3 loups cantonnés dans les Pyrénées. Récemment, un loup a été photographié dans une zone de colline à quelques dizaines de kilomètres de Carcassonne, et des dégâts sur brebis lui ont été attribués. Le loup arrive.
 
L'animal fascine. Du loup effrayant qui habitait derrière la porte de la chambre de nos enfances, il ne reste souvent rien chez le citadin. Le loup incarne la puissance sauvage, il évoque les grands espaces et une certaine noblesse. Ainsi, 75% des Français sont pour la présence du loup. Pour le propriétaire de bétail, il est la bête noire dont on se passe sans peine.
 
Alors ? Pour ou contre ?
 
Pas si simple. Pour se faire un avis, il faut d'abord lire entre les lignes et comprendre les croyances qui sous-tendent les argumentaires opposés. Entre ceux qui considèrent qu'il est « naturel » de se débarrasser purement et simplement de tout ce qui les encombre et ceux qui estiment que la Nature doit être sanctuarisée et que l'Homme n'y a pas droit de cité, il y a des mondes ! et beaucoup de strates intermédiaires.
 
Dans ce brouhaha, il faut aussi trier les voix de ceux qui souffrent réellement de la prédation, de ceux à qui cette prédation apporte quelques avantages (primes, dégâts fictifs indemnisés), et ceux qui la considèrent de loin, voire de très très loin. Là encore rien d'uniforme.
 
Enfin, et surtout, il y a la réalité objective, celle qui nous dépasse parce qu'on ne peut la connaître parfaitement. Partons des chiffres, qui comportent leur part d'erreur et d'approximation. Environ 250 loups en France en 2013, des milliers de brebis touchées officiellement (tuées ou blessées) par le loup dans les Alpes en 2012, et une extension des zones de présence du loup : vu dans la Meuse, la Lorraine, les Ardennes, les Vosges, le Gers, l'Ardèche, la Lozère, l'Aude… il arrive ! Qu'on soit pour ou contre, il est là, et il paraît très difficile à contrôler : l'Etat a autorisé le tir de 24 loups par an, mais on ne sait plus le chasser, et le territoire s'est embroussaillé, notamment les zones montagneuses et semi-montagneuses, ce qui rend sa chasse plus ardue. À moins de piégeages et d'empoisonnements massifs et peu sélectifs (je n'ose pas imaginer les dégâts collatéraux, tenez vos chiens en laisse !), on ne sait plus faire. À ce jour, on est loin des 24 loups abattus. On relève ça et là des cas de braconnage, ainsi que d'inévitables collisions avec des voitures. On ne sait rien des loups tués et dissimulés... cependant la population augmente, indubitablement.
 
De toute façon, tuer un loup au hasard n'est qu'une solution transitoire et ne règle pas le problème, à part peut-être dans le cas de prédation répétitive due à un seul loup que plus rien n'effarouche, … cas bien rare mais qui existe. Les loups vivent en meutes qui essaiment. Il n'y a jamais beaucoup de loups sur un même territoire. Dès qu'ils sont trop nombreux, une autre meute se forme plus loin. Tuer un loup limite la pression de prédation à un endroit donné, certes, et évite peut-être surtout que les meutes ne se dispersent plus vite, ...
 
Rappelons a contrario que le loup est un animal protégé par la convention de Berne. Si nous ne sommes pas capables de vivre en France avec 250 loups, 20 ours et 250 lynx, comment être crédibles aux yeux des pays qui doivent gérer tigres, éléphants et guépards, et à qui nous demandons de contribuer activement à la protection de leur biodiversité ?
 
La question évolue donc. Comment faire, puisque le loup est là et qu'il paraît inexpugnable ? Est-ce qu'on arrive à le tenir à distance du bétail ?
 

Patou dans les brebis
La protection des troupeaux contre les prédateurs donne lieu à de nombreux échanges et débats. Là encore, on lit et on entend tout : les ânes suffisent à mettre les loups en déroute, les lamas peut-être aussi, un loup a attaqué un berger en Italie, les Espagnols n'ont aucun problème avec leurs loups, ... autant de nouvelles qu'un recueil patient d'informations croisées invalide les unes après les autres. Signalons ici qu'une certaine presse joue bien mal son rôle au sujet du loup. Beaucoup de journalistes « crient au loup », oublient de vérifier leurs sources et de valider ou non la nouvelle d'une attaque où le loup pourrait être impliqué, … pas besoin, ce qui compte c'est la sensation, le sensationnel, le frisson, après, on s'en fiche. Dommage.
 
La rencontre avec les bergers des Alpes l'été dernier a été plus instructive. Les loups sont arrivés, à pied, de l'Italie voisine, il y a plus de 20 ans. Depuis cette date, éleveurs et bergers cohabitent bon an mal an avec les loups. La situation s'est tendue avec des attaques de plus en plus nombreuses ces dernières années. Il a fallu s'organiser, changer sa façon de travailler, monter des parcs, mettre en place des chiens de protection, embaucher des bergers, des aides-bergers, parfois doubler l'enceinte des parcs, procéder à des tirs d'effarouchement, utiliser des fusées éclairantes… Le témoignage de ce berger est particulièrement éclairant lui aussi : il a fait de nombreuses estives, en France et en Suisse où il a eu affaire au loup à de nombreuses reprises. Il parle d'un animal qui n'a pas peur de l'homme ni de ses chiens de conduite (plusieurs bergers témoignent de leurs chiens paralysés par la présence du loup et qui se serrent contre eux), qu'il poursuit en courant et qui revient, qui rôde la nuit autour du parc, dont il voit les yeux dans la lumière de la torche, yeux qui disparaissent puis réapparaissent quelques minutes après le tir d'effarouchement. Le loup est connu pour s'habituer à tout, en effet. Très intelligent, il apprend vite et il faut varier régulièrement les techniques d'éloignement. Épuisant, s'il faut faire le berger la nuit en plus de la journée. Les bergers parlent du « lait sur le feu » (merci Ivan), on n'est jamais sûr, il peut à tout moment être là, revenir, présence incontrôlable et menaçante. Ce berger-là n'est pas pour autant un anti-loup. Pas de mauvaise foi ni de colère dans ses propos. Mais une pression difficile à supporter, qui s'ajoute à la charge de travail quotidienne, surtout quand on est consciencieux. Les maladies, le mauvais temps, les accidents, les chiens divaguants, font des dégâts dans les troupeaux, en montagne comme en plaine. Ces risques-là sont intégrés. La présence du loup s'ajoute à la liste. Il faut faire avec. Il va falloir l'intégrer.
 
Cette perspective et le choc vécu par certains éleveurs les poussent à arrêter leur activité. On rétorque souvent aux éleveurs que les dégâts sont fortement indemnisés, ce qui est vrai. Cependant, qui est prêt à accepter d'être potentiellement régulièrement cambriolé sous prétexte que l'assurance indemnisera bien les vols ??? Personne ! C'est faire fi des résonances psychologiques des attaques : angoisse, lien affectif au troupeau, à certaines bêtes. C'est aussi ne pas tenir compte des dégâts collatéraux, mal connus ou considérés comme nuls, que l'argent ne peut compenser : perte génétique, stress durable et appétit perturbé des troupeaux attaqués, ...
 
Alors ? Il reste à mettre toutes les chances de son côté : bons Patous, parcs bien montés, gardiennage renforcé en montagne, abandon probable à venir de certaines montagnes trop difficiles à garder, … En moyenne montagne où les troupeaux sont parqués sans surveillance sur de grands surfaces, seuls de bons chiens de protection peuvent être efficaces, mais ils ne peuvent pas être à plusieurs endroits en même temps. Or, les troupeaux parqués ont tendance à se disperser … Si les loups viennent à coloniser de grands territoires, on peut imaginer que c’est en moyenne montagne qu’ils feront le plus de dégâts, encore plus qu’en montagne.
 
Certaines associations de protection de la Nature militent pour la cohabitation des troupeaux et des prédateurs et cherchent des bénévoles pour seconder les bergers de montagne dans les zones à risque. Voilà l'occasion unique d'approcher la réalité de la prédation et de la vie hors normes du berger en estive, … Il faut être en forme et suivre une petite formation, en échange de quoi vous passerez des "vacances" hors du commun.
 
Même si les chiens de protection ne sont pas l’arme absolue, ils représentent une pièce maîtresse du dispositif que l’éleveur peut mettre en place contre les attaques. L'Etat et l'Europe auraient tout intérêt à renforcer les actions qu'ils soutiennent auprès des associations qui s’occupent des Patous, et ce au-delà des seules Pyrénées. Car ces chiens de protection doivent être mis en place et suivis par les éleveurs et les bergers avec professionnalisme. Le Patou n'est pas naturellement bon au troupeau, la génétique ne suffit pas. Ses qualités découlent d'une éducation particulière et précise, qui lui donne un attachement solide aux bêtes, brebis ou chèvres, et un respect relatif de l'être humain. Cette dernière qualité mérite attention et réflexion, afin d'éviter à l'avenir les conflits d'usage avec les promeneurs qui apparaissent ça et là, conflits qui pourraient augmenter au détriment de la protection des troupeaux, … Loups ou Patous, il vaudrait mieux ne pas avoir à choisir ! Par ailleurs, l’augmentation du nombre de chiens de protection (il y a d'autres races que le Patou, comme le Gankal turque, le chien des Abruzzes,…) ferait baisser sérieusement l'impact des chiens divaguants, qui se chiffre à des dizaines de milliers de bêtes par an lui aussi.
 
Alors, au final, toi, tu es pour ou contre le loup ? (si on insiste…)
 
Notre cas de bergers de collines est très particulier puisque nous gardons nos bêtes tous les jours, ce qui signifie qu'elles ne sont jamais sans présence humaine, excepté dans les parcs de nuit (et encore, nous dormons régulièrement avec elles). Nous avons de bons Patous et nous monterons les parcs avec deux rangées de clôture si le loup apparaissait dans les Corbières. Dans notre système d'élevage, les risques sont infimes et limités. Le reste du temps, elles dorment dans leur bergerie protectrice. Le loup peut venir aux Belles Garrigues, il aura du fil à retordre. S'il parvenait tout de même à déjouer l'attention des Patous et à faire des dégâts, ... je demanderais de l'aide à l'Etat et vivrais l'abattage d'un loup (très hypothétique et d'une efficacité très localisée et temporaire) comme un échec et avec soulagement, la contradiction perdure..

Florence Robert
éleveuse de moutons à Albas, dans les Corbières audoises.

Le témoignage de Florence Robert s’intègrera dans un travail en cours, plus long et plus complet. Toute contribution, échanges ou rencontre est la bienvenue.


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