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The Trail Yonne 2014: (petit) voyage au bout de la nuit!

Publié le 06 mai 2014 par Sylvainbazin
Je ne sais pas vraiment pourquoi l'idée, saugrenue en vérité au vu de mon état de fatigue musculaire, de participer aux 110 kilomètres de The Trail Yonne, a germé dans mon esprit. Certes, j'étais depuis longtemps convié par les organisateurs à couvrir et à courir l'événement. C'est vrai que j'avais apprécié leur organisation en Vanoise (sur le Trail Cenis Tour) et que de découvrir ce coin de Bourgogne pas bien connu me plaisait dans l'idée. Mais j'aurai tout à fait pu me contenter de trottiner sur le 18 kilomètres ou bien même de suivre la course en voiture sur quelques points clés et de prendre de jolies photos. Est-ce l'envie de me retrouver à nouveau sur les chemins de campagne dans une ambiance "compétitive mais pas trop", le fait que la course se déroule au lendemain de mon 36e anniversaire et que l'on a toujours quelque chose à prouver dans ces moments là? Sans doute un mélange des deux... Aussi, malgré de bonnes douleurs aux mollets (consécutives à une petite session d'entraînement courte mais effectuée avec des chaussures très plates mardi et une reprise rapide suite à ma Via de la Plata) et une récupération trop courte depuis mon voyage à pied tout de même dispendieux en énergie, je me retrouvais à épingler un dossard (sur mon short ce coup là, pour épargner mon beau t-shirt en mérinos tout neuf!) pour me lancer, en compagnie d'un peloton tout de même bien peuplé (certes le départ était commun aux trois courses de 63, 85 et 110 kilomètres mais tout de même, avec 1200 participants en tout, ce "The Trail" a bien fait le plein) à l'assaut des kilomètres de verdure bourguignonne.
Le temps de saluer et de discuter avec quelques amis, et nous voilà partis. Comme décidément je décide - en fait je ne réfléchis pas beaucoup sur ce coup là- de faire les choses plutôt en dépit du bon sens, je suis un bon moment le groupe de tête. Pourtant, les sensations sont plus que curieuses. Mes jambes sont douloureuses, je m'écrase beaucoup sur mes appuis et cours tout en puissance. Mais bon, sur les dix premiers kilomètres au moins, même si je sens que je vais vite payer l'addition de cet effort trop brusque pour mon état de forme, j'arrive à m'accrocher sans encombres.
D'ailleurs, dans la jolie campagne qui se révèle à nos foulées, ça ne va pas si mal: la preuve, je peux discuter gentiment avec mes compagnons de route: d' abords, quelques hectomètres avec Guillaume Vim', futur vainqueur, qui court pour le moment avec sa veste, alors que la température me parait plus que douce. Je ne sais pas si c'est parce qu'il est frileux qu'il bouclera la boucle en 10h et quelques minutes, mais en tous cas il échappera ainsi aux heures les plus froides de la nuit, tout en s'assurant un joli succés! Un peu plus tard, c'est avec Christophe, avec qui j'avais partagé de nombreuses foulées, il y a déjà longtemps, sur la Trans'aq, que je lie conversation. Il a eu un peu de mal à me reconnaître, non en raison de mon évolution capillaire anarchique, mais parce qu'il lui semble que j'ai pris beaucoup de muscle depuis cette fameuse Trans'aq. Je dois avoir effectivement un peu pris des cuisses encore et pas mal élargi du haut du corps, à force de porter des sacs à dos. Lui en tous cas semble tout à fait affûté, d'ailleurs il terminera à une belle troisième place.
Nous filons tout de même à une très bonne allure, et mes sensations sont tout de même celles de quelqu'un qui ne va pas tenir bien longtemps à ce rythme là. Les kilomètres défilent, mais de moins en moins vite. Après le deuxième ravitaillement, situé à peine au 27e kilomètre, je sais que la course sera longue, très longue pour moi si je veux aller au bout. J'ai les mollets très douloureux, impossible de courir correctement, et bientôt je ne peux même plus trottiner. Je commence une longue marche. En marchant, ça va presque. L'effort est bien entendu moindre et les mollets tirent beaucoup moins. Mais je dois me résoudre à passer une nuit entière sur les chemins.
Cependant, la nature qui m'environne m'inspire bien. La forêt, les champs, les petits villages aux beaux clochers, c'est de là que je viens, c'est là que j'ai grandi. Alors ça ne me dérange pas de la parcourir toute une nuit. Je m'y sens bien. La grande forêt de Bourgogne, qui ressemble bien à celles d'Ile-de-France où j'ai appris à courir, peut bien m'accueillir cette nuit. Je commence à m'y préparer mentalement, tandis que je me mets à marcher d'un bon pas. Si je maintiens cette allure là, ce ne sera pas non plus trop long.
Bien entendu, pas mal de coureurs commencent à me rattraper et à me laisser sur place. Il me faut aussi mettre de côté mes instincts de compétiteur pour considérer cette course comme une longue balade, comme une longue étape de "grands chemins". D'ailleurs, en levant la tête, en admirant les beaux arbres, en écoutant le ruisseau qui coule paisiblement le long de la forêt, le chant des oiseaux, je peux facilement me projeter dans un de mes itinéraires solitaires. C'est presque un prolongement de ma Via de la Plata, une post-face un peu difficile mais bien environnée.
Ma longue marche est cependant gentiment interrompue quelques kilomètres plus loin: j'aperçois en effet Greg Runner (Grégory Herlez pour les intimes) qui viens de me doubler, et je fais tout de même l'effort pour le rejoindre et rester quelques kilomètres avec lui, presque jusqu'au ravitaillement suivant (cela fait que j'aurai couru 3 kilomètres environ du 30e à l'arrivée). Ca fait quelques temps que nous nous sommes pas vus et c'est l'occasion de discuter, même si je souffre pas mal. Lui a l'air d'aller plutôt bien. C'est la deuxième fois qu'il "tente" une distance aussi longue et après un échec, cela a l'air plutôt bien parti (il terminera 4e du 85 kilomètres). Le temps de grimper vers une jolie chapelle isolée sur une butte et d'en redescendre, nous voilà au ravitaillement. 43e kilomètre, un joli bourg et un groupe de tambours qui se donnent du mal pour mettre de l'ambiance.
The Trail Yonne 2014: (petit) voyage au bout de la nuit!
Je discute encore un peu avec Greg, qui repart bientôt, ainsi qu'avec d'autres coureurs, qui eux préfèrent abandonner. Je m'assois un moment. Je pourrais tout à fait faire comme eux, après tout mon corps n'a pas l'air enthousiaste à poursuivre. Mais je n'ai pas envie, cette fois ci, d'arrêter. Je ne sais finalement pas trop pourquoi, mais une nuit d'introspection à travers la forêt, ça me tente. Peut-être aussi ais-je dans l'esprit mes deux abandons précédents (là, mon corps n'avait vraiment pas envie) sur les deux courses de 100 kms ou plus auxquelles j'ai participé cette année. Par fierté mal placée ou pour me prouver une nouvelle fois que j'en suis toujours capable, je décide que non, je ne vais pas rentrer tout de suite me coucher.
Et je repars donc dans la belle campagne. Le soleil commence à baisser. Deux heures plus tard, au ravitaillement suivant, à Neuville, où je rencontre Henri Kam et Annabel, sa fille, les organisateurs, auxquels j'explique que je vais continuer tranquillement, je dois sortir ma puissante lampe frontale, celle que mon ami Stephen m'a donné pour ma Via Francigena. Moi qui déteste courir de nuit, je dois dire que même si elle pèse son poids, sa puissance d'éclairage change tout de même bien la donne. J'ai davantage l'impression d'avancer avec un phare de voiture qu'une lampe frontale classique, c'est très rassurant.
Marcher la nuit dans une forêt paisible et à travers champs n'est pas non plus aussi stressant que le même exercice en montagne ou dans la jungle. On a moins besoin d'être vigilant sur ses appuis, il n'y a guère de danger. Je n'aime pas rester trop longtemps concentré sur un faisceau, mais là, ça passe bien.
La lune est un petit croissant tout roux cette nuit, que je vois bien dans une longue ligne droite à travers champs, puis oublie en rentrant dans la forêt d'Hotte. On m'a dit que le paysage de cette partie là était différent, mais dans l'obscurité, tous les arbres se ressemblent, tous les champs aussi. Ce qui est sûr c'est que cette boucle de 25 kilomètres, plutôt sauvage car l'on ne croise guère que de petits hameaux, est bien plus vallonnée encore que le reste. D'ailleurs, en marchant vite, je rattrape quelques coureurs et personne ne me dépasse plus. Mais nos conversations sont assez minimalistes, comme eux marchent plus lentement mais trottinent dès qu'ils le peuvent, nos rythmes sont trop différents. Et puis j'ai un peu plongé dans ma bulle intérieur. Je suis en compagnie de la nuit et de moi-même. C'est déjà beaucoup!
Ma nuit sera longue, sombre mais éclairée, un peu douloureuse aussi car outre mes jambes qui sont tout de même vraiment fatiguées, même en marchant, mon estomac n'est plus trop d'accord. Les ravitaillements m'offrent quelques moments de chaleurs humaines mais guère de restauration car je ne mange presque plus rien. C'est cependant moins catastrophique que lors de mes deux dernières courses d'ultra. Cependant, alors que je ne peux pas dire que j'avance plus vite que sur ma Via de la Plata, je me demande bien pourquoi je n'ai aucun soucis de ce genre lors de mes voyages à pied. Il doit y avoir une dimension psychologique, ou un temps d'effort, ou une intensité de départ trop élevée, un manque de forme sans doute.
Néanmoins j'avance régulièrement. Presque serein quand même. Comme j'ai quelques soucis depuis mon retour de la Via de la Plata, surtout sur le plan administratif et professionnel (je vous en parlerai quand j'y verrai plus clair, car je ne suis pas le seul décideur dans ces affaires là), mes pensées sont bien occupées, mais pas toutes négatives non plus. 36 ans pensifs tout de même, j'ai une "vie de rêve" mais qui implique des risques - matériels et psychologiques- presque permanents. Si, si. Mais je dois y faire face, j'en suis responsable aussi. Cependant, dans cette nuit forestière, marcheur fatigué, je ne me sens pas mal. Tout de même content d'y être, là aussi, c'est moi qui est choisi, même si cela peut paraître "en dépit du bon sens".
J'avance, souvent seul. Un coureur, petit gabarit, la bonne cinquantaine, me double et me redouble au fil des dénivelés et des ravitaillements. Je l'entends venir de loin: il accompagne son effort, qui semble vraiment très pénible, de la voix.
Cependant, ce qui m'extirpe vraiment de mon monde intérieur dans lequel je flotte depuis quelques temps, c'est le froid qui s'est installé dans la forêt. Ca caille! Je ne suis vêtu que d'un short, un T-Shirt et un coupe-vent très léger. Les mains nues, un buff et ma lampe sur la tête. C'est plutôt rare, mais là j'ai froid. On m'indique à un ravitaillement qu'il fait trois degré. On me dira ensuite moins deux dans la forêt... Je claque un peu des dents, et mon allure en prend un petit coup. En même temps, arrêt et défaillance interdits: je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée, en pleine campagne, de risquer une rapide hypothermie.
Le point du jour nous cueille, une petite grappe de coureurs et moi, pas si loin de l'arrivée. Une petite heure à admirer la lumière du matin dans les hauteurs de Sens. Une dernière côte bien difficile pour mes mollets à bout, une descente où je retrouve les premiers kilomètres en sens inverse.
Et me voilà de retour sur le stade de Sens, après un peu plus de 16 heures de gambade. Harry, un speaker qui me veut du bien et que je connais depuis longtemps (il était déjà au micro de mes années marathoniennes), m'y accueille. Quelques petites discussions avec les coureurs qui viennent d'arriver, un bout de fromage blanc avalé du bout des lèvres car mon estomac est fragile, et j'ai la chance d'être raccompagné à mon hôtel par Annabel, qui m'épargne gentiment 1.5 kilomètres dans la belle ville de Sens que j'ai visité l'avant-veille (belle cathédrale et splendide maison en bois du XVIe; pour la partie guide Michelin).
J'ai rarement été aussi content de rejoindre une chambre d'hôtel, ne serait ce que pour y grapiller deux ou trois heures de sommeil qui me manquent tant. Un peu plus tard, courbatu comme rarement, je reprendrai le train vers Paris en compagnie d'un coureur de Steenwerk avec qui je discute agréablement.
Le parcours nous a bien plu. Je pense qu'il fait bien découvrir ce petit coin de France joli et discret, à la nature peut-être pas "spectaculaire" mais intime et préservée. Certains y ont vu trop de route, moi ça ne m'a pas gêné. Je préfère les parcours logiques, qui font admirer un lieu, aux trucs trop alambiqués qui cherchent la complication et ne respectent pas les chemins, donc cette course me va. Un peu de variété aux ravitaillements, et tout serait presque parfait. En tous cas, je vous recommande d'aller faire un tour du côté de Sens, l'an prochain, pour la 3e édition de The Trail, c'est un bel événement qui grandi mais reste tout à fait à taille humaine.
The Trail Yonne 2014: (petit) voyage au bout de la nuit!
Photos: organisation
Le site et les résultats: (victoires de Guillaume Vimeney et Stéphanie Labruguière sur le 110 kms):
http://www.thetrail.fr/

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