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Le Tafta, ce traité contesté, est-il "un déni de démocratie total" ?

Publié le 07 mai 2014 par Blanchemanche
Le Tafta, ce traité contesté, est-il "un déni de démocratie total" ?
Publié le 06/05/2014  par 

Pour la juriste Danièle Favari, l'accord de libre échange Europe-Etats Unis, en cours de négociation, menace le modèle social européen. Il pourrait, selon elle, être ratifié sans débat public ni même parlementaire


Tafta, traité contesté, est-il déni démocratie totalLe Tafta pèsera-t-il réellement dans le scrutin ?© PHOTO THIERRY SUIRE
C'est un petit ouvrage indispensable au débat sur les enjeux du déjà controversé Tafta (ou désormais le TTIP), projet d'accord de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis, en cours de négociation entre les deux parties, mais aussi avec une armée de lobbyistes représentant les intérêts des différentes entreprises multinationales. L'auteure, Danièle Favari, est une militante environnementale, pleinement investie dans la lutte contre l'exploitation du gaz de schiste en France. Mais c'est en juriste qu'elle a choisi d'aborder le dossier, avec en ligne de mire, de petits arrangements ouvrant à grandes conséquences. Pour cette spécialiste du droit européen de l'environnement, c'est rien moins que le modèle social des pays de l'Europequi est voué à disparaître, en cas d'ouverture de ce qui se veut pourtant avant tout un immense marché commun.
Danièle Favari. "
Non. A l'heure actuelle, elles sont suspendues non pas au scrutin, mais à l'étude du mécanisme d'arbitrage, via une consultation publique lancée par Karel de Gucht, commissaire européen au commerce qui mène les négociations.  Les négociations reprennent le 19 mai à Washington. On ne sait pas quel en est le contenu. Tafta, traité contesté, est-il déni démocratie totalSud Ouest : Ou en sont les négociations ? Sont-elle suspendues en attendant les élections européennes ? Le mouvement Attac, notamment, s'oppose à ce processus (au sein du collectif #StopTafta, NDLR) Mais nous ne sommes pas les seuls à protester. Des opposants allemands sont également mobilisés. Il y a également des mouvements aux Etats-Unis. La mobilisation se passe au niveau du congrès, où 141 parlementaires s'opposent non seulement au mécanisme arbitral, mais aussi au fait que Barack Obama veut faire passer le traiter sans amendement, via une procédure accélérée.Cette procédure arbitrale de résolution des litiges fait donc si peur ? Oui. Car plus aucun appareil législatif national, ou supranational, ne pourra contester les décisions prises par des juges arbitraux privés. Lesquels juges, la plupart du temps, sont soumis au reproche de conflit d'intérêts. Ils pourront se pourvoir se retrouver du jour au lendemain avocat de l'une des parties pour lesquels ils ont été juges dans un autre dossierCe que je ne comprends pas, c'est que la Commission elle-même instaure un tel dispositif d'arbitrage. Car ce dernier se situera, en termes de validité, au dessus de l'appareil réglementaire de l'Union Européenne. La Commission se tire une balle dans le pied.
Tafta, traité contesté, est-il déni démocratie total© PHOTO INFOGRAPHIE IDÉ
Le processus est déjà engagé. Le 16 avril, un rapport a été voté par le parlement européen, qui instaure les modalités de ce mécanisme. Il reconnait que les conséquences budgétaires peuvent être énormes pour la communauté européenne. Et prévoit qu'un Etat membre pourra à tout moment accepter d'en être financièrement responsable, dans l'hypothèse où une indemnisation devrait être versée. Dans le contexte économique actuel, c'est réellement aberrant, catastrophique. On anticipe le fait qu'un Etat pourra verser à une multinationale une indemnisation consécutive à un jugement d'un tribunal arbitral ?Ce mécanisme existe pourtant déjà...Oui, dans le cadre de l'OMC. Il y a eu un certain nombre de jugements rendus. Mais comme ils sont secrets et ne sont communiqués qu'aux différentes parties, on ne les connait pas. Un certain nombre viennent cependant, du fait de l'énormité des demandes d'indemnisation, à la connaissance du public. La Bolivie, notamment, va devoir verser 31,5 millions d'euros à Rurelec pour l'expropriation de ses actions, passées aux mains de l'Etat. Le Suédois Vattenfall a engagé une procédure contre le gouvernement allemand pour avoir renoncé au nucléaire suite à l'accident de Fukushima.Peut-on dès lors envisager qu'un Etat renonce à se réformer par peur d'avoir à verser des dommages et intérêts ?C'est déjà le cas. Cela se passe comme ça dans certains Etats. Ils ne peuvent plus légiférer dans l'hypothèse où une multinationale pourrait attaquer. Je pense notamment à l'Equateur, qui a été condamné par le centre d'arbitrage de la Banque mondiale à verser 1,7 milliards d'euros à l'Occidental Petroleum pour avoir saisi les actifs de l'entreprise. On ne va pas pouvoir fonctionner indéfiniment comme ça. José Bové parle de l'ouverture d'un « marché des plaintes ».Quels sont les secteurs de l'économie impactés ? Tous. Avec un impact parfois positives, certainement, mais aussi de nombreuses conséquences négatives. Sur l'agriculture bien sûr, notamment dans le domaine des OGM. Et l'énergie avec le retour prévisible de la problématique du gaz de schiste. Mais aussi les services publics dans leur ensemble, et dans tous les pays.http://www.dailymotion.com/video/x1jtmnu_traite-de-libre-echange-le-debat-nicole-bricq-yannick-jadot_news
Traité de libre-échange : le débat Nicole Bricq... par MediapartUn exemple ? Un Accord économique commercial global a été signé en octobre 2013 entre le Canada et l'Union européenne. On n'en connait pas les textes non plus que les fondements, comme pour le Tafta. On ne sait pas non plus quand il sera ratifié, je pense que cela sera dans la prochaine législature. Mais d'ores-et-déjà, l'UE a demandé au Canada la libéralisation de son système postal. Les Canadiens n'auront plus de distribution individuelle du courrier mais des boîtes collectives ! La Poste, en France, n'a le monopole du courrier que jusqu'en 2025… Que va-t-il advenir ensuite? L'éducation, la santé, seront les cibles suivantes, ouvertes à la mondialisation.Les élections européennes auront-elles un impact sur les négociations ? Il faut savoir que pour la première fois, le parti qui arrivera en tête aux Européennes va pouvoir désigner le président de la commission européenne. La bataille aura certainement lieu entre le PS (Martin Schulz) et le PPE (Jean-Claude Juncker). Le mandat de l'actuel président arrive à échéance en octobre 2014.
Europe Ecologie @EuropeEcologieSuivreAvec le traité transatlantique, ce sont nos choix de société qui sont négociés en secret. @yjadot #EE2014 #Montpellier #STOPTAFTA7:57 PM - 6 Mai 2014
Savoir maintenant si cela aura un impact... J'espère, comme cela avait été le cas pour le projet Acta (repoussé en 2012, NDLR), que les parlementaires désignés dans la prochaine législature vont pouvoir se faire entendre. Mais il faut savoir qu'il n'y a qu'Europe Ecologie-Les Verts et le Front de Gauche qui se mobilisent contre le Tafta. Le PS y est favorable, François Hollande en premier.Cela peut-il faire monter le score d'un parti comme le Front national ? Oui, certainement. Parce que cela encourage l'euroscepticisme. Marine Le Pen a fait de la lutte contre le Tafta l'un de ses chevaux de bataille, avec un discours étudié, que ne vérifie cependant pas son attitude au parlement européen. Son vote est parfois inverse à son discours. Cela semble fonctionner, cependant, puisqu'ils sont déjà en tête avec  23 % d'intentions de vote.
Marine Le Pen   @MLP_officielSuivreMarine Le Pen lance un appel solennel aux Français contre le Traité transatlantique #MLP http://www.frontnational.com/videos/marine-le-pen-lance-un-appel-solennel-aux-francais-contre-le-traite-transatlantique/#.U1fHmxxMrvs.twitter4:01 PM - 23 Avr 2014
Le négociations autour du traité de libre-échange distinguent par leur extraordinaire opacité...A l'heure actuelle, même les parlementaires européens n'ont pas accès à ces documents, sauf à se rendre dans une pièce spéciale des ambassades américaines, pour les consulter, mais pas pour les en sortir. Il y a cependant eu des fuites, grâce auxquelles nous avons eu accès au mandat donné à la commission européenne (lire la traduction française du mandat sur www.contrelacour.fr).Cela a été le déclencheur de la mobilisation. Et il ne s'agit encore que du mandat, pas du contenu des négociations. Les USA ont mis un droit de veto pour empêcher tout accès à ces données aux élus. Alors même que le 10 avril, s'est tenue une conférence de Karel de Gucht, à laquelle étaient conviés toutes les multinationales moyennant 1500 euros d'inscription. . Elles sont plus informées que les parlementaires ! Ce qui est un déni de démocratie total.Vous estimez le traité nuisible mais aussi inutile ? C'est le traité fondateur de l'UE , celui de 1957, qui a donné le cadre réglementaire de la procédure. Il a donné l'initiative à la commission européenne des négociations de la politique commerciale commune, s'agissant des accords commerciaux qu'elle est susceptible de mettre en place. A l'heure actuelle, nous sommes le premier partenaire commercial des Etats-Unis. Et inversement le premier exportateur vers les Etats-Unis ! A quoi cela peut-il servir de tarifier un traité avec les EU dans ce contexte ?On nous promet une croissance 0,5 % du PIB. Mais même Karel Le Gucht ne sait pas comment les experts « indépendants » sont arrivés à ces chiffres ! Il l'a dit textuellement ! Et il ne s'agit que de 0,5 % de PIB sur l'ensemble de l'UE. C'est négligeable.Il n'y que par la réduction des droits de douanes que le consommateur pourrait ressentir un effet dans son portefeuille. Nous parlons de 500 euros par an pour une famille de 4 personnes, soit trois centimes par jour, et ce à l'horizon de 2027. Il ne s'agit pas de minimiser ces sommes. Mais lorsqu'on est incapable de concrétiser l'engagement pour une dette réduite à 3,5 % du PIB de la France, une telle projection, à aussi longue échéance, semble impossible, voire proprement hasardeuse.L'abaissement des droits de douanes, prévu dans le Tafta, pourrait donc booster les échanges ? Cela ne sera pas sans conséquences . Les droits de douane représentent tout de même 14 % des ressources propres de l'UE. Sur un budget de 135 milliards pour 2014, cela représente tout de même 18 milliards d'euros de manque à gagner. Cela va entraîner un basculement vers les finances publiques pour compenser ce manque à gagner. Le principale bénéficiaire de ces droits est la commission européenne elle-même..Michel Sapin a déclaré qu'il n'y aurait pas de référendum…En 2005,  il y avait eu un « non » massif contre le traité établissant une constitution pour l'Europe. Et ce dernier a finalement été ratifié, par voie parlementaire, contre l'avis des Français. Il est donc facile de comprendre que nos gouvernants ne soient pas tentés par le référendum dans le contexte politique actuel. François Hollande n'y pas intérêt. Cela pourrait entraîner une dissolution.
Sapin : "Je veux qu'on ait moins besoin de l... by franceinterA ce niveau, d'ailleurs , nous ne sommes même pas certains qu'il y aura une ratification par les parlements nationaux. Si l'accord est considéré comme mixte, qu'il y a des questions normatives ou législatives incluses, il y aura ratification. Mais s'il s'agit uniquement d'un accord commercial, la ratification se fera par le conseil des ministres des 28 et par le parlement européen seul. On échappe là à toute forme de consultation populaire.Le gouvernement français, de toute façon, est plutôt favorable au Tafta. Il est d'ailleurs symptomatique de relever que pour la première fois, le commerce extérieur a été rattaché à l'international, au portefeuille de Laurent Fabius, au lieu de celui d'Arnaud Montebourg. Lequel fait montre d'un certain protectionnisme.Le Tafta peut-il être repoussé ? Je fais tout pour. Je porte moi-même une pétition devant le parlement européenne, comme je l'ai fait pour le gaz de schiste. Avec circonspection cependant. La commission européenne, "les yeux dans les yeux", nous a déclaré : « nous allons prendre en compte les risques de l'exploitation du gaz de schiste et revoir le cadre réglementaire européen". Et au final, cela se traduit par une recommandation non contraignante. On arrive à un stade ou ce sont des technocrates qui ne sont pas élus qui ont la mainmise sur notre gouvernance. C'est cela que je dénonce.La mobilisation peut cependant servir à quelque chose. La ratification se fait à 28, à l'unanimité. S'il y a refus de l'un des états membres, on peut espérer que cela bloque...

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