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La guerre du livre numérique: Apple contre Amazon

Publié le 10 mai 2014 par Fredlafortune

INTERVIEW. Un ouvrage retrace l’avènement du plus grand procès de l’histoire du livre, né d’une bataille pour le contrôle du nouvel eldorado éditorial.

Photo d'illustrationPhoto d’illustration © HECTOR GUERRERO / AFP

Propos recueillis par 

C’est LE procès qui a agité les États-Unis pendant des mois : Appleet les plus grands éditeurs du pays (Hachette, HarperCollins, Simon & Schuster, Macmillan et Penguin Group) versus Amazon. En cause ? Le marché du livre numérique. Premier à sêtre lancé de façon offensive, en 2007, dans le monde de “l‘ebook”, Amazon s’est très rapidement imposé grâce à une stratégie de plafonnement des prix à 9,99 dollars. Au grand dam des éditeurs, qui avaient jusque-là le contrôle des tarifs du livre. Craignant de voir le marché leur échapper totalement, ces derniers profitèrent en 2010 de l‘arrivée d’un nouveau partenaire – Apple, qui lançait son iPad – pour tenter de reprendre les choses en main. Un accord “gagnant-gagnant” fut trouvé : la maison de Steve Jobs laisserait les éditeurs fixer des prix de vente plus élevés (entre 12,99 et 14,99 dollars) en échange dune commission de 30 % sur chaque transaction. Amazon fut alors prié de saligner, sous peine d‘être privé des nouveautés pendant plusieurs mois. Logiquement, le site internet créé par Jeff Bezos, soutenu par plusieurs associations de défense des consommateurs, contre-attaqua en déposant plainte pour “entente commerciale illicite”. 

Dans 9,99 $ La guerre du livre numérique, récemment publié en français aux éditions Bragelonne, le journaliste Andrew Albanese, spécialiste de l’édition et de l’économie numérique, retrace les grandes étapes de ce procès historique qui aboutit à la condamnation d’Apple en juillet 2013. Mais surtout, et c’est tout l’intérêt de cet exposé, il explore “la vraie question” : “comment a-t-on pu en arriver là ? (…) Quel enchaînement de décisions fatidiques a pu conduire Apple et cinq groupes d’édition à être accusés d’avoir violé la loi antitrust américaine ?” Entretien avec l’auteur.

Le Point.fr : Comment résumeriez-vous le point de vue de chaque partie dans ce procès ?

Andrew Albanese : L’argument principal du côté d‘Amazon, c’est que le marché résout les problèmes de lui-même. Les grandes compagnies n’ont pas à s’asseoir autour de la table et à décider de mettre fin à la concurrence dans un marché sous prétexte que cela ne sert pas leurs objectifs. Si elles n’étaient pas intervenues, peut-être qu’une solution plus innovante aurait été trouvée. Et peut-être qu’effectivement il y aurait eu des sacrifices à court terme, mais à long terme le marché se serait rééquilibré seul.

Les éditeurs, eux, voyaient un futur où tous les intermédiaires auraient été supprimés. Ils voyaient Amazon créant son marché à perte en dévaluant le prix des livres. Même s’ils gagnaient de l’argent dans ce dispositif, ils craignaient que le livre se dévalue tellement qu‘on en arrive à un point où ils n’auraient pas assez de bénéfices pour survivre et que Amazon les exclurait à ce moment-là du circuit en se passant d’intermédiaire et en allant directement chercher les auteurs.

Enfin, il y a le point de vue d’Apple, qui est un peu plus compliqué. Parce que, techniquement, Apple n’avait pas besoin d’avoir une librairie en ligne. Même si le livre numérique se développe, ce sera toujours une toute petite part de ses revenus iTunes. L’iPad allait être utilisé comme e-reader de toute façon, à travers des applications tierces, il n’était pas nécessaire de créer une app iBooks Apple. Alors pourquoi ont-ils décidé, en l’espace de deux mois, de se lancer dans cette bataille ? Je pense que c’était pour envoyer une sorte d’avertissement à Amazon, pour leur dire de ne pas marcher sur leurs plates-bandes : “On s’opposera à vous sur les livres si vous vous opposez à nous sur la musique et les films.”

Difficile de dire qui sont les “gentils” et les “méchants” dans cette histoire !

Oui, d’autant plus que les accusés – Apple et les cinq grands éditeurs – ont souvent été traités en héros par la presse, comme ceux qui essayaient de sauver les écrivains et les lecteurs des griffes d’Amazon. Mais Amazon avait des raisons de porter plainte en voyant le fruit de son travail lui être enlevé injustement. Jeff Bezos, le patron du site, a créé un marché du livre qui n’aurait peut-être pas vu le jour s’il avait dépendu uniquement des éditeurs, qui avaient plus intérêt à protéger le marché qu’ils avaient créé eux.

Amazon est tout de même souvent perçu comme la menace, le géant d‘Internet qui va tuer l‘industrie culturelle

Pour paraphraser l’écrivain Anthony Horowitz : Amazon est un salaud et je le déteste, et j’ai peur de lui, et… je l’utilise tout le temps parce qu’il est génial ! Cela résume ce que nous ressentons envers Amazon. Et envers Apple aussi d’ailleurs : dans cette affaire, l’entreprise de Steve Jobs était présentée comme le chevalier blanc qui sauvait les éditeurs d’Amazon ; mais qui aurait sauvé les éditeurs d’Apple si Apple l’avait emporté ?

Quelles furent les conséquences de ce procès sur le marché du livre ?

Il n’y a pas vraiment eu de gagnant. Amazon n’a pas perdu le contrôle du marché, Apple n’a pas décollé… les éditeurs ont été autorisés à élever leurs prix, mais Amazon a été autorisé à faire des promotions sur ces prix. Il y a peut-être un perdant : le livre numérique. Toute cette affaire a rendu le marché confus pendant quelque temps et provoqué des hésitations chez les gens au moment dinvestir dans de nouveaux appareils. Le prix moyen des livres numériques a augmenté – ce qui était lobjectif des éditeurs – et les ventes de livres numériques se sont enlisées aux États-Unis (comparé aux taux de croissance connus jusqu‘alors). Mais ça n’a pas fait remonter celles des livres papier…

Quel conseil donneriez-vous aux éditeurs français qui font face au développement du livre numérique ?

Je ne suis pas bien placé pour donner des conseils, surtout que les marchés français et américain sont complètement différents. Mais si je devais en donner un, je leur dirais de ne pas perdre de vue que la vraie concurrence, le vrai combat n‘est pas entre le livre papier et le livre numérique, mais entre le livre tout court et les autres médias. Les livres papier ne vont pas disparaître, ils sont la technologie parfaite : pas besoin de batterie et on peut se les prêter indéfiniment ! Les gens vantent parfois le caractère intemporel d’un fichier numérique, parce qu’il ne s’abime pas, mais le papier dure bien plus longtemps parce que les technologies changent en permanence alors que lui reste. Même si le livre numérique ressemble à une menace pour les éditeurs traditionnels, la menace réelle est ailleurs. Le défi aujourd‘hui est d’arriver à capter l’attention du consommateur : vous voulez que les gens soient non pas en train de jouer à Angry Birds, non pas en train de regarder un film en streaming, mais plongés dans un livre, qu‘il soit papier ou numérique? C’est là qu’il faut livrer bataille. 

Source:Lepoint.fr


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