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Max | Dormir pour se réveiller

Publié le 12 mai 2014 par Aragon

Pelo-Malo_portrait_w85888.jpgÇa faisait des lustres que ça ne m'était pas arrivé, je suis allé au ciné cette après-midi. Comme à chaque fois au minimum deux films. Deux très bons films que je vous conseille. Le premier Pelo malo, c'est à dire "les cheveux rebelles", c'est à dire un môme, dans les favelas de Caracas où il survit avec sa mère qu'il n'aime pas et qui ne l'aime pas, c'est à dire le quart monde, c'est à dire un autre monde, c'est à dire la merde. Mais la vie s'insinue et s'accroche comme herbe ou fleur dans interstices de trottoirs. Il a quel âge ce môme ? Neuf, dix ans peut-être et son problème, c'est pas son père qui a fini sous les balles d'un cartel, c'est pas sa mère qui ne l'aime pas ça je l'ai déjà dit mais qui est une chic fille, volontaire, têtue, sans boulot, fière de sa qualification de "Vigile" et qui fait tout pour retrouver du travail, il n'y a que ça qui compte pour elle et coucher avec un potentiel employeur fait partie des règles du jeu, comme chez nous remplir un dossier à Pôle Emploi, c'est pas plus sa copine de glandage et de jeux mini miss sympa boulotte, son problème ce sont ses cheveux frisés de métis black... Film admirablement attachant, mais ces foutus cheveux frisés que le gamin aimerait tellement rendre lisses pour ressembler enfin à un vrai chanteur, foutus cheveux, foutus cheveux crêpus de nègre...

“J’ai compris que j’avais fait du monde un murmure, dit-elle. J’ai compris que malgré mes angoisses et mes peurs, il me fallait tout faire pour revenir aux autres.”
Mathilde/Deneuve (en fin de film)

Le second tout aussi admirable, bouleversant, un vrai film d'auteur avec de vrais acteurs tous confondus, fondus dans la cour, fondus dans leurs apparts, fondus avec leurs tics, leurs tocs, leurs tacs, leurs fissures qui s'agrandissent à l'extrême comme pour dévoiler toutes les humaines-failles, leurs vélos, leur clebs, un vrai capharnaüm empli d'humanité, des débutants géniaux dans le genre : Deneuve, Kervern, c'est "Dans la cour" bien sûr. Une autre cour des miracles. Une tragédie enchantée comme le disent les inRocks. Il faut courir voir ce film. Quand Antoine (un Kervern ÉTONNANT) fait la lecture à l'aveugle de l'immeuble à un moment, je me suis dit que je connaissais ce texte - bouleversant comme le film - c'est Sleeping extrait du bouquin de Carver que j'avais lu l'an dernier, un maudit bon bouquin, un recueil choc de poésie tel que je n'en avais pas ressenti depuis ma lecture de prime jeunesse des "Fleurs du mal" : La vitesse foudroyante du passé, paru aux éditions de l'Olivier.

Après avoir couru voir ces deux films majeurs, courez chez votre libraire acheter le bouquin de Carver, vous m'en direz des nouvelles.

dans la cour888.jpg

Dormir

Il a dormi sur les mains.
Sur un rocher.
Sur ses pieds.
Sur les pieds de quelqu'un d'autre.
Il a dormi dans des bus, des trains, des avions.
Dormi pendant le service.
Dormi au bord de la route.
Dormi sur un sac de pommes.
Il a dormi dans une sanisette.
Dans un grenier à foin.
Au Super Dome.
Dormi dans une Jaguar et sur la plate-forme d'un pick-up.
Dormi au théâtre.
En prison.
Sur des bateaux.
Il a dormi dans des baraquements et, une fois, dans un château.
Dormi sous la pluie.
Sous un soleil ardent il a dormi.
A cheval.
Il a dormi sur des chaises, dans des églises, des hôtels de luxe.
Il a dormi sous des toits étrangers toute sa vie.
Maintenant il dort sous la terre.
Il n'en finit pas de dormir.
Comme un vieux roi.

Raymond CARVER
Dans la cour

 


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