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EMIR et l’exigence de reportings aux référentiels centraux : enjeux, mise en œuvre et impact opérationnel

Publié le 13 mai 2014 par Sia Conseil

EMIR et l’exigence de reportings aux référentiels centraux : enjeux, mise en œuvre et impact opérationnel Depuis le 12 février dernier, les entreprises financières et non financières de l’Espace Economique Européen (EEE) doivent enregistrer leurs opérations sur produits dérivés auprès d’un référentiel central (ou TR : Trade Repository) agréé par l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF).

Que ces dernières soient, listées ou de gré-à-gré, compensées ou non, et quels que soient leurs sous-jacents. Cette exigence, qui vise à accroitre la transparence du marché des dérivés, s’inscrit dans le cadre de la réglementation européenne EMIR. Dans chaque pays sujet à cette Directive, l’autorité nationale est en charge de veiller au respect de cette obligation pour toutes les contreparties. En France, l’AMF joue ce rôle.

Illustration 1: L’obligation de reporting

Cette règle s’applique tant sur les nouveaux contrats dérivés que sur le stock de contrats.

D’une part, chaque conclusion de nouvelle opération, modification ou terminaison est enregistrée le jour ouvré suivant son exécution. A ce titre, dans le cas exceptionnel où la novation en chambre de compensation est réalisée plus d’un jour ouvré après l’exécution de l’opération, elle est considérée comme un avenant au contrat. Les données associées à cet évènement sont alors notifiées dans un reporting complémentaire. A chaque mise à jour du collatéral ou de la valorisation mark-to-market ou mark-to-model du contrat, un reporting est également attendu en fin de journée.

D’autre part, une reprise de l’historique des contrats dont la date de maturité est postérieure au 16 aoĂťt 2012 est requise. Un chronogramme de mise en conformité a été établi. (cf. Tableau 1)

EMIR et l’exigence de reportings aux référentiels centraux : enjeux, mise en œuvre et impact opérationnel

Tableau 1 : calendrier de reporting

Les TR homologués aujourd’hui

Les référentiels centraux qui collectent toutes ces données doivent avoir obtenu l’agrément de l’AEMF. Six TRs sont enregistrés à l’AEMF à ce jour (cf. Tableau 2).

Pour homologuer ces six référentiels centraux, l’AEMF a évalué les éléments suivants :

  • Leurs indépendances en étudiant leurs structures organisationnelles et leurs gouvernances
  • Leurs conformités aux exigences réglementaires via l’examen de la structure de leurs contrôles internes
  • La suffisance de leurs ressources financières pour financer leur activité principale, au regard de leurs états financiers (et de ceux de la maison mère), et, de leur plan d’activité à un horizon d’au moins 3 ans
  • Le descriptif de leurs activités auxiliaires éventuelles s’il s’agit d’activités de négociation ou de post-négociation
  • Le bon fonctionnement de leurs systèmes technologiques et de leurs activités externalisées éventuelles
  • Leur politique de conservation, de confidentialité et d’accès aux données
  • Leur plan de continuité d’activité et leur modèle de gestion des risques opérationnels
  • Leur tarification des services proposés pour garantir la transparence des prix appliqués

Ces travaux d’homologation effectués par l’AEMF ont été facturés à chaque TR ayant déposé une candidature, sous forme de commission d’enregistrement. Le montant de cette redevance est fonction de l’étendue des activités du TR (activités de reportings et autres activités) et du périmètre d’agrément demandé (classes d’actifs couvertes par le TR).

Annuellement, les référentiels centraux agrées devront payer une commission de surveillance à l’AEMF. Elle couvrira l’effort prudentiel de l’AEMF et les travaux spécifiques délégués par l’AEMF aux autorités nationales.

Tableau 2: Référentiels centraux de données agrées

L’activité principale des TRs homologués est de collecter les reportings, de réconcilier ceux associés à une même transaction et d’en assurer leur conservation. Les TRs doivent permettre aux autorités compétentes d’accéder à un périmètre de données plus ou moins restreint en fonction de leurs lettres de mission.

Un rapport standard obligatoire par contrepartie

Pour chaque transaction, un rapport communiqué à l’un des six TRs précédemment listés est attendu de chaque contrepartie. Ainsi, en cas d’opérations extraterritoriales, toutes les contreparties domiciliées dans un pays en dehors de l’Union Européenne (U.E.) exécutant une transaction impliquant une entité de l’U.E. sujette à EMIR doivent aussi produire ce reporting. Les opérations d’une filiale non européenne d’un groupe Européen avec un tiers hors de l’EEE ne sont, en revanche, pas concernées.

Des exemptions aux reportings sont définies. Sont exemptées la Banque des Règlements Internationaux et les Banques Centrales lorsque leur contrepartie n’est pas soumise à l’exigence de reporting sous EMIR. De même, les transactions réalisées au sein d’une même entité ne seront pas communiquées aux TRs, ces transactions n’impliquant qu’une seule et même contrepartie. Toutefois, si les intragroupes sont exemptés de l’obligation de clearing, ils n’en restent pas moins soumis à l’obligation de reporting.

Pour toute contrepartie non exemptée, le reporting exigé comporte 85 champs et se décompose en deux sections : la première spécifique à la contrepartie, la seconde relative à la transaction. (cf. Illustration 2)

EMIR et l’exigence de reportings aux référentiels centraux : enjeux, mise en œuvre et impact opérationnel

Illustration 2 : Format des reportings

Au sein de chaque reporting, les entités seront identifiées par leur LEI (Legal Entity Identifier), numéro international unique délivré par une autorité nationale telle que l’INSEE en France et, les transactions par un numéro unique, l’UTI (Unique Trade Identifier). En cas de transaction entre une entité sujette à EMIR et un particulier, l’obligation de reporting ne s’applique qu’à la personne morale. Cette dernière indique un code client comme identifiant de sa contrepartie.

Ces deux identifiants sont utilisés par les TRs pour réconcilier les reportings. Si les contreparties doivent se mettre d’accord en amont sur la valeur des données communes à indiquer, les données d’exposition (valorisation du contrat et collatéral) étant enregistrées au niveau de la section spécifique à chaque contrepartie, peuvent différer entre deux rapports relatifs à une même transaction.

Les impacts opérationnels dans les entreprises

Ces exigences de format et de délais de reportings que nous venons de décrire ne sont pas sans incidence pour les entreprises. La mise en Ĺ“uvre de cette norme se décline en plusieurs chantiers : informatique, qualité des données, processus et organisationnel.

Chaque entreprise qui produit ses reportings a signé un contrat de prestation avec l’un des six TRs référencés.

Pour chacune de ces entreprises, l’implémentation d’un flux sécurisé et crypté de données pour communiquer avec le registre de données et l’enrichissement des flux d’information avec de nouvelles données exigées figurent parmi les développements informatiques incontournables. Certaines entreprises ont également déployé des bases de collecte de données auditables. Au vu de ces transformations informatiques, une revue des référentiels s’est imposée pour s’assurer de leur exhaustivité et de leur bonne actualisation.

En outre, la saisie impérative de nouvelles données dans le délai T+1 (T étant le jour de l’exécution), la valorisation quotidienne des contrats et du collatéral à gérer dans les systèmes opérants font l’objet d’une revue des processus et de la rédaction de nouvelles procédures internes. Des contrôles sont mis en place ou restent à définir pour renforcer la fiabilité de ce dispositif de production.

La reprise d’historique des deals est un autre aspect complexe de cette mise en conformité. Elle requiert des travaux de recherche d’informations sur des deals maturés d’une part, et la mise en qualité du stock des données des applications de gestion d’autre part.

L’enjeu de ces contrôles et projets de qualité des données est d’assurer la complétude et l’exactitude des reportings transmis in fine au régulateur.

L’option de la délégation de service

Les contreparties non financières font partie des plus impactées par cette déclinaison opérationnelle et par les potentiels coĂťts de sa mise en Ĺ“uvre.

Pour alléger cette charge, la réglementation permet à la contrepartie de déléguer ce processus de reporting à un tiers, la livraison du reporting et la validité de son contenu restant sous la responsabilité de la contrepartie.

A ce titre, certaines banques proposent actuellement de produire les reportings pour le compte de leurs clients. Sur le périmètre des opérations compensées, ces mêmes services sont offerts par certaines chambres de compensation gratuitement sans coĂťt additionnel pour leurs membres. Certains dépositaires assurent aussi cette production pour des sociétés de gestion au même titre qu’ils leur permettaient déjà de sous-traiter d’autres services connexes.   Plus généralement, tout acteur intervenant au cours du processus d’exécution et de post-exécution (broker, plateforme de négociation, CCP‌) peut proposer de prendre en charge le reporting pour le compte de son client.

Outre l’externalisation vers un prestataire de services financiers, d’autres configurations de prise en charge du processus de production du reporting pour compte de tiers sont envisageables :

  • le reporting d’une entreprise non financière peut être réalisé par sa contrepartie
  • au sein d’un Groupe d’entreprises, la maison mère peut centraliser ce processus de production pour toutes ces entités.

Délégation ou non de la production du reporting, la contrepartie non financière n’évitera pas les coĂťts projets de mise en Ĺ“uvre de la réglementation. Si elle se décharge de cette production et évite les coĂťts d’interfaçage à un TR, elle devra tout de même définir un processus interne de recensement, d’historisation et de contrôle des informations nécessaires ainsi qu’un processus de communication avec le prestataire avec lequel elle contractualise.

Un enjeu pour les régulateurs qui tirent les leçons de la crise de 2008

L’ensemble de ces données produites est in fine exploité par plusieurs autorités de supervision. Ces dernières ont accès à un périmètre plus ou moins étendu et à un niveau de granularité plus ou moins fin des données enregistrées auprès des TRs pour exercer leur mission. (cf. Tableau 3)

Tableau 3 : Autorités de supervision et accès aux données

Ces autorités ont, via ces reportings, la visibilité sur les expositions des contreparties par types de produits dérivés dont elles manquaient lors de la crise financière de 2008. Rappelons-nous qu’à cette période, incapables d’évaluer avec précision les positions de Lehman Brothers, les régulateurs devaient prendre la décision de sauver cette banque ou de la laisser faire faillite sans pouvoir évaluer les impacts sur la Place financière. Aujourd’hui, l’enjeu est donc pour eux de s’assurer que les positions prises sur les différents types de contrats ne sont pas trop à risque, d’anticiper les risques systémiques liés au marché des dérivés et d’identifier les conséquences d’un défaut ou d’un évènement critique.

Les reportings constituent, de plus, un moyen de veiller au bon respect de la réglementation EMIR, notamment l’exigence de compensation. En effet, un certain nombre de champs dans le rapport oblige les entreprises à justifier du non recours à la compensation en cas d’exemption (opérations intragroupe, opérations visant à couvrir leur activité commerciale ou de trésorerie, seuils de clearing‌). Ils sont également utiles aux chambres de compensation elles-mêmes dans le cadre du bon déroulé de leur activité. Enfin, ces registres de données, outil de compréhension et d’analyse du marché, pourront donner aux régulateurs des idées de nouvelles réglementations.

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