Magazine Cinéma

Entretien avec Emmanuel Naccache

Par Mickabenda @judaicine
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Comment est né KIDON ?

J’étais dans un café à Tel-Aviv, 
je lisais le journal comme tous
 les matins. À la une de tous les quotidiens du pays se trouvait la photo de ces agents du Mossad qui s’étaient fait démasquer alors qu’ils menaient une opération secrète à Dubaï. D’heure en heure, de nouvelles photos étaient diffusées, celles de 6 agents secrets, puis 7, 8 puis 
11 ! C’était une véritable série à rebondissements. J’avais vraiment l’impression que les scénaristes de OCEAN’S ELEVEN étaient passés par là. C’est vrai qu’ici en Israël on 
a beaucoup plaisanté avec cette histoire. Quelque temps après, en réfléchissant, je me suis dit que cela valait vraiment la peine d’écrire un scénario. J’ai proposé l’aventure à Manuel Munz. Il a tout de suite aimé l’idée du film. C’est très intriguant, mais assez rare aussi, un fait divers qui se propage aussi rapidement sur toute la planète et qui est en plus une source d’inspiration pour une comédie d’espionnage. Ce qui a commencé comme une blague est devenu un long métrage.

Écrire une comédie d’espionnage est un travail difficile, comment avez-vous procédé ?


C’est un exercice difficile et jouissif. Il faut être très attentif aux détails. Il y a eu deux grandes étapes dans le processus d’écriture. La première étape était celle où je me suis mis à écrire. Je travaillais seul. Je devais être extrêmement concentré pour ne pas faire de contresens. Dans une comédie d’espionnage, le hasard n’a pas sa place. Heureusement, je pouvais discuter avec Manuel Munz de l’avancée de mon travail. Une fois le scénario terminé, la deuxième étape était de le présenter aux comédiens. Il fallait que les acteurs se le mettent en bouche. Il y a tout de même quinze rôles importants dans le film et les acteurs avaient beaucoup de questions à poser sur l’histoire et les différents personnages. Cela m’a d’ailleurs permis de comprendre que si je ne pouvais pas répondre à certaines questions, je devais reprendre le scénario. Et c’est ce que j’ai fait. C’était un passage assez compliqué, mais, à un moment, j’ai eu un sentiment d’apaisement. Je pouvais répondre à toutes les questions de l’équipe. Le scénario était prêt. KIDON a nécessité deux années d’écriture. Cela a été très fatigant, mais vraiment stimulant intellectuellement.

KIDON aurait pu être un film d’espionnage, pourquoi y avoir apporté une dimension comique ?


Je me suis rendu compte, il n’y
 a pas très longtemps que je transformais les scénarios les plus dramatiques en comédie. La comédie est vraiment ce que j’aime écrire. Ce qui m’a attiré avec KIDON, c’est que je me trouvais devant un fait divers dont le monde entier parlait. Et c’était aussi la première fois que les règles du jeu changeaient. Une opération « top secret » éclatait au grand jour. Nous n’étions plus dans le monde de l’ombre, mais plutôt dans une ère nouvelle ou la technologie rendait tout le monde visible tout le temps. Il est vrai qu’au début je n’ai pas écrit le scénario en pensant à une comédie, mais c’est venu naturellement. C’est ce qui me donne du plaisir. Quand je pensais à  mes acteurs, je visualisais des situations comiques. Ce sont des acteurs qui excellent dans la comédie. Alors oui… Peut‐être que j’ai pris un risque. Certains s’attendaient à un film noir, mais pour moi la comédie apporte une autre dimension à l’espionnage.

KIDON s’articule autour d’une bande, il faut que l’équipe soit soudée pour que la bande fonctionne ?

Je me disais qu’il était très facile de fédérer autour de Bar Refaeli ! Plus sérieusement, je vous avoue que ma seule crainte était que les acteurs français et israéliens n’entrent pas en symbiose. Les Français étaient en Israël pour tourner le film. Il pouvait y avoir un côté « vacances » et c’est souvent comme cela quand vous tournez loin de chez vous. Les acteurs israéliens tournaient avec nous la journée et le soir ils étaient généralement sur scène au théâtre. Ils sont souvent extrêmement occupés. En Israël, les tournages sont plus « bordéliques », ça parle beaucoup, ça crie beaucoup. En France, on est habitué à une certaine rigueur, c’est bien plus carré. Mais au fur et à mesure que les équipes se mélangeaient, les Français devenaient plus orientaux et les Israéliens plus occidentaux. Chacun a appris des autres.

Parlez-nous du choix de vos acteurs.

Tomer Sisley était une évidence pour moi avant le tournage, et en voyant le résultat je ne suis pas déçu. Personne ne sait d’où il vient. Est‐il Allemand, Français ou Israélien ? Il parle toutes les langues. C’est un acteur physique et charmant. Il a aussi bien l’allure de l’agent secret du Mossad que le potentiel comique de l’humoriste qui fait du stand‐up. Tomer parle également couramment hébreu, ce qui était un cadeau tombé du ciel pour moi. Kev Adams a aujourd’hui une carrière incroyable. C’est Manuel Munz, mon producteur français, qui me l’a présenté. Le feeling est tout de suite passé avec lui. Kev incarne « Facebook », un personnage geek qui lui ressemble beaucoup. Tout comme Facebook, Kev a un côté décalé par rapport à l’univers des adultes et cela m’a tout de suite plu. On a tourné il y a plus de deux ans et c’était sa première participation à un long métrage, je suis donc très fier de l’avoir dans mon film. Lionel Abelanski est la personne qui m’a donné envie de faire du cinéma et de raconter des histoires. Il était à l’affiche du film TRAIN DE VIE de Radu Mihaileanu et j’ai été conquis par son interprétation. Lionel est un acteur que j’adore et qui jouait déjà dans mon premier long métrage, LE SYNDROME DE JÉRUSALEM. Je n’aurais pas fait mon premier film sans lui, il a un talent incroyable, une palette de jeu extraordinaire, c’est un acteur généreux. Je trouve qu’on ne le voit pas assez et j’ai hâte de le voir dans un film qui reposerait sur ses épaules. C’est un vrai cadeau de l’avoir dans KIDON. Il a un humour incroyable. Bar Refaeli joue très bien, elle n’est pas que top model ! J’ai écrit ce rôle de femme fatale israélienne pour elle. J’ai eu la chance de pouvoir l’approcher grâce à un ami commun. Elle a découvert le scénario, elle a trouvé ça drôle, et au‐delà du côté femme fatale du personnage, elle a aimé son côté naturel. Et c’est vrai que Bar est une fille très nature et extrêmement travailleuse. J’espère vraiment qu’après KIDON elle sera reconnue pour ses qualités d’actrice.

KIDON est une coproduction franco-israélienne; en quoi cela consiste ?


Il s’agit d’une production franco‐israélienne aussi bien en termes d’investissement que de culture. Beaucoup de films israéliens qui arrivent en Europe sont assez politisés et engagés. Les films israéliens sont souvent des films 
à petits budgets. On ne devient pas riche en faisant du cinéma en Israël. La tendance aujourd’hui dans le cinéma israélien est la recherche de reconnaissance dans les festivals internationaux. Il est vrai que les films politisés ont une vie plus prospère en festivals que la comédie qui passe plus difficilement les frontières et les sélections. Il y a des spécificités culturelles et sociales qui rendent l’humour moins exportable. L’originalité de KIDON est la mixité des acteurs français et israéliens. Cela peut être une chance pour une comédie israélienne de viser un marché différent.

Il y a aussi une logistique à mettre en place dans une coproduction. Il y a souvent deux façons différentes de travailler. Il a fallu établir un mode de communication entre les Français et les Israéliens ! Mais ça a été vraiment très agréable. Produire un film c’est toujours une grande aventure. Je suis issu d’une double culture, c’est donc un avantage. Mes producteurs, français et israéliens, ont vraiment été à la hauteur. Ils se sont très bien entendus et peut‐être que d’autres projets vont naître de cette co‐production.

Dans KIDON, on découvre Tel-Aviv, comment l’avez-vous filmée ?

Lorsque j’ai filmé Tel-Aviv, je l’ai fait avec mon regard de Français. Je pense que les Israéliens ne filment pas leur ville de la même manière, sûrement parce qu’ils y sont très habitués. Dans cette ville, il y a des bijoux architecturaux et je me rends compte que je m’émerveille encore sur certains quartiers. Avant de faire du cinéma, je rêvais de faire les beaux arts, je peignais beaucoup. Pour le film, j’ai tourné une scène sur un pont, au nord du port de Tel-Aviv, c’est un endroit graphique qui n’a encore jamais été filmé. Ce lieu est un tableau vivant. J’ai toujours sur moi mon carnet où sont notés tous les endroits qui m’intéressent, je suis constamment en repérage.

Vous avez apporté un soin particulier aux décors du film, comment avez-vous élaboré une comédie d’espionnage avec un petit budget ?

Souvent, les films d’espionnage sont de grosses productions hollywoodiennes. Nous, nous avons fait un film à petit budget. Vous ne verrez pas d’explosions ni de cascades incroyables. C’était tout le défi ! Nous avons essayé de faire beaucoup d’efforts sur les décors notamment sur les locaux du Mossad. Il fallait que ce soit crédible. J’ai eu la chance de travailler avec un excellent chef décorateur, Ariel Glazer, mais aussi avec un petit génie des effets spéciaux, Yaron Yashinski, qui a mis en place tous les écrans interactifs que l’on voit dans les bureaux du Mossad. En Israël, on sait faire des prouesses avec très peu d’argent. Les films à petits budgets doivent être plus inventifs et créatifs que les autres. C’est ce que l’on appelle « le système D » israélien.

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