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Il y a deux réalités

Publié le 20 mai 2014 par Lana

Vacances d’internet obligent, ce n’est qu’aujourd’hui que j’apprends la mort de Jean Oury, lui qui disait: "soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie". Je lis aussi un article où un psychiatre répond à des plaintes de patients pour maltraitances: Parfois, un patient perçoit différemment la réalité. C’est un cas typique de psychose. Le rôle du psychiatre est alors de réussir à dire qu’il y a deux réalités différentes et non d’affirmer au patient qu’il a tort. (http://www.lavoixdunord.fr/region/psychiatrie-a-berck-reelles-maltraitances-ou-ia36b49106n2141280)

Visiblement, ce psychiatre n’a pas dû lire Jean Oury. Ou Martin Winckler, qui dit que si un patient se sent maltraité, c’est qu’il l’est, mais il est vrai qu’il ne parle pas spécifiquement des psychotiques. C’est bien pratique, la psychose, pour décrédibiliser la parole des gens. Les psychotiques ne vivent pas dans la même réalité que les autres, alors s’ils se sentent maltraités, ils ne le sont pas vraiment. Parce que la maltraitance en psychiatrie, ça n’existe pas, comme nous l’explique l’article en questions, et il existe des organes de contrôle, les patients ont des droits et en plus aucun incident n’a été signalé. Comme nous savons que ces droits sont toujours signifiés aux patients et bien sûr respectés, que ceux-ci ont tout le loisir de contacter les organismes de contrôles, on ne peut pas douter de la vérité des faits: ils n’existent pas dans la bonne réalité, mais seulement dans la mauvaise, celle des psychotiques, qui décidément interprètent toujours tout de travers. Oh, je sais, j’ai bien lu, il n’est pas question de dire aux patients qu’ils ont tort, mais enfin quand même, toute personne sensée se doute bien quelle réalité il faut prendre en compte. Tiens, ça me rappelle Rufo et ses mises en garde: attention, cette psychotique que je viens de diagnostiquer à la télé en deux minutes a le droit de se dire abusée, il faut l’écouter, mais ne tombons pas dans le piège de la croire.

C’est curieux, je trouve, d’être soignant en psychiatrie et de ne pas prendre en compte la réalité de ses patients. Je croyais, il y a longtemps que je n’y crois plus c’est vrai mais ça fait toujours aussi mal, que le but d’un soignant était de comprendre la réalité de son patient, de l’écouter, de la prendre en compte, de la respecter. Si quelqu’un dit qu’il souffre, il souffre, c’est tout. Croire qu’on n’est jamais maltraitant, c’est de la mégalomanie. C’est un refus absolu de se remettre en question, d’écouter l’autre, c’est défendre ses pouvoirs et ses privilèges au mépris de la souffrance de l’autre, c’est défendre le pouvoir absolu de l’institution. Parce que tout le monde peut être maltraitant. Parce qu’on est humains, parce qu’il y a des gens qu’on apprécie moins que d’autre, des jours où l’on a pas envie d’être attentifs aux besoins des autres, parce qu’on n’a pas le temps, qu’on est fatigués ou de mauvaise humeur. C’est encore plus facile d’être maltraitant quand on a du pouvoir sur des personnes fragilisées. Pour ne pas l’être, la première chose, c’est d’admettre qu’il nous arrive de l’être, c’est d’y réfléchir et d’essayer de ne pas l’être. Les gens qui pensent n’être jamais maltraitants, qui croient travailler dans une institution où la maltraitance n’existe pas, je ne sais pas dans quelle réalité ils vivent, mais ce n’est pas la mienne.

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Oui, il y a deux réalités. Je crois bien que je préfère ma réalité de psychotique, celle de Jean Oury, à celles de ceux qui pensent pouvoir diriger la vie des autres en toute bonne conscience.


Classé dans:Réflexions personnelles

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