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solitude d'une femme âgée

Publié le 22 mai 2014 par Dubruel

 

SOUVENIRS (d'après Maupassant)

Mon cher Tristan,

Non, ce printemps,

Je ne viendrai pas à Paris.

Je reste dans mon trou, comme tu dis.

La vieille bête ne sort plus de son terrier.

Tout la fatigue, tout l’effraye.

Je n’ai plus de nouvelles joies.

Je n’ai que d’anciennes joies.

Je ne puis plus quitter

La maison où je suis née,

Où j’ai vécu, où j’espère mourir.

J’y suis enveloppée de souvenirs.

Je vis seule.

Cela t’étonne qu’on puisse être seule ?

Que veux-tu ?

Je suis entourée d’objets si familiers,

Si connus

Qu’ils remplacent parents et amitiés.

Ils me parlent de ma vie, des miens,

Des morts et des vivants lointains.

Le bonheur,

Le vrai bonheur

Ne se tient pas dans la félicité.

Elles sont rares les félicités !

Le bonheur, c’est l’attente, la confiance,

C’est un horizon plein d’espérance,

Le bonheur, c’est le rêve !

Il n’y a de bon que le rêve.

Mais au lieu de rêver en avant,

Je rêve en arrière maintenant.

Quand on a quatre-vingts ans

Il semble qu’on était adolescent

Il y a seulement dix jours.

L’autre jour,

Devant mon feu, j’ai retrouvé

Un coucher de soleil que j’avais admiré

Sur la plage de Dinan

Quand j’avais seize ans.

La lueur rouge des tisons

A dû sans doute réveillé

Dans mon esprit la vision

De ce début de nuit

Quand le feu du soleil embrasait l’horizon,

Je me suis tout rappelé :

La vue, ma robe, mon chapeau rond,

Et mes cheveux blonds bouclés.

J’ai senti l’odeur salée

Des sables mouillés.

Je respirais l’air marin iodé

Qui sur ma figure soufflait.

J’ai frémi de la même exaltation.

Toutes mes anciennes sensations

M’ont assaillie.

J’ai eu seize ans pendant un instant, oui !

Je me procure parfois,

D’autres petites joies.

Je monte au grenier,

Et j’y trouve des objets

Que j’avais oubliés.

Ils avaient traîné

Quarante ou cinquante ans près de nous,

Sans que nous les ayons jamais remarqués

Revus, ils prennent tout à coup,

La signification d’amis oubliés.

Ce sont des niaiseries

Mais elles font la vie

Des vieilles gens.

Tu comprends ?

Et puis, vois-tu, je voudrais

Comme Sainte-Beuve l’écrivait :

Naître, vivre et mourir dans la même maison.

Je t’embrasse. Ta vieille tante Suzon.


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