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«L’homme peut-il s’adapter à lui-même ?». Les réponses du biologiste Gilles Bœuf.

Publié le 23 mai 2014 par Blanchemanche

Dans la décharge de la Duquesa à Saint-Domingue, le 8 mars 2014.
Certaines questions deviennent de véritables fabriques à migraines lorsqu’elles sont bien posées. Espérons que le Collège de France sera doté de suffisamment d’aspirine dès ce jeudi pour soulager son public. Durant deux jours, la vénérable institution accueille un colloque (1) à l’intitulé passionnant : «L’homme peut-il s’adapter à lui-même ?» Si les catastrophistes répondront intuitivement que non, les scientifiques, philosophes et politiciens invités apporteront toutes les nuances qui siéent à l’optimisme. Avec ce colloque, Gilles Bœuf, président du Muséum national d’histoire naturelle et professeur invité de cette vénérable institution, réitère un exercice déjà pratiqué en 2012 qui avait donné lieu à un ouvrage collectif paru chez Quae Editions.
Vous organisez un colloque avec un titre ravageur : «L’homme peut-il s’adapter à lui-même ?» Assumez-vous la part «catastrophiste» de la question posée ?
Je ne suis pas du tout un catastrophiste, je suis un lanceur d’alerte. Soyons lucides, chaque semaine, un article scientifique paru dans la revue Nature nous dévoile les limites de l’humain. La situation est suffisamment préoccupante pour que tous ensemble, nous nous arrêtions pour réfléchir à la meilleure façon de changer nos modes de vie. Regardez ce que sont capables de faire les mâles d’homo sapiens, vous en avez la parfaite illustration dans le Loup de Wall Street. Aux Nations unies, les pays avaient pris des engagements pour stopper l’érosion de la biodiversité en 2010. Fin janvier 2014, les Etats ont décidé de repousser l’échéance à 2020. Quand est-ce qu’on va changer ? Quand va-t-on prendre ces échéances au sérieux ? Et surtout comment est-ce qu’on change ?
Ce ne sera pas la première fois que l’alerte sera lancée…
Ce colloque va se dérouler dans la prestigieuse enceinte du Collège de France, où l’on n’a jamais parlé de ça. Dans ce lieu ouvert à tous, très œcuménique, on évoque plus souvent des disciplines très strictes comme les mathématiques, l’économie, la biologie.Il est fondamental aujourd’hui de s’interroger sur la façon dont on crée de la richesse à partir de l’intelligence sans détruire la nature. Nos deux richesses sont notre intelligence et l’information. Partout, on parle des problèmes interrelationnels entre les mondes de l’écologie et de la politique. Depuis quatre ou cinq ans, je suis invité à des conseils d’administration de banques ou de groupes industriels, les choses changent un peu. Il est temps de réconcilier écologie et économie.
Y a-t-il un risque que l’homme soit incapable de s’adapter à sa prolifération ?
Comment voulez-vous qu’on crée une croissance perpétuelle dans un monde fini ? On ne peut pas construire un futur sur ce système-là. Le socialisme et le communisme se sont effondrés, mais le capitalisme s’effondrera aussi car il ne tient pas compte des contraintes écologiques. Je trouve cela très juste.
Quels seraient donc ces risques d’inadaptation, tant sur le plan génétique que philosophique ?
Si l’on ne s’adapte pas, on va tous s’enliser dans un magma infâme. Souvent, les gens convoquent l’image d’un mur dans lequel l’humanité foncerait. En réalité, il n’y a qu’un magma infâme. Ça va finir par la barbarie et puis c’est tout. Sauf si nous reconnaissons la menace que nous créons en permanence. Deux combats s’imposent à nous. Le premier contre la cupidité, qui fait gagner beaucoup, beaucoup, d’argent à quelques-uns en très peu de temps. Le second contre l’arrogance, il va nous falloir beaucoup plus d’humilité pour s’en sortir.
Quelles sont les précédentes stratégies d’adaptation que l’espèce humaine a consenties pour parvenir jusqu’à 2014 ?
Après les grandes crises de peste noire, nous sommes allés mettre en esclavage l’Afrique, l’Amérique et l’Asie pour nous en sortir. Ce n’est plus possible aujourd’hui. A l’avenir, les aspects spirituels seront aussi importants que les aspects biologiques. Il y aura bien des adaptations génétiques et biologiques, il n’y a qu’à voir l’apparition de nouvelles maladies, infectieuses, auto-immunes et allergiques, par exemple. Sans compter que l’homme est aussi très mauvais pour les autres espèces.
Qu’est-ce que les conclusions du Giec (3e volet, 5e rapport) vous inspirent ?
On est sur des considérations vitales, on ne peut plus supporter d’un homme politique qu’il nous dise : «L’environnement, on s’en occupera quand il n’y aura plus de problème économique.»
Pourtant, c’est ce qui passe…
Oui, mais oublions la classe politique. Partout, je vois des gens prêts à réagir, la société civile, des ingénieurs, des entreprises privées, des scientifiques…
D’aucuns estiment que nous sommes rentrés dans l’anthropocène, une ère géologique façonnée par la trace de l’homme. Qu’en pensez-vous ?
L’idée est intéressante, nous vivons un basculement où l’histoire de la Terre rencontre celle de l’homme. Quand je pense que nous faisons partie d’une espèce qui a eu le culot de s’appeler homo sapiens ! Nous avons séparé le monde vivant en deux : les humains d’un côté, les non-humains de l’autre, que l’on a appelés horribilis, atrox ou ferox.
L’adaptation doit-elle être un phénomène rapide ?
Vous me demandez à quelle vitesse nous devrions nous adapter ? Ça doit se faire dans les quarante ans à venir, les gros soucis vont arriver avant les vingt prochaines années.(1) Colloque «L’homme peut-il s’adapter à lui-même ?», les 22 et 23 mai, entrée libre.LE PROGRAMME DU COLLOQUEhttp://www.college-de-france.fr/media/gilles-boeuf/UPL7378283269615931406_Boeuf_Colloque_2014.pdfLaure NOUALHATSource : http://www.liberation.fr/debats/2014/05/22/il-est-temps-de-reconcilier-ecologie-et-economie_1023475

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