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Changement climatique et espèces invasives

Par Valentine D. @sciencecomptoir

Pour l’immense majorité des écologues, les espèces invasives sont le mal incarné : dégradation du fonctionnement des écosystèmes, extinctions, homogénéisation biotique (la McDonaldisation du paysage : les mêmes espèces, où qu’on soit sur Terre)… A côté de ça Dark Vador, Lex Luthor et Docteur d’Enfer ont l’air bien inoffensif !

Rat noir (rattus rattus)

Rat noir (Rattus rattus), île Europa, océan Indien. Ce petit rongeur qui a colonisé 80 % des îles de la planète s’adapte à des écosystèmes variés. Il transforme profondément ces écosystèmes fragiles, non préparés à l’arrivée d’un tel envahisseur et entraîne certaines espèces vers l’extinction. © Lise Ruffino, CNRS Photothèque

Pourquoi une espèce est là où elle est ? La réponse est dans le climat. Certaines espèces ne jurent que par un climat tempéré quand d’autres se satisfont des déserts arides (au moins, elles peuvent y bronzer en paix sans se croire dans le métro en heure de pointe). Coup de pied dans la fourmilière, le changement climatique va perturber ce joli petit équilibre. Le héron garde-boeufs (Bubulcus ibis) est en train de délaisser son camping préféré de Palavas-les-flots pour un bungalow en Picardie, naturellement climatisé. Évidemment, les espèces invasives devront elles aussi déménager.  Je vois à ton air songeur, lecteur, que tu te demandes si ce grand remaniement sera une opportunité pour les espèces invasives de conquérir le monde. Coup de pot, figure-toi que des chercheurs (français pour la plupart) se la sont aussi posée, cette question !

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Sur un herbier de Zostera marina (plante marine à fleur) se développe l’algue brune Sargassum muticum, espèce introduite et invasive, près de Roscoff, Finistère. © Yann Fontana, CNRS Photothèque

C’est ainsi que par le biais de savantes modélisations, ces chercheurs ont essayé de prédire  l’aire de répartition future des 100 espèces les plus invasives en 2100. En pratique, ils ont repéré les régions du globe où les conditions climatiques prédites en 2100 colleraient le mieux aux exigences actuelles de ces espèces. Ils ont ensuite identifié les régions du globe où les espèces invasives seraient les plus nombreuses.

Verdict : ça va pulluler sec du côté de l’Europe, du Nord-Ouest des Etats-Unis, du Sud de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Les espèces natives de ces écosystèmes risquent fort de devoir se battre face à ces nouvelles-venues comme des fashion victims devant le dernier exemplaire de la petite robe Kenzo en édition limitée… En revanche, espoir pour les faibles latitudes (entre les tropiques) qui perdront des espèces invasives : ces écosystèmes auront manifestement une opportunité de retrouver leur fonctionnement d’antan. Voilà qui m’arracherait presque une larme ! Sauf que…

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Melanoides tuberculata, escargot d’eau douce originaire des zones tropicales d’Asie et d’Afrique, considéré comme une espèce invasive notamment en Argentine et au Paraguay. © Jean-Pierre Pointier, CNRS Photothèque

Comme je suis d’humeur fort critique, j’ai décidé de vous exposer une sélection de mes réserves à l’égard de cette publication : d’abord, les auteurs l’avouent eux-mêmes, cette étude s’appuie sur un échantillon de 100 espèces invasives en région tempérée qui n’est pas représentatif de l’ensemble des espèces invasives à l’échelle globale. Difficile d’étendre leurs conclusions aux plus de 2000 espèces invasives sur Terre…

Ensuite, point méthodologique : Au lieu de prédire l’aire de répartition future d’une espèce, la technique utilisée permet en fait de repérer les zones aux conditions favorables à l’établissement de ces espèces. La nuance est de taille ! Un cinéphile parisien aura de grandes chances de se trouver dans un cinéma de la capitale le jour de la sortie du dernier James Bond. Mais comment savoir qu’il sera ce jour-là au Grand Rex ? Cela dépend de beaucoup d’autres facteurs, notamment historiques (si le père du cinéphile avait l’habitude de l’emmener au Grand Rex quand il était petit) ou encore environnementaux (si des travaux bouchent momentanément la rue qui mène au Gaumont des Champs-Elysées). Il y a aussi une grande part d’imprévu, qu’on appelle stochasticité (mot compte triple).

Enfin, je terminerai par cet ultime défaut que les auteurs eux-mêmes concèdent : une espèce n’est pas invasive en général, elle est invasive dans un écosystème donné. Son invisibilité dépend des autres espèces avec lesquelles elle va colloquer. Le changement climatique va modifier l’aire de répartition de beaucoup d’espèces : nos invasives vont se retrouver en contact avec de parfaites inconnues. Comment prédire que les invasives vont le rester (invasives), et non pas redevenir des espèces ordinaires sans danger pour l’écosystème, si d’aventure elles ne sont pas déjà supprimées par l’une ou l’autre de leurs compétitrices ?

En résumé, il y a encore beaucoup d’inconnues dans cette équation mais il semblerait que certaines régions doivent se méfier des espèces invasives dans le futur alors que d’autres vont pouvoir fêter leur départ, avec la même joie que celle qui anime Jean-Pierre (de Ma Sorcière Bien-Aimée) lors du départ de sa belle-mère.

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Une feuille morte de Posidonie (Posidonia spp.), espèce protégée depuis 1988 et jouant un rôle essentiel pour son écosystème, au milieu d’un parterre de Caulerpe (Caulerpa taxifolia) invasive, d’origine australienne, échappée de l’aquarium de Monaco en 1984. © Frédéric Zuberer, CNRS Photothèque

Si vous avez aimé cet article, vous aimerez peut-être aussi sur ce blog: Espèces invasives: mode d’emploi; sur Le Monde, débat: Faut-il avoir peur des espèces invasives ? Ptèt’ ben qu’non, ptèt’ ben qu’oui; découvrez aussi comment les espèces invasives quadrillent la planète, et demandez-vous sur le blog de la Tête au Carré si l’Homme est une espèce invasive.

Sources :

  • Article concerné : Bellard C, Thuiller W, Leroy B, Genoves P, Bakkenes M, Courchamp F, 2013. Will climate change promote future invasions? Global Change Biology, doi: 10.1111/gcb.12344
  • Parmesan C, Yohe G, 2003. A globally coherent fingerprint of climate change impacts across natural systems. Nature 421, 37–42, doi:10.1038/nature01286

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