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Ce blog a six ans d'existence et n'a pas atteint l'âge de raison

Publié le 24 mai 2014 par Francisrichard @francisrichard
Ce blog a six ans d'existence et n'a pas atteint l'âge de raisonCe blog a six ans d'existence et n'a pas atteint l'âge de raison

Le 24 mai 2008, l'aventure de ce blog commençait. Il y a six ans.

Un ami de longue date, Michel de Poncins, m'avait parlé quelque temps plus tôt d'Overblog et m'avait dit qu'il était facile de créer un blog sur cette plate-forme. Comme j'étais en interruption involontaire d'écriture depuis quelques mois et que j'ai un besoin existentiel d'écrire, à défaut d'être écrivain - la béquille de l'écriture dont parle Jacques Laurent m'est indispensable depuis mes sept ans -, je me disais qu'il fallait tenter l'expérience, quitte à y renoncer si elle ne se révélait pas concluante.

Quand je regarde le chemin parcouru en six ans, je ne sais toujours pas si l'expérience est concluante. Je constate seulement que j'ai évolué au cours de ces années, que je suis toujours le même, tout en étant devenu un autre. Une chose me rassure cependant. Je m'étais donné comme seule contrainte d'écrire en liberté et j'ai respecté cet engagement en apparence contradictoire, comme je le suis.

Si j'ai donné à ce blog mon nom, ce n'est pas par immodestie, mais par manque d'imagination - je ferai un piètre romancier. Si je l'ai orné de ma devise en latin, ce n'est par pédanterie, mais parce qu'à seize ans, sur la route qui va de Paris à Chartres, l'aumônier qui nous accompagnait mes camarades cathos du Lycée Henri IV et moi, nous avait demandé de trouver une formule qui nous définissait et que j'ai trouvée celle-là, spontanément.

Cette formule est devenue ma devise. Elle résume à elle seule toutes mes contradictions. Elle me définissait dès le début de manière prémonitoire, puisque j'étais, et suis toujours, bien écartelé entre devoir et ardeur, entre volonté de rester dans le droit chemin et passions qui me le font quitter pour des sentiers de traverse.

Deux textes en anglais, qui se trouvent l'un sur le mur du séjour de ma maison de Chatou, l'autre sur le mur de mon logis de Lausanne, m'ont été donnés par ma mère pour me guider dans la vie. Humblement, je reconnais que je ne les ai pas lus et relus encore suffisamment pour m'en imprégner et atteindre enfin l'âge de raison que mon blog n'a pas atteint non plus.

Le premier est de Marc-Aurèle:

God grant me the serenity to accept the things I cannot change,

Courage to change the things I can,

And wisdom to know the difference.

Ce qui peut se traduire ainsi:

Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d'accepter les choses que je ne peux pas changer,

Courage de changer les choses que je peux changer

Et sagesse de faire la différence.

Dans la version originelle de l'empereur romain, il n'était pas question de Dieu. Mon Dieu n'a été ajouté que par la suite par les chrétiens, qui ont le génie de christianiser ce qui en vaut la peine.

Le second texte est de Rudyard Kipling. C'est un poème:

If

If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you.
But make allowance for their doubting too;
If you can wait and not be tired by waiting.
Or being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated, don’t give way to hating,
And yet don’t look too good, nor talk too wise:
If you can dream —and not make dreams your master
If you can think —and not make thoughts your aim
If you can meet Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;
If you can bear to hear the truth you’ve spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools.
Or watch the things you gave your life to broken,
And stoop and build’em up with worn-out tools:
If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breathe a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: “Hold on!”
If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings —nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much;
If you can fill the unforgiving minute,
With sixty seconds’ worth of distance run.
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And —which is more— you’ll be a Man, my son!

Ce poème a été traduit magnifiquement par André Maurois:

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.

Si je cite ces deux textes, c'est bien parce qu'ils représentent ce que je m'efforce d'être dans ma vie et sur ce blog. Car ce blog, qui s'arrêtera avec mon dernier souffle, est en quelque sorte le reflet de ma vie, que mes mains sur le clavier tracent et retracent sous mes yeux ébahis et sous ceux de ceux qui me lisent.

Mon blog, tout comme moi, tente, comme il se doit, de puiser dans le premier texte sérénité, courage et sagesse et dans le second l'équilibre que ma folie intrinsèque m'empêche de trouver.

Cela dit, je m'interroge. N'ai-je pas raison d'être fou?

Le portrait du sage que dresse Erasme dans son Eloge de la folie est-il si enviable que ça?

Prenez un parangon de sagesse, celui qui a consumé dans l'étude des sciences son enfance et sa jeunesse, et perdu son plus bel âge en veilles, soucis, labeurs sans fin, et, le reste de sa vie, s'est privé du moindre plaisir; il fut toujours parcimonieux, gêné, morne, assombri, sévère et dur pour soi-même, assommant et insupportable pour autrui, pâle, maigre, valétudinaire, chassieux, usé de vieillesse, chauve avant l'âge, voué à une mort prématurée. Qu'importe, au reste, qu'il meure, puisqu'il n'a jamais vécu ! Vous avez là le joli portrait du sage.

Francis Richard


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