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Rose Valland, la « Monuments Woman » française

Publié le 25 mai 2014 par Savatier

Le_front_de-l_artIl fut à plusieurs reprises question, dans ces colonnes, de Rose Valland (1898-1980), héroïne de l’ombre qui, durant toute la Seconde guerre mondiale, s’attacha à répertorier les œuvres d’art volées par les Nazis, le plus souvent chez de grands collectionneurs et marchands juifs. Celles-ci arrivaient massivement au musée du Jeu de Paume, centre de triage où cette femme, qui alliait avec habileté discrétion, ténacité, courage et caractère bien trempé, occupait les fonctions modestes, mais stratégiques, d’attachée de conservation.

Sur ce « front de l’art », elle se tenait donc en première ligne au point d’y avoir risqué sa vie. Mais nul observateur ne fut mieux qu’elle à même de décortiquer le fonctionnement de la machine à spolier le patrimoine mise en place dès les premiers mois de l’Occupation. En 1961, Rose Valland réunit les souvenirs précis de cette période dans un ouvrage qui, ensuite réédité (en 1997), fut rapidement épuisé. Ce document étonnant, essentiel pour les historiens, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à l’art et au second conflit mondial, vient de faire l’objet d’une nouvelle édition sous le titre Le Front de l’art, défense des collections françaises, 1939-1945 (Réunion des Musées nationaux, 408 pages, 22 €).

Si le tirage original de 1961, qui atteint parfois des prix assez élevés sur le marché du livre ancien, satisfera les bibliophiles, celui que vient de publier la Réunion des Musées nationaux est rendu plus passionnant encore, grâce à un appareil critique aussi riche que détaillé, réalisé pour l’occasion par une équipe de scientifiques.

La mise en perspective proposée dans deux chapitres introductifs, complétée par des notes et une solide documentation, éclaire l’action de Rose Valland et précise les enjeux à l’œuvre. Si le rôle de cette dernière après la Libération de Paris, lorsqu’elle sillonna l’Allemagne aux côtés des « Monuments men » pour récupérer les œuvres volées, souvent dissimulées dans des caches, est assez peu développé dans son texte, celui-ci se révèle en revanche précieux par l’examen minutieux qu’il propose de la politique de spoliation nazie, beaucoup moins cohérente et monolithique qu’on aurait pu le penser.

Ainsi, le sort des toiles appartenant à « l’art dégénéré » évolua, entre autodafé organisé et vente ou échange sur un marché de l’art sinon clandestin, du moins discret. Les révélations consacrées aux conflits d’intérêts qui opposaient les différents services du Reich quant à la destination des œuvres ne sont pas moins intéressantes : entre l’ERR (Einsatzstab Reichleiter Rosenberg), organisme dépendant du parti nazi chargé de collecter celles-ci, l’ambassade d’Allemagne, Hermann Goering venant faire son marché à plusieurs reprises au Jeu de Paume et Hitler lui même, se jouait une partie serrée que l’on était loin d’imaginer.

Certes, toutes les œuvres volées ne furent pas, après la guerre, restituées à leurs propriétaires ou à leurs ayants-droit. La découverte, l’an dernier dans un appartement de Munich, de 1406 toiles et dessins, prouve que des particuliers en recèlent probablement encore un certain nombre. Par ailleurs, la mise à sac, par les « Commandos des trophées » de l’armée Rouge, de plusieurs réserves nazies et de collections privées, notamment juives, entre 1944 et 1947, fort peu documentée à ce jour, incite à penser que des milliers de tableaux, livres, manuscrits et objets d’art se trouvent encore aujourd’hui en Russie. Pour autant, il est clair que la ténacité de Rose Valland, assez tardivement reconnue par les autorités françaises, fut capitale pour la sauvegarde de notre patrimoine.


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