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"La blancheur des étoiles" d'Eric Brucher

Publié le 27 mai 2014 par Francisrichard @francisrichard

Dans certains romans, tout semble dit dès les premières pages et le lecteur se demande comment l'auteur pourra bien conserver son attention jusqu'au bout.

Ainsi, dans La blancheur des étoiles, Eric Brucher nous dit dans le premier chapitre que Serena a eu un premier enfant, Lucia, que cette enfant a été placée chez sa mère; qu'elle en a attendu un deuxième, mais que le Juge l'a fait avorter à presque quatre mois; qu'elle en attend un troisième et que c'est un vrai bonheur:

Elle guettait les mouvements du foetus, cherchait à sentir bouger les ondes lentes, le relief bizarre d'un pied contre la paroi tiède du ventre. Elle parlait tout bas, descendait jusqu'au bébé avec sa pensée, ainsi qu'elle l'avait inventé, pour le couver dans la paix. Une vibration pour lui infuser l'amour au coeur.

Eric Brucher raconte dans ce livre ce qui s'est passé pour que Serena attende un enfant, puis un autre, alors qu'elle est encore mineure; ce qui s'est passé pour qu'elle en attende un troisième qu'il sera impossible de lui prendre cette fois. En fait, son récit est fait de l'avant cette première attente, puis des intervalles entre les deux suivantes.

Même si les deux autres pères ont leur importance dans cette histoire, c'est cependant le premier qui va déterminer la vie de Serena et la marquer à jamais.

Laszlo Kohler est en effet un jeune rebelle, un non conformiste, un libertaire. Il roule en scooter débridé, son Spirit. Il a le crâne rasé... Il l'a attendue un jour en bas des escaliers du Mercator, un immeuble de quinze étages, où elle loge chez Madame Van Kleef chez qui sa mère la laissait petite pendant qu'elle travaillait et chez qui elle s'est réfugiée après s'être disputée avec elle.

Laszlo lui a demandé si elle connaissait le toit du Mercator. Non? Alors il lui a montré le vaste panorama qui se voit depuis ce toit du monde. Il lui a montré également, puis appris à aimer les martinets, et leurs stridences, quand ils volent au-dessus de la ville, du printemps jusqu'à la fin de l'été:

Quand ils jaillissaient des rues, des giboulées noires, furieuses, la gueule ouverte pour happer l'air et crier sans répit. Leurs ailes affilées telles des faux aspergeant à travers l'espace leur encre volatile.

Il lui a dit ses virées à scooter avec sa bande, ses tags sur les murs, les palissades, les volets métalliques, les panneaux de signalisation, signés Zed, comme la lettre au milieu de son prénom, à la peinture verte, au liseré noir. Il aurait voulu écrire partout cette phrase semblable à un slogan:

La bave des crapauds n'atteint pas la blancheur des étoiles.

C'est avec Laszlo qu'elle a fait l'amour pour la première fois, sur les galets du toit du Mercator:

Là-haut, à l'abri des cheminées, Laszlo lui a appris l'amour. C'était ça aussi la blancheur des étoiles.

Elle l'a accompagné sur les toits d'autres buildings, dans ses bravades, dans ses transgressions. Comme ils ne se protégeaient pas, elle est tombée enceinte... Peu de temps après, Ils se sont disputés. Elle ne supportait pas son machisme entreprenant. Elle l'a quitté en lui disant qu'elle ne l'aimait pas.

Laszlo ne saurait jamais qu'elle attendait un enfant de lui. Elle serait fille-mère, comme sa mère, Maria... Effectivement il n'en saurait jamais rien puisqu'il devait mourir, à un carrefour, encastré sous un semi-remorque. Mort sur le coup. Sa tête retrouvée à vingt mètres du corps...

Serena s'est sentie coupable de sa mort:

Tout était de sa faute, elle n'avait rien pu empêcher, elle qui l'avait repoussé et avait provoqué l'accident. Laszlo serait resté en vie s'il avait su pour le bébé. Il aurait cessé ses folies, n'aurait jamais voulu s'encastrer sous un camion. Elle aurait dû lui dire qu'un enfant naîtrait de son sang.

Alors Eric Brucher raconte comment Serena croit s'en sortir en retournant chez sa mère, mue par une énergie comparable à celle des étoiles, à leur blancheur. Il raconte quelle joie elle éprouve à la naissance de Lucia. Mais c'est trop beau pour être vrai. Ce bonheur est de courte durée. Sa vie finit par basculer et elle doit affronter les baves des crapauds...

Il est difficile de se déprendre de ce livre avant d'en avoir achevé la lecture. Sans doute parce que la vraie vie qu'il dépeint avec ses avanies n'est pas pour autant dépourvue de rêve et de poésie. Il touche également le lecteur par de très beaux passages sur la maternité:

Les mains posées sur les côtés de son ventre pareil à un ballon, elle sentait les ondes de l'enfant à l'intérieur, ses petites gesticulations. Cette torpeur au soleil était un délice. Etre là uniquement, n'être occupée que des mouvements infimes au creux d'elle-même, et cette durée quand elle finissait par s'enrouler sur elle-même et s'estomper, disparaître dans une béatitude. Des heures flottantes et pleines à la fois.

Car la vraie vie, ce ne sont pas seulement des vicissitudes, mais c'est aussi donner la vie...

Francis Richard

La blancheur des étoiles, Eric Brucher, 192 pages, Editions Luce Wilquin


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