Magazine Beaux Arts

Un théâtre sans théâtre

Publié le 11 juin 2007 par Marc Lenot

au Musée d’Art Contemporain de Barcelone (MACBA), jusqu’au 11 Septembre.

Ecrire sur une telle exposition n’est pas aisé.

D’abord parce que c’est une des expositions les plus denses et les plus intéressantes que j’ai vues depuis quelque temps, disons depuis Mélancolie. Il est étrange que les conservateurs en fonction dans les musées nationaux nous proposent habituellement des expositions bien faites mais trop bien rangées, proprettes, où l’esprit ne souffle pas beaucoup, et que ce soient des quasi-indépendants, des commissaires un peu en marge du système, tels JH Martin, Jean Clair ou Bernard Blistène, qui seuls aient le talent de monter des expos aussi complexes.
Ensuite, parce qu’ayant écouté Bernard Blistène tous les lundis parler de ce thème, préparant son expo parfois à tâtons, parfois de manière éblouissante (il y travaille depuis quatre ans), j’ai acquis une petite familiarité avec ce sujet, mais je ne veux surtout pas faire ici un compte-rendu pesant et pédant de l’expo, où j’ai passé beaucoup de temps.
Enfin, parce que ce n’est pas une exposition d’accès facile : le thème en est complexe, le catalogue n’est pas encore sorti, aucune explication dans les salles à part les cartels de base, seul un petit livret de 4 pages nous éclaire un peu ; ce travers élitiste, anti-pédagogique est assez énervant et va en rebuter plus d’un.

Ce n’est pas une expo simplement sur le théâtre, ou alors sur le théâtre vu autrement, sur son interaction avec l’art contemporain. C’est une expo sur le sujet, sur la place du sujet dans l’art, sur les frontières qui s’estompent entre acteurs et spectateurs, au théâtre comme au musée. De sculpture en vidéo, on voit les artistes (auteurs, interprètes) se mesurer à l’espace qui les entoure, concevoir leurs œuvres, leurs actions à cette mesure.

Cinéma théâtre de Dan Graham (ci-contre) ouvre l’exposition : dans notre époque si influencée par le cinéma, quelle place reste-t-il au théâtre, et comment influence-t-il encore l’art contemporain ? Serge Daney disait : « le théâtre, c’est la société ; le cinéma, c’est le monde ».

Vous commencerez par Artaud (ci-dessous, son marteau, cassé) et les dramaturges polonais, Grotowski et Kantor, qui vous mèneront au Happening. Vous continuerez avec Dada et les surréalistes avec entre autres Entr’acte, le merveilleux film de René Clair, avec Picabia et Satie, qui se retourne contre les spectateurs (quand René Clair était un cinéaste d’avant-garde..), puis un film hilarant avec Dali, Chaos et création, et les extravagances du grand sénophile Ramon Gomez de la Serna. Vous verrez ensuite Gilbert & George en sculptures chantantes près d’un Monsieur Teste dodelinant (de Broodthaers), vous tenterez de saisir les dialogues et le sens de Do you believe in water de Lawrence Weiner sans vous laisser distraire par l’arrière-plan, et dans une salle plutôt californienne, entre Mike Kelley et Dan Graham, vous resterez longtemps devant les performances burlesques de Pat Oleszko. Vous vous surprendrez à dansoter devant L’enterrement de Durruti, filmé par Jaume Miravitlles et à dériver dans Paris en compagnie de Paris la Cumparsita d’Antoni Miralda. Faisant alors une pause, vous vous interrogerez sur ce jeu d’acteur, sur la manière dont l’artiste se présente, se met en scène, sur sa place comme personne, et sur la manière dont la performance a émergé comme expression artistique à part entière.

Vous serez alors prêt, à l’autre étage, à vous impliquer en tant que spectateur, à vous confronter à des œuvres qui vous réclament, et à saisir la dimension théâtrale des œuvres minimalistes. Le théâtre russe (Meyerhold) et allemand (Schlemmer et le Bauhaus; ci-contre décor de la Danse des anneaux) vous emmèneront vers les salles du minimalisme : d’abord un labyrinthe de Buren (Projet respirer marcher, en haut), où des toiles virtuelles volètent à votre passage, puis une série de grandes pièces de Bob Morris, son expo avortée à la Tate où les spectateurs, invités à participer, cassaient tout et se blessaient (fermeture après cinq jours), ses vidéos chorégraphiques (Waterman Switch, en haut), sa boîte cercueil (Pine Box). Une découverte, le Catalan Isidoro Valcàrcel Medina, qui vous invite à habiter sa pièce, vous y asseoir, lire, vous déplacer selon le schéma qu’il a défini.

Et enfin deux salles entières consacrées à Bruce Nauman, dont une installation peu connue, Falls, pratfalls, sleights of hand (dirty version) où l’on retrouve pantomime, cirque et théâtre, cependant que le temps régresse ; après l’expo Beckett à Pompidou et en attendant celle à Turin cet été. Plus loin, des pièces “sans les objets” de Pistoletto, Le souffleur de Juan Munoz (ci-contre) et le film Body Press de Dan Graham. Ebloui, frustré, avide de lectures, voulant réfléchir encore, comprendre encore, on finit avec James Coleman (So different.. and yet). Ca fait du bien, une exposition qui vous rend (un peu) plus intelligent !

Ce n’est là qu’un bref compte-rendu pour donner envie d’aller voir, ou de lire le catalogue quand il sortira. L’exposition ira ensuite à Lisbonne et à Minneapolis, mais il n’est pour l’instant hélas pas prévu qu’elle vienne à Paris.

Photos de l’auteur. Bob Morris et Daniel Buren étant représentés par l’ADAGP, la reproduction de leurs oeuvres sera retirée du site, conformément aux exigences de l’ADAGP, à la fin de l’exposition.


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