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Top 14 : Une histoire de grands et de gros

Publié le 01 juin 2014 par Wtfru @romain_wtfru

Après leur victoire en Coupe d’Europe, la finale du Top 14 a vu le Rugby Club Toulonnais s’imposer face au champion sortant, Castres, 18-10. Un titre qui offre une porte de sortie royale à son altesse Jonny Wilkinson, qui va pouvoir vivre une retraite dorée et certainement s’adonner à sa grande passion, la physique quantique.
Au-delà de la simple victoire, ce résultat illustre un changement de physionomie du rugby français, une évolution structurelle qui court depuis quelques années.

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Jonny Wilkinson soulève la Coupe d’Europe, sous le regard bovin de Bakkies Botha.

On dit souvent que le rugby est un sport de gros, ou de grands. Cela n’est pas tant vrai du point de vue physique pour les joueurs que ça ne l’est devenu en terme d’image pour les clubs.

Les Varois n’avaient pas soulevé le Bouclier de Brennus depuis 1992, mais l’année 2014 marque l’apothéose de l’histoire du club. 2 week-ends, 2 triomphes. Ils ont soulevé la H-Cup sous les feux d’artifices du Millenium Stadium de Cardiff. Une semaine plus tard, bis repetita, cette fois-ci au son de Maître Gim’s retentissant dans un Stade de France bouillant.

À grand renfort de millions, synonymes de stars du rugby mondial, Mourad Boudjellal a su amener ce club au sommet de l’Europe avant de signer un doublé retentissant. 23 millions d’euros de ressources; à titre de comparaison, le promu Oyonnax disposait de 9 millions pour la saison 2013-2014. Par ailleurs, à l’exception du Stade Français, les six plus importants budgets du championnat ont tous atteint les phases finales cette année.

Pendant ce temps deux clubs historiques descendent en Pro D2 : Perpignan et Biarritz. Le rugby français verrait-il l’avènement d’un nouveau duel : les « gros » contre les « grands » ?
En généralisant, on distingue deux grandes catégories de clubs dans le paysage ovale français actuel. D’un côté, des structures fort pourvues financièrement, abritée par de généreux mécènes, mais en quête d’un particularisme, d’une singularité. De l’autre, des équipes à l’identité et au passé riches, forts d’un palmarès ou de valeurs, mais aujourd’hui en difficulté.
Il en va de la première catégorie pour le Racing Metro, soutenu par la fortune du président Jacky Lorenzetti ; mais aussi pour Montpellier, présidé par Mohed Altrad, patron du leader européen de la bétonnière ; c’est encore le cas pour le Castres Olympique, soigné par les laboratoires Fabre. Quoi qu’on en dise et en dépit de leur réussite, ces clubs se cherchent encore une véritable identité, un ADN spécifique. Dans un éditorial récent du Midi Olympique, Jacques Verdier qualifiait le CO d’ «éternel outsider grand villageois».
À l’opposé il y a les « grands » clubs, dont on ne compte plus les lignes du palmarès mais qui peinent ces derniers temps. S’il faut relativiser les difficultés passagères de Toulouse et Clermont, qui n’ont pas dépassé le stade des barrages, il n’en va pas de même pour tous. Après avoir dominé le championnat au début des années 2000, la lente descente aux enfers du Biarritz Olympique se concrétise par une relégation en Pro D2. Basques et Catalans en deuxième division, qui l’eut cru. C’est bien Perpignan, autre club à forte identité, qui les accompagnera. Les « sang et or » soulevaient le Brennus il y a seulement cinq ans. Se targuant à l’époque de disposer d’une équipe-type composée pour moitié par des « gars du cru », de purs Catalans, l’USAP pas su tirer de leçons de ce phénomène pour changer de politique. Car désormais, c’est prime à l’internationalisme dans l’élite rugbystique hexagonale.

Et s’il est un club qui fait figure d’OVNI en la matière, c’est bien le RC Toulon. Du pognon, il y en a au stade Mayol ; cela a notamment permis d’enrôler les meilleurs joueurs de la planète. Mais son identité est parfois affirmée de manière trop revendicatrice, et engendre un certain défaut de popularité. Certes, la France n’aime pas l’arrogance des serial winners; demandez à Michael Schumacher, à Lance Armstrong, ou aux joueurs du Barça. Le RCT connaît une vraie success-story depuis l’arrivée de Mourad Boudjellal à sa présidence. Encore en Pro D2 en 2008, le club de la rade a enchaîné 6 finales ces trois dernières années ! (Challenge européen, H Cup, Top 14). Avec 3 titres à la clé et un doublé en forme d’apothéose cette année. L’insolente réussite des Varois ne plaît guère. Et pour cause, les dirigeants du RCT ont le verbe haut, et on ne compte plus les frasques du duo de choc Bernard Laporte-Mourad Boudjellal.

« Footballization »

Si la stratégie de com’ provocante de Boudjellal est une chose, ses choix sportifs et managériaux n’attirent pas la sympathie non plus : l’arrivée de superstars du rugby mondial (Jonny Wilkinson, Bakkies Botha, Brian Habana entre autres), surpayées et surexposées, fait tâche dans un contexte où les fédérations insistent sur le formation de jeunes, via les JIFF (Joueurs Issus des Filières de Formation). Il est vrai que du côté du Var, on n’aime pas trop les étrangers, sauf quand ils viennent jouer au RCT.
Parlons du syndrome Max Guazzini. Au tournant du troisième millénaire, le patron du Stade Français a révolutionné l’approche d’un sport se professionnalisant, en y mettant du strass et des paillettes (et des nichons). Le « rugby professionnel », contradiction de termes s’il en est… Et on ne dénoncera pas les joueurs d’un club de Top 14 aperçus en boîte par une nuit du mois d’avril, fort avinés à l’avant-veille d’un match crucial.
Pour les uns, ce n’est plus avec un ballon mais avec des billets qu’on joue dans le championnat le plus rémunérateur au monde ; pour d’autres, la démocratisation de l’Ovalie à un public jeune et féminin a été un atout de la période de la professionnalisation. Exit le rugby-cassoulet, bienvenue dans le rugbyzness. Avec ce doublé toulonnais, c’est la victoire d’un nouveau modèle rugbystique qui s’impose. Le corollaire est l’éjection de l’élite d’un certain nombre de clubs historiques, dépourvus d’un bassin économique et démographique suffisant : Montauban, Bourgoin, Albi en sont des exemples. On évoquait déjà le sujet dans un article l’année dernière.
À l’inverse, l’accession à l’élite de clubs de grandes villes est courante ces temps-ci : nous parlions de Toulon et du Racing, il faut ajouter Grenoble et aujourd’hui Lyon. De futurs grands ou de futurs gros ?


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